Chronique

Vers une réforme, un jour, peut-être, à un moment donné

Les militants pour une réforme du mode de scrutin sont déçus, mais ils ne peuvent pas être surpris.

Le projet n’est pas officiellement mort, mais il est aux soins palliatifs.

Après des décennies à en débattre, il faudra bien un jour trancher. En demandant aux électeurs ce qu’ils en pensent.

Les caquistes s’étaient engagés avec les péquistes et les solidaires à adopter un mode de scrutin proportionnel mixte. Mais plus le temps avance, plus ils s’en éloignent.

Le 19 octobre, le gouvernement Legault prorogera le Parlement. Selon mes informations, le projet de loi sur cette réforme devrait être rappelé. En théorie, son étude détaillée pourrait commencer. Mais elle n’ira pas bien loin. M. Legault ne s’en cache plus, le temps manquera.

Les partisans de la réforme crient à la trahison.

Le premier ministre ne peut pas porter à lui seul le blâme. Un mode de scrutin ne se change pas sans l’approbation de l’opposition officielle. Or, les libéraux le refusent. Pour contourner cet écueil, M. Legault a proposé en début de mandat de tenir un référendum.

La réforme a ainsi été retardée, mais cela se justifiait. Après tout, trois autres provinces canadiennes avaient soumis leur réforme au vote populaire.

Un projet de loi a donc été déposé en septembre 2019, avec l’intention de l’adopter avant 2021 pour avoir le temps d’organiser un référendum le même jour que les prochaines élections. Puis la COVID-19 arriva…

Les caquistes rappellent non sans raison que cela a retardé l’étude des projets de loi. Mais ils ont aussi leur part de responsabilité.

Le travail sur la réforme aurait pu commencer avant la pandémie. Mais plusieurs caquistes n’en avaient pas envie. Ils faisaient pression auprès de M. Legault pour bloquer la réforme. Et le premier ministre a lui-même perdu de son enthousiasme pour changer le système qui lui a donné un mandat majoritaire.

D’autant plus qu’il semble croire que la population se fiche un peu, beaucoup, énormément du sujet.

En coulisses, on raconte que des caquistes ont manœuvré pour que l’opposition torpille leur réforme. Ils l’ont diluée en espérant que leurs rivaux concluent que le statu quo serait préférable à une proportionnelle mal conçue. Mais chaque fois, l’opposition s’est montrée ouverte.

Leur main est restée tendue dans le vide et le temps file.

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Il me semble qu’un compromis serait encore possible.

S’ils veulent montrer leur bonne foi, les caquistes pourraient adopter le projet de loi avant juin 2022, ou du moins en avancer l’étude autant que possible pour pouvoir organiser un référendum tôt sous la prochaine législature.

Mais c’est mal parti. La dernière ligne droite du mandat caquiste a commencé. Les commissions parlementaires rouleront à pleine vapeur pour que les projets prioritaires avancent, et celui-là n’en fait pas partie.

Pour chaque loi, M. Legault dira : auriez-vous préféré qu’on réforme le mode de scrutin au lieu de travailler sur des priorités comme un tribunal spécialisé pour les agressions sexuelles ?

Reste que la démocratie fait également partie des vraies affaires.

Le projet caquiste fixerait un seuil de 10 % pour élire des députés selon une liste proportionnelle. Cette barrière élevée aurait bloqué Québec solidaire en 2008. Le redécoupage de la carte électorale nuirait aussi aux petits partis et avantagerait la CAQ.

Cette ruse a été critiquée, mais elle a aussi des avantages. Dans un gouvernement minoritaire où une poignée de sièges séparent le parti au pouvoir de l’opposition officielle, un tiers parti peut exercer une influence démesurée. C’est une chose de souhaiter, au nom de la démocratie, que ces électeurs soient représentés. C’en est une autre de courir le risque de leur donner une influence circonstancielle allant bien au-delà de leur nombre d’électeurs.

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Ce qui se passe au fédéral devrait faire réfléchir tout le monde. On le sait, Justin Trudeau a renié sa promesse en 2015 de réformer le mode de scrutin. Mais il a aussi montré qu’il n’avait jamais pris au sérieux l’esprit de la réforme : favoriser la concertation entre les partis pour mieux représenter tous les électeurs. Si c’était le cas, il n’aurait pas déclenché des élections inutiles en août dernier.

La proportionnelle vise à rendre la députation plus représentative de la volonté des électeurs, mais aussi à inciter les partis à collaborer davantage entre eux.

M. Legault le faisait avec brio au début de la pandémie. Depuis quelques semaines, il utilise un ton partisan de précampagne électorale. Certes, son impressionnant taux de satisfaction montre qu’il doit faire quelque chose de bien. Mais il ne devrait pas oublier que seulement 24 % des électeurs inscrits ont appuyé son parti. Cela lui a donné 74 députés. Avec moins du quart des votes, il a obtenu la majorité des sièges.

Le premier ministre pourrait montrer au moins qu’il respecte encore l’esprit de la réforme et qu’il écoute les électeurs représentés par l’opposition.

Et s’il gagne les prochaines élections, comme les sondages le laissent entrevoir, il devrait donner le dernier mot aux citoyens avant 2026. Pour qu’après des décennies de débats entre initiés, la population se prononce et tranche, enfin.

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