Aéronautique

Ben Smith redonne des ailes à Air France-KLM

C’est le début de la reconquête pour le patron canadien du groupe franco-néerlandais. Il nous détaille sa stratégie de sortie de crise alors que l’aéronautique mondiale vient de traverser la pire épreuve de son histoire. Ses compagnies n’y ont pas échappé. En 2020, leur trafic chutait de 67 %. Depuis la réouverture des frontières en juin, les vols reprennent, surtout en Europe. Mais sous la menace des aléas sanitaires. Ben Smith prédit le retour au beau fixe pour la fin de 2024.

Le roulis des valises résonne à nouveau dans le hall du 2E, l’un des quatre terminaux ouverts sur les neuf que compte Roissy-Charles-de-Gaulle. Cette esquisse de reprise ne signe pas la fin de la crise, la pire de l’histoire de l’aérien, avec des pertes estimées à 117 milliards de dollars en 2020 par l’Association du transport aérien international. Avec près des trois quarts de la flotte mondiale clouée au sol, aucune compagnie n’a échappé au marasme. Air France-KLM a essuyé des pertes de 7,1 milliards d’euros l’an dernier et de 1,5 milliard au premier trimestre 2021. Aujourd’hui encore, l’entreprise tourne au ralenti, avec 185 appareils sur 211 en opération cet été et des salariés au chômage partiel.

Comme ses concurrents, le groupe franco-néerlandais réduit ses effectifs. Chez KLM, 5000 suppressions de poste ont été annoncées, et 7500 chez Air France où la dernière phase de volontariat vient de se terminer, avec un plan sursouscrit. Dans la compagnie régionale Hop, la réduction des effectifs a concerné 40 % des postes. Le contexte a par ailleurs facilité la signature d’accords avec les syndicats. Alors qu’en 2014 l’installation de Transavia, la filiale à bas coûts du groupe, avait provoqué une longue grève des pilotes, plusieurs limitations, notamment celles plafonnant le nombre d’avions dans la flotte, ont été levées ces derniers mois.

À Bercy, on salue la série d’accords qui « permettront un gain considérable sur les charges salariales. Avec la simplification et la rationalisation de la flotte engagées, l’entreprise pourra être alignée sur ses concurrents européens à la sortie de la crise, grâce à une compétitivité sans précédent dans l’histoire du groupe ». Depuis le début de la pandémie, l’État français aura consacré au groupe 3,6 milliards d’euros d’apport public, dont 3 milliards de prêts, redevenant aussi son premier actionnaire avec 28,6 % de son capital. Un soutien en échange duquel la Commission européenne a exigé l’abandon de certains créneaux à Orly ou des réductions des émissions de CO2.

Dans ce tumulte, Benjamin Smith, le directeur général d’Air France-KLM, a tenu le manche. Ce Canadien de 49 ans est arrivé en 2018 à la tête d’un groupe déjà secoué par des turbulences économiques et sociales. Presque trois ans plus tard, sa popularité dans l’entreprise paraît intacte. Même la polémique lancée au printemps par un parlementaire néerlandais sur sa rémunération ne semble pas avoir laissé de traces. Il est rare de voir des salariés demander des selfies à leur patron, qui se fait appeler « Ben » et tutoie ses interlocuteurs. Augustin de Romanet, PDG d’Aéroports de Paris, le décrit comme un « pragmatique, intéressé au détail, un super entrepreneur ». À Bercy, on applaudit cette nomination : « Ben Smith a pris ses fonctions avec beaucoup d’enthousiasme et a montré sa détermination. Grand professionnel du transport aérien, il est très apprécié en interne, notamment parce qu’il parle “cash” des atouts et des faiblesses du groupe. »

Paris Match. Quel est l’état des réservations pour l’été ?

Ben Smith. Notre programme de vols de l’été est équivalent à 65 % de celui de 2019, à 80 % pour le court et le moyen-courrier et de 55 à 65 % pour le long-courrier. Sur certaines destinations, comme la Corse, la Grèce ou l’Italie, les réservations sont même plus importantes qu’à l’été 2019, avant la crise. Les long-courriers vers les outre-mers se remplissent rapidement. La fréquentation depuis l’Amérique du Nord s’améliore depuis que l’Europe accepte les voyageurs vaccinés ou testés négatifs venant des zones vertes. Mais, pour que le trafic transatlantique reprenne normalement, il faudrait que les non-Américains – qui représentent d’habitude la moitié de nos clients sur cet axe – puissent se rendre aux États-Unis. Vers l’Asie et l’Amérique du Sud, en revanche, la situation se révèle toujours difficile.

Comment expliquez-vous cette reprise ?

De nombreux clients ont été rassurés par la possibilité de modifier ou d’annuler les réservations jusqu’à la dernière minute sans frais. Par ailleurs, les passagers sont sensibles à nos mesures sanitaires, considérées au plus haut niveau par des experts indépendants.

Êtes-vous confronté au risque de « suroffre », que pointent plusieurs compagnies ?

Non, car nous avons une règle à laquelle nous nous tenons : un vol ne doit pas être opéré à perte, il doit au minimum couvrir ses coûts variables. Pour le long-courrier, nous avons deux sources de recettes : les passagers et le cargo, dont les tarifs ont beaucoup augmenté ces derniers mois du fait de la baisse des capacités. Les voyageurs étant moins nombreux, de l’espace a été libéré dans les soutes, cela nous permet d’y charger davantage de marchandises comme des vaccins.

Le variant Delta menace-t-il cette reprise ?

Je voudrais d’abord rappeler l’importance d’une vaccination massive pour faire face à cette épidémie et aux variants. Des liaisons avec certains pays comme l’Angleterre sont déjà affectées.

Comment avez-vous changé l’organisation face à la pandémie ?

Nous avons revu notre organisation en profondeur pour nous adapter à une crise qui s’inscrit dans la durée. Avant, nous déterminions notre programme de vols des mois à l’avance. Depuis 15 mois, en fonction de la demande, et quasiment en temps réel, nous modifions la taille de l’avion, nous annulons des vols ou en ajoutons, dans les six dernières semaines précédant le départ. C’est le cas en ce moment vers le Maroc et la Grèce pour le mois d’août, car ces deux destinations continuent d’enregistrer une demande forte.

Les low cost semblent moins souffrir. Depuis la crise, vous réduisez l’activité de Hop et développez celle de Transavia. Pourquoi ?

Les compagnies low cost sont entrées dans la crise avec une meilleure situation financière que les compagnies traditionnelles et ne sont pas présentes sur le long-courrier, qui est l’activité la plus pénalisée par les restrictions de voyage et notre cœur d’activité. Ces dernières années, ces compagnies ont pris des positions importantes sur le court et le moyen-courrier. En dehors des vols d’alimentation de nos hubs pour des correspondances, notre modèle avec tous les services compris ne fonctionnait plus sur ces liaisons et nous avons perdu beaucoup d’argent en 2019 : 200 millions d’euros sur le domestique. Il nous restait deux choix : nous retirer de ce marché ou trouver un modèle à même de rivaliser avec les low cost. C’est le cas de Transavia, la division low cost du groupe, présente aux Pays-Bas depuis 55 ans et en France depuis 15 ans. Nous avons réussi, ces derniers mois, à négocier des accords fondamentaux qui nous permettent de ne plus restreindre le nombre d’avions dans la flotte en France et de les faire voler sur le réseau domestique. Depuis mai, Transavia est au niveau de son activité de 2019. Sa flotte comptant aujourd’hui 48 appareils, contre plus de 300 pour Ryanair et Easyjet, nous allons au moins la doubler, voire la tripler en nous positionnant non seulement à Paris-Orly, mais aussi au départ des régions françaises, depuis lesquelles Air France ne proposait quasiment aucune offre directe vers l’Europe.

Quelles décisions ont été prises lors du récent séminaire sur la stratégie ? Les actionnaires vous suivent-ils ?

Tous les actionnaires soutiennent nos choix et notre stratégie. S’il est encore difficile de se projeter à long terme, les trois atouts les plus importants d’Air France-KLM sont les deux plateformes de correspondances de Paris-Charles-de-Gaulle et Amsterdam-Schiphol, la taille du marché français – le plus important d’Europe –, et sa solide position sur les voyages de loisirs, qui sont les premiers à repartir. Avant la crise, la moitié de nos clients en classe business et La Première se déplaçaient pour le plaisir, alors que cette part n’excédait pas 30 % chez British Airways ou Lufthansa.

Cette classe affaires était l’un des piliers de votre stratégie d’avant-crise. Estimez-vous que les voyages professionnels reprendront dans les mêmes proportions qu’auparavant ?

J’observe qu’aux États-Unis, où le trafic domestique est revenu à son niveau de 2019, les voyages d’affaires n’ont pas disparu. Peut-être s’agit-il d’un rattrapage, mais ce constat est intéressant. Évidemment certaines réunions qui se tenaient en présentiel auront lieu en visioconférence, mais le contact humain reste essentiel pour gérer des équipes ou rencontrer des clients. Le segment du voyage d’affaires était en croissance avant la crise et, comme certains acteurs vont disparaître, nous pensons que nous sommes bien positionnés.

Quand pensez-vous que le nombre de passagers dans le monde retrouvera le niveau d’avant la crise ?

Beaucoup d’inconnues subsistent, nous le voyons avec le développement des variants. Je pense néanmoins que nous aurons retrouvé notre niveau d’activité d’avant crise vers 2024 ou 2025.

Aurez-vous les moyens de jouer un rôle de premier plan dans la reconfiguration du secteur ?

Absolument, c’est pourquoi notre priorité est de maintenir nos investissements et notamment notre programme de renouvellement de la flotte, avec l’intégration d’appareils plus performants d’un point de vue économique et environnemental. Nous allons également accélérer le développement de Transavia et la transformation de notre réseau domestique avec Hop.

Le groupe a été soutenu par les États français et néerlandais pendant la crise. Pensez-vous que cela suffira ?

Nous avons, depuis notre dernière assemblée générale, la latitude nécessaire si une nouvelle recapitalisation se révélait inévitable. Il est trop tôt pour savoir quand nous en aurons besoin. Pendant cette crise, j’ai été frappé par le soutien des États, mais aussi des Français. Ces derniers ont manifesté un grand attachement à la compagnie et au groupe, ce qui n’a pas été le cas dans d’autres pays où certains s’interrogeaient sur la pertinence d’avoir une compagnie nationale.

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