Que faire avec le marché du carbone ?

L’éditorial de Philippe Mercure voit juste : le prix issu du marché du carbone québécois est trop bas et c’est injuste pour les autres provinces canadiennes1.

Tel que nous l’apprenait La Presse, les grands pollueurs québécois paieront, en moyenne, 9 $ par tonne de gaz à effet de serre (GES) pour la période 2024-2030⁠2, alors que le prix du carbone du programme fédéral se situe actuellement à 50 $ (et atteindra 170 $ en 2030).

Face à ce constat, la première ministre de l’Alberta a raison : le Québec bénéficie d’un traitement de faveur. Ce qui met la table à davantage de Quebec bashing et accentue les tensions à l’intérieur de la fédération.

La situation est gênante : comment le Québec peut-il se targuer d’être un leader climatique s’il est laxiste vis-à-vis ses propres politiques climatiques ?

Pour mieux comprendre ce qui se déroule, faisons un tour d’horizon des principaux mécanismes d’écofiscalité du Canada.

La Bourse du carbone

Instaurée en 2013 en collaboration avec l’Ontario et la Californie, la Bourse du carbone offre des droits de pollution aux grands pollueurs. Ces derniers peuvent les utiliser, ou bien réduire leur pollution et vendre leurs crédits à des entreprises québécoises ou californiennes – l’Ontario a quitté ce mécanisme sous la gouverne de Doug Ford.

De plus, le Québec effectue des mises aux enchères des droits carbone et utilise les revenus issus de cette vente pour financer l’action climatique par l’entremise du Fonds d’électrification et de changements climatiques, jadis nommé le Fonds vert.

Par conséquent, la Bourse du carbone a ce qu’on appelle une « double évidence » : elle réduit la pollution en appliquant un prix sur la pollution, en plus de financer la transition énergétique grâce aux revenus générés par le marché du carbone. La Bourse du carbone réduit donc doublement la pollution.

Malheureusement, ce programme possède une faille béante : le nombre de permis de pollution est trop élevé, ce qui incite peu les entreprises à réduire leurs émissions pollutantes.

La taxe carbone fédérale

Implantée en 2019, la taxe carbone fédérale, elle, couvre l’Île-du-Prince-Édouard, l’Ontario, l’Alberta et la Saskatchewan. Elle met un prix sur la pollution et puis retourne l’argent directement aux ménages. Un aspect particulièrement intéressant du régime fédéral est que 80 % des ménages reçoivent davantage de revenus climatiques qu’ils n’en paient en taxe carbone.

La taxe carbone fédérale s’avère alors être une politique redistributive qui combat les changements climatiques3.

Le bilan

Donc, faut-il se tourner vers la taxe carbone fédérale ?

Personnellement, je préfère ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Un débat public sur ces politiques pourrait en effet accentuer le cynisme envers les mécanismes d’écofiscalité – ce qui serait contre-productif.

À l’inverse, opter pour une réforme de l’actuelle Bourse du carbone semble être la voie à suivre.

La première étape consisterait à diminuer la quantité de permis délivrés, comme le demandent l’éditorialiste Philippe Mercure ainsi que les organismes Greenpeace, Équiterre, Nature Québec et la Fondation David Suzuki.

La deuxième étape consisterait à indexer le prix minimal d’émission des crédits carbone à la taxe carbone fédérale, ou à un montant légèrement en deçà – la Bourse du carbone possède une « double évidence », après tout.

Le beurre et l’argent du beurre

Une telle réforme assurerait l’efficacité d’une taxe carbone – la littérature souligne qu’elle est plus efficace pour réduire les GES que la Bourse du carbone –, mais également assurerait l’adhésion populaire envers le système. Comme le souligne Éric Lachapelle, professeur de sciences politiques de l’Université de Montréal, la Bourse du carbone est plus populaire que sa consœur.

En outre, les revenus tirés du marché du carbone mettent la table à ce qu’on appelle les politiques industrielles vertes, telles que l’Inflation Reduction Act aux États-Unis – la plus importante politique climatique de l’histoire4.

Les mécanismes de marché comme la Bourse du carbone sont cruciaux, certes, mais ils doivent être accompagnés de subventions de l’État afin d’assurer la décarbonation de l’économie.

Les technologies de demain sont encore dans leurs balbutiements et compétitionnent contre des technologies matures, mais polluantes. Un prix sur le carbone ne suffit pas à les rendre compétitives.

Il en résulte que pour atteindre les économies d’échelle ainsi que l’abordabilité nécessaires pour décarboner notre économie d’ici 2050, il faut les accompagner davantage – chose que les revenus tirés de la Bourse du carbone permettent.

Conclusion

Le Québec a tout ce qu’il faut pour être un leader climatique. Le problème est que cette capacité n’est pas accompagnée de la volonté nécessaire, ce qui se solde par des politiques climatiques laxistes.

Appliquer les recommandations ci-dessus offrirait au Québec le moyen de ses ambitions, en plus de diminuer les tensions qui divisent la fédération canadienne.

1. Lisez l’éditorial de Philippe Mercure : « Avant de tuer le marché du carbone »

2. Lisez l’article de Charles Lecavalier : « Les industries ne paieront que 9 $ la tonne pour polluer »

3. Lisez l’analyse de la tarification fédérale du carbone faite par le Bureau du directeur parlementaire du budget

4. Lisez le texte de Hugo Cordeau dans Options politiques : « Polarisation, action climatique et subvention : le cas canadien »

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