Baisse des signalements à la DPJ

Baisse alarmante des signalements à la DPJ

Des cas risquent de passer sous le radar pendant la grève

Un mois après le début des grèves en éducation, le nombre de signalements à la DPJ a chuté en flèche. Ils ont diminué de plus du tiers en Outaouais et à Laval et du quart à Montréal.

Et ça n’a rien de positif, préviennent les experts. La maltraitance, la violence et la négligence à l’égard des enfants n’ont sans doute pas chuté : elles passent plutôt sous le radar en raison des fermetures d’écoles qui, dans certaines régions comme Montréal et Laval, dureront au moins 24 jours.

Les graphiques du tableau de bord du ministère de la Santé et des Services sociaux pour les DPJ des différentes régions parlent d’eux-mêmes quand on compare les données de trois premières semaines de grève et celles des trois semaines avant le conflit de travail.

Pourquoi de telles diminutions ? « Parce que c’est le personnel scolaire – surtout à l’école primaire – qui fait la plus grande proportion de signalements, fait observer Tonino Esposito, professeur à l’École de travail social de l’Université de Montréal. Les baisses observées à l’heure actuelle relèvent du même phénomène que ce qu’on a vécu pendant la pandémie et les confinements. »

L’impact de l’école « va bien au-delà de la pédagogie. L’école assure un soutien social », auprès d’enfants vulnérables, fait remarquer M. Esposito.

Chercheur à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté, Sonia Hélie fait aussi le rapprochement avec la pandémie en nous renvoyant au bilan des directeurs de la protection de la jeunesse 2021. Il y est écrit que « le nombre de signalements reçus entre le 1er avril et la mi-mai 2020 est de 32 % inférieur à celui observé durant la même période l’année précédente, ce qui représente une différence de plus de 5000 signalements. Dès juin 2020, l’écart entre les deux années se réduit, puis se renverse ».

Au cabinet de Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux, on n’a pas fait de commentaires.

Dans son bulletin d’information de juin 2020, l’Institut universitaire Jeunes en difficulté souligne, toujours à propos de la pandémie, « qu’il est peu probable que les situations d’abus physique aient réellement diminué en période de confinement » et que selon l’UNICEF et l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux, « elles seraient au contraire plus susceptibles d’avoir augmenté », peut-on lire.

Les baisses de signalement à la DPJ sont aussi substantielles quand on compare les données des trois premières semaines de la grève, avec les mêmes trois semaines en 2022. À ce chapitre, la baisse de signalements est alors de 25 % pour Québec et de 15 % pour Montréal.

« Une institution de protection »

« Qu’on sympathise avec les syndicats ou avec le gouvernement », la réalité est implacable : « les effets sur les enfants sont réels » et particulièrement sur les plus vulnérables, se désole le psychologue Camil Bouchard, auteur d’Un Québec fou de ses enfants.

Il fait aussi remarquer que « les parents vivent beaucoup de stress, de fatigue, d’exaspération » à force de jongler avec des enfants oisifs alors qu’eux-mêmes sont le plus souvent tenus à une prestation de travail. Et ce, ajoute Camil Bouchard, alors que le souvenir de la pandémie est très frais à la mémoire de tous et que les parents ont déjà été très éprouvés par les confinements liés à la COVID-19.

Le psychologue souligne lui aussi à quel point l’école, comme les services de garde, joue un « rôle de surveillance » extrêmement important. Le personnel scolaire, en contact quotidien avec les enfants, est particulièrement à même de percevoir des indices de maltraitance ou de négligence.

« L’école est une institution de protection, en plus de structurer la vie des enfants, comme le fait le travail pour les adultes », fait aussi observer Camil Bouchard.

Ces dernières semaines, la grève « a réduit notre capacité à intervenir en prévention et à soutenir le développement des enfants », note Tonino Esposito.

Quand le conflit de travail se terminera et que les élèves rentreront en classe, le personnel scolaire devra être particulièrement vigilant pour percevoir tout signe de détresse, insiste M. Esposito, d’autant que sauf pour les tout-petits, cette cohorte actuellement privée d’école est aussi celle qui en a beaucoup subi pendant la pandémie.

Aux États-Unis, souligne-t-il enfin, une étude de Loc H. Nguyen a calculé que sur une période de 10 mois en début de pandémie, quelque 86 000 enfants de ce pays n’ont pas pu recevoir des mesures de protection (pour accompagner des parents mal outillés, par exemple) dont ils auraient normalement bénéficié. Au surplus, 104 000 enfants américains qui ont subi des agressions ou qui étaient négligés dans leur milieu pendant cette période sont carrément passés entre les mailles du filet.

32 %

Proportion des signalements émanant des enseignants et des professionnels des milieux scolaires (mi-mars 2019 à fin mai 2019)

Source : Bulletin d’information, numéro 3, juin 2020, Institut universitaire Jeunes en difficulté

Grève générale illimitée du Front commun

« S’il faut y aller, on va y aller »

De son côté, la FAE rejette à son tour la plus récente offre du gouvernement

Québec — Le Front commun intersyndical réclame un « blitz » de négociation et lance un ultimatum au gouvernement : s’il n’y a pas d’entente d’ici la fin de l’année, ses 420 000 travailleurs seront en grève générale illimitée en janvier. Et ce n’est pas une menace en l’air, prévient-il.

« Il n’y a pas de bluff. S’il faut y aller, on va y aller. […] L’heure est grave », a soutenu la présidente de la FTQ, Magali Picard, lors d’une conférence de presse avec les autres leaders syndicaux du Front commun, mercredi.

Elle estime que les syndiqués bénéficient toujours d’un « capital de sympathie » de la part de la population. Elle n’a « absolument pas peur » de perdre cet appui. « La population, là où elle n’est plus au rendez-vous, c’est derrière le gouvernement de François Legault, a-t-elle fait valoir. Vous avez vu comme nous les sondages : il est en chute libre. »

« François Legault, il conduit une voiture en sens contraire dans le tunnel. Toutes les voitures lui font face et il continue d’être convaincu qu’il est le seul qui va dans la bonne direction », a-t-elle illustré.

Sur une échelle de 1 à 10, la progression des négociations vers une entente est à peine de 5 aux tables sectorielles sur les conditions de travail et de 6,5 à la table centrale sur les salaires, a déploré le premier vice-président de la CSN, François Enault.

À toutes les tables, « le constat est le même : beaucoup de tapage, peu de résultats présentement », a soutenu le président de la CSQ, Éric Gingras.

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) a rejeté la nouvelle offre du gouvernement mardi, considérant que c’est un « show de boucane » et « un recul dans les pourparlers ». « Afin d’obtenir une entente avant les Fêtes », elle a présenté une contre-proposition mercredi qui « s’appuie sur les priorités des enseignants, soit la composition de la classe et l’allègement de la tâche ».

Il est toujours possible de conclure une entente d’ici Noël ou la fin de l’année, selon le Front commun. D’après Éric Gingras, « ça peut se régler aux tables en 48 heures, en 72 heures, mais la volonté doit être là ». Pour le moment, le gouvernement fait plutôt traîner les choses, « prend son temps », afin de tenter, selon lui, « d’affaiblir le mouvement syndical ».

« On peut régler avant les Fêtes, sinon l’hiver 2024 va être assez difficile pour le premier ministre », a signalé François Enault.

Il y aura grève générale illimitée en cas d’impasse, mais aucune date pour le déclenchement d’un débrayage n’a été fixée pour le moment.

Une grève générale illimitée du Front commun serait une première. Elle entraînerait la fermeture de toutes les écoles publiques du Québec en plus de ralentir les activités dans le réseau de la santé et des services sociaux.

Des reculs importants, selon la FAE

Plus de 40 % des écoles publiques de la province sont fermées depuis un mois en raison de la grève générale illimitée de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui a pour sa part rejeté mercredi la plus récente offre du gouvernement. Sa présidente, Mélanie Hubert, a jugé qu’elle contenait « des reculs importants ».

« Il ne fait plus aucun doute pour nous que le gouvernement de François Legault ne fait aucunement le choix d’aider l’école publique », a affirmé Mme Hubert, conspuant la « stratégie d’épuisement des profs » employée par Québec.

Dans une vidéo diffusée sur Facebook, la présidente syndicale a ainsi fait savoir que la FAE n’était pas « sur le bord d’une entente ».

Selon le président de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), Robert Comeau, « le gouvernement ne comprend pas l’urgence de régler la situation ».

Il faudrait rapidement accélérer le tempo à toutes les tables, insiste le Front commun. Il réclame « une négociation intensive », un « blitz » afin de régler les contrats de travail. « Et un blitz, c’est qu’on devrait se rencontrer plus que 15 minutes par jour ! », a lancé François Enault.

« Les 11 jours de grève qu’on a faits, on a été très bon joueur, a-t-il plaidé. On n’a pas voulu prendre la population en otage. On a fait ça correctement. Mais on dirait que le gouvernement, c’est ce qu’il veut, il veut nous amener en grève générale illimitée. Si c’est ce qu’il veut, c’est ce qu’il va avoir. Mais nous, ce n’est pas ça qu’on veut. Ce qu’on veut, c’est régler correctement les conditions de travail pour nos membres. »

« On ne va pas rentrer à genoux »

Pour obtenir une entente, le gouvernement doit donner des mandats clairs à ses négociateurs aux tables sectorielles et ne pas se limiter à mettre de l’avant ses priorités, entre autres sur la fameuse flexibilité dans les conventions collectives, affirme le Front commun. Sur les salaires, il réclame une clause d’indexation pour couvrir la hausse du coût de la vie et un « enrichissement » qu’il ne chiffre pas pour l’instant.

« On ne va pas rentrer à genoux, a prévenu Magali Picard. On n’acceptera pas des conditions d’emploi qui ne vont pas améliorer nos réseaux. »

Le Front commun se dit prêt à signer des conventions collectives de cinq ans, comme le veut le gouvernement, mais il ne chiffre plus ses demandes.

Elles étaient au départ d’environ 23 % en trois ans. Rappelons que Québec a envoyé le signal qu’il bonifierait sa dernière offre d’augmentations de salaire de 12,7 % en cinq ans. Et comme La Presse l’écrivait, le Front commun a réclamé récemment, pour la même période, une clause d’indexation de 18,1 % pour couvrir la hausse du coût de la vie et une augmentation de 7 % – au lieu de 9 % – à titre d’« enrichissement ». Il a remis en question la hausse de 7 % depuis.

Le Front commun réitère qu’une condition sine qua non pour conclure une entente est d’obtenir des gains au sujet des assurances collectives (une hausse de la contribution de l’employeur) et au sujet des ouvriers spécialisés (plombiers, mécaniciens et électriciens, par exemple) qui accusent un important retard de rémunération par rapport au privé.

Le gouvernement n’a pas voulu réagir à la sortie du Front commun. François Legault a toutefois publicisé sur les réseaux sociaux des rencontres qu’il a eues avec le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, et la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, « pour discuter des négociations du secteur public, entre autres des moyens pour alléger la tâche des enseignants dans les classes où il y a plus d’enfants qui ont des difficultés d’apprentissage ».

— Avec la collaboration de Bruno Marcotte, La Presse

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