Radio-Canada

Les vraies raisons du départ de Pascale Nadeau

Non, Pascale Nadeau n’a pas quitté Radio-Canada en bons termes avec la direction. C’est le moins que l’on puisse dire.

Se disant « blessée », « humiliée », la cheffe d’antenne du Téléjournal week-end n’avait aucune intention de prendre sa retraite et en a long à dire sur les circonstances de ce qu’elle appelle un « congédiement déguisé ».

Dans une longue entrevue exclusive accordée au Soleil, elle confirme avoir été suspendue sans salaire pour une période d’un mois, en février dernier, après une plainte de la part d’un employé pour des propos qu’elle aurait tenus sur le plateau du Téléjournal. Elle n’est jamais revenue en ondes depuis, et Radio-Canada a annoncé il y a deux semaines qu’elle prenait sa retraite.

Dans une lettre intitulée « Pourquoi je quitte Radio-Canada » et publiée dans la section Débats de La Presse, Mme Nadeau estime avoir été traitée injustement par l’employeur et déplore qu’on n’ait jamais tenu compte de sa version des faits.

L’histoire commence en octobre 2020. Pascale Nadeau reçoit un appel téléphonique des Ressources humaines de Radio-Canada, qui l’informent qu’une enquête indépendante est menée sur elle à la suite d’une plainte acheminée deux mois plus tôt à l’interne. La cheffe d’antenne tombe des nues, ne saisissant absolument pas ce qui peut lui être reproché. A-t-elle tenu des propos offensants ? A-t-elle eu une attitude déplacée à l’endroit d’un ou d’une collègue ?

L’enquêtrice au dossier, qui en est à son quatrième mandat pour Radio-Canada, refuse alors de lui dire sur quoi porte l’enquête, prétextant que d’autres personnes doivent être rencontrées. Pascale Nadeau devra attendre 51 jours avant de savoir ce qu’on lui reproche.

« Ç’a a été une torture pour moi. J’ai passé 51 jours à ne pas dormir, à ne penser qu’à ça, à me demander ce que j’avais pu faire ou dire », raconte-t-elle, encore ébranlée.

En décembre, on l’informe de la nature des allégations. « C’était un mot que j’avais dit en 2019 par rapport à un texte, un ramassis de phrases, de remarques prises hors contexte, d’allégations qui relevaient carrément de l’anecdote », juge-t-elle, ne pouvant entrer dans le détail, puisqu’un grief sera bientôt porté en arbitrage.

« La démarche a été tellement humiliante pour moi. J’avais une explication pour chaque allégation, qui pouvait être terriblement mensongère. On m’accusait de choses dont j’avais moi-même été victime en début de carrière, des choses qu’il était impossible que j’aie dites. »

— Pascale Nadeau

« Durant tout ce temps-là, j’étais encore en ondes. À regarder mes collègues en me demandant qui avait pu faire ça. J’ai su que c’était une dénonciation anonyme faite au nom d’une tierce personne. »

En février, la directrice générale de l’information, Luce Julien, la convoque à son bureau pour lui annoncer qu’on lui impose une sanction : elle sera retirée des ondes durant un mois, sans salaire ni avantages sociaux. Pour expliquer son absence, Radio-Canada affirme alors qu’elle est en congé de maladie. « J’ai menti à mon équipe pour la seule fois de ma vie », affirme Mme Nadeau.

Elle en saura finalement très peu sur les motifs ayant justifié cette enquête. Encore à ce jour, elle n’a jamais eu accès au rapport de l’enquêtrice, mis à part deux courts paragraphes.

« Ça disait que je ne faisais pas de harcèlement, que personne ne s’était senti atteint ou dénigré par mes remarques, que je ne contrevenais pas aux Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada, mais qu’il fallait accueillir la plainte.

« Et que les allégations étaient non fondées ou partiellement fondées », précise-t-elle, un an après que la plainte a été formulée.

Pour revenir en ondes, Pascale Nadeau demandait des excuses de la part de Radio-Canada et que cette sanction disciplinaire soit rayée de son dossier. Le diffuseur ayant refusé, la cheffe d’antenne a annoncé qu’elle ne reviendrait pas.

« Dans les faits, il y a tellement de façons d’écœurer quelqu’un, de faire en sorte qu’il ne veuille pas revenir. Moi, je considère que c’est ce que j’ai vécu. Si on tient à quelqu’un, c’est facile de s’excuser. »

— Pascale Nadeau

« Ce qui les préoccupait, c’est qu’on sorte un communiqué, que j’écrive une belle petite phrase pour remercier Radio-Canada et dire que j’y avais passé de belles années. Je n’ai jamais voulu jouer là-dedans », poursuit-elle.

Du côté des communications de Radio-Canada, on maintenait mardi la version selon laquelle Mme Nadeau avait informé la direction qu’elle prenait sa retraite, même si on aurait souhaité qu’elle revienne à l’antenne. En ce qui concerne la sanction, on ne veut toujours pas la commenter.

Si Pascale Nadeau parle publiquement aujourd’hui, c’est principalement pour deux raisons. D’abord, l’enquête du Soleil sur le climat jugé toxique à la station de Québec, publiée en mars dernier, l’a mise hors d’elle.

« Quand j’ai vu que les cadres de Québec, qui sont accusés de choses épouvantables, à des années-lumière de ce qu’on me reproche, ont eu droit à une médiation et qu’il n’était pas question de les suspendre, j’ai compris qu’il y avait deux poids, deux mesures. Ça m’a tellement choquée. »

Puis, elle apprend, dans une infolettre du syndicat publiée le 2 juillet dernier, que d’autres employés, comme elle, ont été sanctionnés ou congédiés « dans des cas où les faits reprochés ne méritent pas du tout ce coup de massue entre les deux yeux. Des cas souvent associés à de l’âgisme », peut-on y lire.

« J’ai vu que je n’étais pas toute seule à subir ça. Je me suis dit : “Si je peux être une voix pour ces gens-là, qui n’ont pas la même tribune que moi, bien tant mieux.” »

« Il faut dénoncer ça, ça n’a pas de sens. Si j’avais fait quelque chose de mal, je serais la première à le dire, j’admettrais mes torts. Mais on ne peut pas me reprocher de faire mon job. »

— Pascale Nadeau

Mme Nadeau déplore qu’on ne l’ait jamais abordée pour l’informer que son comportement pouvait déranger. « Je n’ai jamais eu un drapeau rouge, un avertissement. Ils n’ont même pas cherché à me sonder, à savoir s’il y avait un fond de vérité là-dedans. Ils ont préféré m’envoyer une enquête indépendante dans les pattes. »

« Je suis quelqu’un de parlable. Je suis capable de réfléchir. Est-ce que je méritais qu’on m’envoie dehors comme ça ? Non. »

Pascale Nadeau reconnaît qu’elle a pu se montrer impatiente et exigeante envers son équipe. « Une salle des nouvelles, ce n’est pas une bibliothèque. Je ne suis pas différente des autres chefs d’antenne, loin de là. Si je me suis rendue si loin dans ma carrière, c’est que j’ai toujours été rigoureuse. Je ne suis pas une tortionnaire. »

« Je suis difficile, je suis exigeante, je suis quelqu’un de passionné, je ne réfléchis pas tout le temps, mais bon Dieu, je n’insulte personne, je ne sacre après personne. Ce n’est jamais personnel, c’est toujours axé sur la rigueur. »

— Pascale Nadeau

Pascale Nadeau estime avoir toujours été fidèle et loyale envers Radio-Canada. Depuis l’annonce de sa « retraite », elle a reçu un nombre incalculable d’hommages de toutes parts, surtout du public, mais aussi de collègues, qui l’ont beaucoup émue. Elle regrette de n’avoir pu leur dire au revoir convenablement. « Je ne leur pardonnerai pas ça », dit-elle au sujet de son ex-employeur, les sanglots dans la voix.

« L’amour du public, ç’a été mon carburant. Si je n’avais pas eu ça, j’aurais peut-être abandonné. J’ai l’impression de faire partie de la famille de plein de gens. »

Pascale Nadeau ne peut faire autrement que de voir des similitudes entre son cas et celui de Wendy Mesley, qui a quitté CBC dans la tourmente, le mois dernier. « C’était une femme respectée avec un parcours impeccable. Elle a subi le même genre d’enquête que moi. Elle a été sanctionnée comme moi et elle part dans les mêmes circonstances. »

La cheffe d’antenne est-elle victime d’une rectitude politique que beaucoup déplorent dans la sphère publique ? « Peut-être qu’ils ont voulu faire de moi un cas d’exemple, que ça faisait vraiment leur affaire que je m’en aille, pour mettre quelqu’un de plus jeune. C’est leur prérogative. Mais comment se débarrasser de quelqu’un qui a un parcours sans faute ?

« Je trouve ça épouvantable ce qui se passe à Radio-Canada. C’est une dérive totale. »

Elle n’ose imaginer ce qu’en aurait pensé son père, le célèbre journaliste Pierre Nadeau, mort en 2019, et qui a passé la majeure partie de sa carrière chez le diffuseur public. « S’il savait comment ma carrière se termine, il ferait un triple salto arrière. Il serait tellement triste et trouverait ça très injuste. »

L’ancienne animatrice de Montréal ce soir et du Téléjournal Montréal ignore encore si elle refera de l’information dans un autre média. Dans l’hypothèse où Radio-Canada lui adresse des excuses, un retour chez son employeur des 33 dernières années est-il envisageable ? « Je ne ferme pas la porte, mais ça n’arrivera pas. On leur a tendu la perche je ne sais combien de fois. Ç’a été une fin de non-recevoir. Radio-Canada ne sait pas s’excuser et a toujours raison de faire ce qu’elle fait. »

Néanmoins, elle souhaite pouvoir trouver la paix après cet épisode « traumatisant ». « C’est une grosse blessure, mais il faut que j’apprenne à tourner la page. Je ne veux pas passer le restant de mes jours dans l’amertume et devenir cynique. »

« Plein de gens de la boîte m’ont écrit pour me dire qu’il y avait une vie après Radio-Canada. C’est vrai, il y a une vie après, et elle sera vraiment belle. »

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