C’est le Québec qui est né dans mon pays

S’ouvrir aux réalités autochtones et à soi

Construire des ponts entre personnes autochtones et allochtones est un travail au quotidien pour l’anthropologue Emanuelle Dufour. Avec son ouvrage illustré C’est le Québec qui est né dans mon pays, elle explore le versant québécois de cette relation complexe dans le but d’inciter les uns à faire un pas vers les autres.

Emanuelle Dufour avait déjà été au bout du monde, à la rencontre des Maoris de Nouvelle-Zélande notamment, quand l’évidence s’est imposée : elle ne savait pas grand-chose des Premières Nations du Québec et d’ailleurs au Canada. Ce malaise, qu’elle ressentait de manière diffuse, l’a habitée longtemps et c’est ce qui l’a incitée à l’exorciser par l’art.

C’est le Québec qui est né dans mon pays – qui est plus un livre illustré qu’une véritable bande dessinée – est en effet né d’une exploration graphique. D’une envie de « descendre de la tête vers le cœur et le corps », explique la chercheuse, qui fréquente des autochtones de différentes communautés depuis de nombreuses années.

Ici, une précision s’impose : Emanuelle Dufour ne s’approprie pas l’histoire des Premières Nations, c’est de la sienne qu’il est question.

« Ce n’est pas une bande dessinée qui raconte l’histoire des autochtones ni même notre histoire coloniale. C’est un dialogue avec des personnes autochtones avec qui je travaille depuis une dizaine d’années et des allochtones pour examiner ensemble notre système, notre non-rencontre. »

— Emanuelle Dufour

C’est le Québec qui est né dans mon pays donne forme à plusieurs histoires, mais trouve son ancrage dans un évènement relativement récent : la crise d’Oka, survenue à l’été 1990, dont l’anthropologue se souvient avec sa mémoire d’enfant. C’est à partir de cet évènement qu’elle met en lumière le fossé qui sépare autochtones et allochtones. Qui montre aussi la méconnaissance généralisée des réalités des Premières Nations.

Œuvre multiple

Tout au long de son ouvrage, l’autrice prend soin de tracer une ligne bien nette entre son vécu, ses perceptions, son histoire et les témoignages, sentiments et expériences de ceux qu’elle appelle ses collaborateurs. C’est le Québec qui est né dans mon pays donne en effet la parole à des dizaines de personnes issues de différentes communautés autochtones, dont Stanley Vollant, Prudence Harris, Melissa Mollen Dupuis et Ellen Gabriel.

« On travaillait ensemble à examiner notre histoire commune et le système dans lequel on vit », précise l’anthropologue, qui parle volontiers de son livre comme d’une œuvre de cocréation. Le but de son ouvrage n’est pas d’encourager la honte et le repli, mais l’ouverture.

« Je crois qu’il y a une différence entre culpabilité et responsabilisation. »

— Emanuelle Dufour

L’idée, c’est d’inciter les gens à prendre conscience de leur position et à passer à l’action.

Même si l’ignorance et les préjugés demeurent tenaces, Emanuelle Dufour estime que les Québécois sont « prêts et intéressés » à revoir leur relation avec les premiers habitants de ce territoire. L’actuel intérêt suscité par quantité d’artistes autochtones ces dernières années – d’Elisapie à Jeremy Dutcher, en passant par Samian, Naomi Fontaine et plusieurs autres – est aussi « porteur d’espoir », selon elle.

« Il y a ceux dont on entend parler, mais il y a aussi tous les autres, dit l’anthropologue, qui travaille avec plein de jeunes issus des Premières Nations. C’est incroyable, leur force, leur nombre, leur créativité et leur résilience. »

L’autrice invite par ailleurs les lecteurs qui désirent approfondir leurs connaissances à consulter la « médiagraphie » placée en fin d’ouvrage, qui présente les biographies des différents collaborateurs et cite entre autres des œuvres de fiction qui témoignent de manière sensible des histoires autochtones. « On boucle la boucle, dit-elle, ça permet de descendre de la tête vers le cœur. »

C’est le Québec qui est né dans mon pays

Emanuelle Dufour

Écosociété

208 pages

Nombre d’étoiles

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