Société

Se réparer grâce à son chien

Au Québec, même s’ils sont plus nombreux que par le passé, les refuges pour personnes en situation d’itinérance qui acceptent les chiens demeurent insuffisants et inadéquats, constate la chercheuse Caroline Leblanc. Cette dernière a consacré son mémoire de maîtrise aux bienfaits que peut avoir l’animal sur la personne sans-abri dans son processus de réaffiliation sociale. 

« Je ne valorise pas le fait que les gens dans la rue aient des animaux, je veux être claire là-dessus, tient  à préciser Caroline Leblanc d’entrée de jeu. Ce que je souhaite, c’est que les organismes considèrent et comprennent davantage l’influence de l’animal sur la trajectoire de la personne dans leurs interventions. »  

Les chiens peuvent être un obstacle à la réinsertion des personnes vivant dans la rue parce que plusieurs organismes ne les acceptent pas, alors qu’un animal de compagnie peut être une bonne raison de vouloir s’en sortir. Une relation qui peut faire toute la différence, mais celle-ci n’est pas assez prise en considération et ses impacts sur la personne ne sont pas encore assez considérés. C’est le constat général qui ressort des études de terrain de Mme Leblanc, qui a mené des entrevues auprès de neuf personnes en situation d’itinérance, à partir du moment où elles ont eu l’animal dans leur vie jusqu’à leur processus de sortie de la rue. 

Désaffiliation sociale  

« On ne parle pas de zoothérapie ici, affirme Mme Leblanc. Ça, c’est quand un intervenant va vers les personnes avec son propre animal. Je parle ici d’une personne qui peut grandir et faire des prises de conscience grâce à la relation quotidienne qu’elle a avec son animal. »  

Parmi ses observations, elle donne en exemple une personne qui crie constamment après son chien. Au fil du temps, elle se rendra compte que son animal n’est pas bien avec le ton qu’elle utilise. Ce constat a eu le potentiel de changer ce comportement chez l’individu et de le transposer dans ses relations sociales, puisque le lien avec son chien est « l’un des plus forts que la personne a développés avec un autre être vivant ».  

La chercheuse cite un autre phénomène documenté dans ses recherches en suivant dans le temps ces personnes en situation d’itinérance.

« Si le chien est toujours calme devant une situation X et que la personne est toujours agitée et agressive, l’animal peut être une source d’inspiration pour changer ce comportement. »

— Caroline Leblanc, candidate au doctorat en santé communautaire à l’Université de Sherbrooke

Elle illustre par ailleurs le cas de cette personne qui a cherché à stabiliser sa vie le temps que son vieux chien puisse vivre ses derniers jours tranquille. « Elle se disait qu’elle allait reprendre le chemin de la rue après cet épisode. Finalement, elle ne l’a jamais repris, ce chemin. » 

Des exemples comme ça, elle en a recensé de nombreux par le biais des expériences de vie de ses neufs « sujets de recherche ». 

Chien et refuges 

Depuis quelques années, les organismes communautaires sont plus sensibles à la relation chien-maître en  situation d’itinérance. Selon Caroline Leblanc, plusieurs facteurs ont contribué à améliorer les services d’urgence en ce sens : « Le fait qu’on ait plus parlé des haltes-chaleur pendant la pandémie. En plus d’un épisode où un chien est mort de froid dans les bras de son maître parce qu’il n’a pas eu accès à la bouche de métro. Ajoutons à cela les résultats de ma recherche et de celles sur les facteurs d’exclusion, dont l’animal, sont parmi les éléments qui ont contribué à plus d’adaptation et d’ouverture du milieu communautaire. »  

Si un nombre croissant d’organismes acceptent les chiens, il reste que les refuges d’urgence pour personnes en situation d’itinérance sont encore insuffisants, mais surtout inadéquats. Le cadre réglementaire peut être lourd, la sécurité de l’animal et celle des autres résidants compromises et le seuil d’acceptabilité trop élevé, estime la chercheuse. 

« Il y a des règles d’encadrement inimaginables qui font en sorte que l’animal n’est pas nécessairement bien dans ce contexte-là. Et le maître, souvent, ne va pas aller dans ce type de refuge parce qu’il ne veut pas insécuriser son animal », explique Caroline Leblanc. Ce n’est pas parce qu’un refuge accepte les chiens que c’est un environnement adéquat pour le maître et l’animal, rappelle-t-elle.  

Se réparer 

S’occuper d’un animal quand on est dans la rue peut être un obstacle considérable, certes, mais il peut être une manière pour la personne de se réparer. « [Ces personnes] ont été brisées à travers leurs relations antérieures, mais il y a quelque chose de particulier en ce sens qu’elles se sentent importantes pour un autre individu, explique-t-elle. C’est la reconstruction dans la confiance en un autre être vivant, d’un amour inconditionnel, comme premier pas vers la sortie de rue. »

Un effet à long terme que la chercheuse a pu observer dans le cadre de cette recherche est le lien de parentalité entre des personnes ayant connu la rue et leur chien. « Quand tu es dans la rue avec un animal, tu dois, pour son bien-être, faire des concessions. Le fait de mettre les besoins de l’animal avant les tiens, tout ça est transposable éventuellement quand tu deviens parent », dit-elle. 

Ce constat est ressorti après que trois des neuf personnes qu’elle a suivies dans le cadre de sa recherche soient devenues parents. « Ces trois personnes ne se connaissaient pas, précise-t-elle, et je n’ai pas posé de questions en ce sens. Elles m’ont toutes fait part du lien entre la rue, l’animal et la parentalité. »  

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