La révision de Catherine Therrien

Quand l’autorité du prof est sapée par la bien-pensance !

On sort inquiet et admiratif du visionnement du film La révision, de Catherine Therrien : inquiet, car il décrit fort bien une dérive du système d’éducation ; admiratif, car la réalisatrice a fait preuve de courage en dénonçant cette nouvelle idéologie qui veut que les élèves (ou étudiants) aient toujours raison, car ce sont des clients qu’on doit satisfaire, eux et leurs parents.

Un enseignant de philosophie compétent et passionné est sommé, de façon tantôt amicale, tantôt coercitive, de réviser à la hausse la note donnée au travail d’une étudiante musulmane qui n’a pas respecté les critères explicites de correction, à savoir que le texte argumentatif devait présenter trois arguments fondés sur la raison et non sur des émotions ou des croyances. Par honnêteté et respect pour son métier, l’enseignant refuse de modifier la note et s’en explique à l’étudiante.

La démission de plus en plus d’administrations scolaires sape l’autorité du corps enseignant.

La direction du cégep, comme le directeur du département de philo et les associations étudiantes craignent que le refus de l’enseignant de réviser la note soit considéré comme une attitude antimusulmane, voire raciste, et que cela nuise au cégep.

La nouvelle conception de la mission de l’éducation et du rôle des enseignants est illustrée par la directrice qui affirme : « La première responsabilité du prof est d’aimer ses élèves » ! Il doit donc respecter le ressenti de chacun de ses élèves et, si certains d’entre eux se sentent froissés, il doit aussitôt rectifier ses propos et changer d’attitude. Ainsi on trouve sur les murs du cégep (fictif) : Un plan de cours, ça se négocie. Donc, pour ce qui est des contenus et exigences d’un cours, élèves et prof sont à égalité, ceux qui sont là pour apprendre et ceux qui sont là pour faire apprendre, découvrir, se transformer…

Multiplication des cas

Les cas se multiplient au Québec où des professeurs se voient contraints soit par l’administration, soit par le discours ambiant de ne pas enseigner l’œuvre de tel ou tel écrivain ou penseur.

Un professeur de poésie s’est interdit de diffuser le magnifique film de Jean-Claude Labrecque, La nuit de la poésie, car Michèle Lalonde y récite son poème Speak White.

Ce film n’est pas sans rappeler l’assassinat en 2020 de Samuel Paty, enseignant de lycée français. Dans une entrevue à la revue Marianne, l’écrivain et politicologue David di Nota revient sur son analyse du traitement de ce meurtre par l’administration scolaire jusqu’à l’Éducation nationale.

Dans son livre, il montre de façon inattaquable les préjugés, les mensonges et la couardise qui parsèment l’enquête administrative où, être autres, la parole de Paty, comme celle de nombreux élèves et parents musulmans qui le défendaient, n’a pas été prise en compte. Non seulement il n’a pas été protégé des menaces qui pesaient sur lui, mais ses propos et les faits ont été tordus par la bien-pensance administrative.

Désormais, en classe, on semble confondre le respect de l’autre et la bienveillance avec la soumission par le corps enseignant au ressenti de chacune et chacun des élèves. Peut-on critiquer tel propos ou telle œuvre d’une personne transgenre, noire, musulmane ou autochtone sans être aussitôt taxé d’anti… ?

Accepterons-nous, à l’école, au cégep, à l’université de faire main basse sur les œuvres de philosophes, de peintres et d’écrivains de notre culture commune, lorsqu’elles ne correspondent pas aux diktats du jour et susceptibilités de tout un chacun ?

Platon, Léonard de Vinci, Flaubert, Shakespeare, Rimbaud, Ducharme et Cohen doivent-ils être dénoncés, car ils ne se sont pas prononcés contre l’esclavagisme, l’exploitation des femmes, la pédophilie, l’homophobie ou le colonialisme ou au contraire en ont parlé de façon « choquante » ? Faut-il cacher une partie de notre histoire, quand elle nous fait honte ?

Le rôle des enseignants n’est-il pas entre autres d’exposer ce qui fait débat dans la société pour amener élèves et étudiants à comprendre la controverse, en analysant les arguments présentés à l’aune des savoirs institués et des connaissances disponibles ? Refuser cela, c’est faire fi de la possibilité de la création et de la transmission d’une culture commune.

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