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L’image féministe de Trudeau mise à mal

Beaucoup de paroles, peu d’actions. C’est en gros le reproche formulé depuis quelques jours à l’endroit du gouvernement Trudeau, accusé par certains de pratiquer un féminisme de façade. De l’ONU au Nouveau Parti démocratique, en passant par la fondation One de Bono, les critiques exigent des gestes concrets – et rapides – pour améliorer le sort des femmes au Canada comme à l’étranger.

Un dossier de Maxime Bergeron

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« Quel est votre plan ? »

La vidéo n’aurait pu tomber à un pire moment pour Justin Trudeau. Alors qu’il s’apprêtait à participer à une table ronde de haut niveau sur l’égalité des sexes, hier à Ottawa, une capsule embarrassante préparée par l’organisme One du chanteur Bono a fait surface sur le web. Son message est cinglant : « Quel est votre plan ? » Retour sur une semaine où l’image féministe du gouvernement Trudeau a été mise à mal.

La vidéo

Chaussettes colorées, costume de Superman, prise de photo avec des pandas : la vidéo diffusée hier matin commence avec une série d’images qui montrent le côté ludique de Justin Trudeau. La capsule présente ensuite des extraits de discours du premier ministre sur l’égalité des sexes et le féminisme. Et pose une question sous forme d’accusation : « Ce sont de belles paroles, Monsieur Trudeau, mais quel est votre plan ? Le temps presse ! » L’organisation One, cofondée par le chanteur de U2, souhaitait ainsi inciter le gouvernement Trudeau à proposer un plan d’action « audacieux » aux leaders du G7, qui se réuniront à Charlevoix en juin prochain.

L’ONU s’en mêle

Si cette vidéo se voulait un clin d’œil sarcastique à Justin Trudeau, la rapporteuse spéciale sur la violence envers les femmes de l’Organisation des Nations unies (ONU) a eu des mots bien plus durs envers le gouvernement canadien. Au terme d’une visite de 13 jours effectuée ce mois-ci au Canada, Dubravka Šimonović a formulé lundi une série de remarques préliminaires très critiques. Elle a notamment dénoncé la pénurie « terrible » de refuges pour les femmes et les enfants victimes de violence au Canada. Et s’est montrée inquiète de la traite de personnes, en particulier celle de femmes et de filles autochtones.

Protections « incomplètes »

Dans son rapport préliminaire, Dubravka Šimonović fait valoir que les droits des femmes sont protégés « de façon incomplète et en patchwork » au Canada. Elle se dit aussi « consternée » par la surpopulation dans les prisons pour femmes, et par l’absence de programmes mère-enfant. L’envoyée spéciale de l’ONU s’inquiète enfin du traitement offert aux immigrantes et réfugiées victimes de violence. Notons qu’elle a salué en parallèle l’existence d’une « variété de bonnes initiatives et politiques » au Canada, qui pourraient servir « d’exemple » ailleurs dans le monde.

Un « faux féminisme », dit le NPD

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a vite saisi la balle au bond. Dans une intervention mercredi à la Chambre des communes, la députée Anne Minh-Thu Quach a sommé Justin Trudeau de réagir sans tarder aux recommandations de l’ONU. « Est-ce que le gouvernement va cesser de prétendre qu’il est féministe et prendre des mesures concrètes pour protéger les femmes victimes de violence ? », a-t-elle lancé. Sa collègue Sheila Malcolmson a renchéri en demandant au premier ministre de cesser son « faux féminisme » et de vite poser des gestes concrets. Des critiques répétées encore hier aux Communes, et partagées par au moins un député conservateur.

Trudeau se défend

Justin Trudeau et plusieurs de ses ministres ont répliqué à ces attaques qu’ils jugent sans fondement. Le premier ministre a mentionné le budget de 5,5 millions de dollars débloqué pour améliorer l’accès aux centres de prévention du harcèlement sexuel dans les campus universitaires, ainsi que la stratégie fédérale pour lutter contre la violence basée sur les sexes, dotée d’une enveloppe de 86 millions. « On comprend qu’il y a encore beaucoup plus à faire, mais nous sommes là pour lutter pour l’égalité des genres et défendre tout le monde contre la violence », a fait valoir M. Trudeau mercredi. Il a par ailleurs pris part hier à des événements sur l’égalité des sexes en prévision du sommet du G7, où cette question constituera un thème central (voir onglet suivant).

Aide internationale majorée

Le cabinet de la ministre du Développement international et de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau, a de son côté détaillé à La Presse les annonces faites jusqu’à maintenant par Ottawa en matière d’égalité des sexes. L’enveloppe d’aide internationale a été majorée de 2 milliards sur cinq ans dans le budget de 2018, dont une bonne partie profitera à la Politique d’aide internationale féministe du gouvernement, a-t-on expliqué. Le gouvernement a aussi pris des engagements financiers importants pour la période 2017-2021, incluant « un programme de 650 millions de dollars sur trois ans pour la santé et les droits sexuels et reproductifs et un programme de 150 millions de dollars pour soutenir le renforcement des capacités des organisations et mouvements locaux de défense des droits des femmes ».

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L’égalité des sexes au premier plan du G7

Ottawa — Alors que les critiques fusaient hier au parlement sur le degré réel de féminisme du gouvernement Trudeau, le Conseil consultatif sur l’égalité des sexes pour la présidence canadienne du G7 tenait sa première rencontre officielle à quelques coins de rue de là. Son objectif : préparer le terrain en vue du sommet de juin prochain dans Charlevoix, et créer un « précédent » pour la suite des choses.

« L’égalité des sexes, c’est l’une des cinq priorités [du G7], mais on a voulu pousser encore plus loin et s’assurer que ce sujet soit discuté dans toutes les réunions ministérielles et pas seulement au G7 à Charlevoix », a expliqué à La Presse Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France et coprésidente du Conseil avec la philanthrope américaine Melinda Gates.

Le conseil consultatif présentera une série de recommandations à Justin Trudeau avant la tenue du sommet de juin, et déposera un rapport plus étoffé d’ici la fin de l’année, a indiqué l’ex-femme d’affaires.

Des gestes concrets

Parmi les recommandations qui risquent de se retrouver dans le rapport final, le Conseil proposera des mesures pour augmenter la proportion de femmes aux tables de négociation des accords de paix. « On voit, avec données à l’appui, que quand des femmes sont à la table de négociation de traités de paix, ces traités-là ont beaucoup plus de chances de durer plus longtemps dans le temps », a affirmé l’ambassadrice.

Or, il faut poser des gestes concrets, dès les plus bas échelons, pour que davantage de femmes puissent acquérir une expérience sur le terrain qui les entraînera éventuellement jusqu’à une telle table de négociation.

« Ça veut par exemple dire qu’il doit y avoir plus d’efforts de recrutement de femmes dans les forces armées. »

— Isabelle Hudon

Isabelle Hudon et Melinda Gates ont rencontré Justin Trudeau hier matin dans un hôtel à quelques pas du parlement pour lui faire part de l’avancement de leurs travaux. Le premier ministre a ensuite prononcé une allocution pendant l’événement. Il dit souhaiter que l’orientation égalitaire du G7 de 2018 serve de « précédent » pour les années à venir.

Égalité à l’ambassade

En poste depuis six mois à Paris, Isabelle Hudon se dit ravie par l’équipe « drôlement expérimentée » de 200 employés qu’elle a trouvée à l’ambassade. Plusieurs femmes y occupaient des postes de direction, note-t-elle avec satisfaction.

L’ancienne chef de la direction de la Financière Sun Life Québec dit continuer à prôner les mêmes pratiques égalitaires qu’à l’époque récente où elle travaillait dans le secteur privé. « Je pose des gestes simples, mais qui ont un impact, avance-t-elle. Par exemple, je n’accepte jamais qu’une femme s’assoie dans la deuxième rangée derrière une table de conférence. S’il n’y a plus de chaises à la table, qu’on en apporte d’autres. »

Isabelle Hudon semble d’ailleurs apprécier à fond ses nouvelles fonctions. L’une des priorités de son mandat est de faire la promotion de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, récemment ratifié, qui fait l’objet de beaucoup de résistance des deux côtés de l’Atlantique.

La Québécoise dit adorer sa nouvelle vie parisienne, elle qui a redécouvert une France « quelque peu transformée » après y avoir vécu sans trop d’agrément dans les années 90. Les médias français ont réservé un accueil enthousiaste à la nouvelle diplomate. Elle a fait l’objet de plusieurs longs portraits dans des publications prestigieuses comme Les Échos et Le Figaro.

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