L’édito vous répond

L’obsession ukrainienne de Poutine

« Pourquoi l’Ukraine est-elle si problématique pour la Russie avec l’OTAN, tandis que l’Estonie, qui est déjà dans l’OTAN et plus près de Saint-Pétersbourg, ne l’est pas ? »

— Luc Boutin

D’entrée de jeu, précisons qu’il y a une différence majeure entre les anciennes républiques soviétiques qui sont déjà dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et les autres.

Les trois pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) qui ont adhéré à l’OTAN en 2004 jouissent, en vertu de l’article 5 du traité, d’une protection contre toute agression.

Cet article assure que si l’un des 29 membres de l’alliance militaire est attaqué, les autres (y compris le Canada et notre puissant voisin américain) vont tous se porter à sa défense.

Tous pour un et un pour tous, en quelque sorte.

En 2014, Barack Obama avait déclaré publiquement que les trois capitales des pays baltes, Tallinn, Riga et Vilnius, étaient aussi importantes « à protéger que Berlin, Paris et Londres ».

La protection offerte par l’article 5 est assurément à même de refroidir les ambitions du président russe Vladimir Poutine…

Cela dit, pour répondre à votre question, il est important de préciser que la Russie n’a pas non plus aimé voir les trois pays baltes se joindre à l’OTAN.

Mais à l’époque, « la Russie n’avait tout simplement pas les moyens de s’opposer à cette adhésion », rappelle Ekaterina Piskunova, qui enseigne au département de sciences politiques de l’Université de Montréal et se spécialise en politique étrangère russe et relations russo-américaines.

L’écart entre la puissance russe du début des années 2000 et celle d’aujourd’hui fait donc partie de l’équation.

Mais le portrait ne serait pas complet si on s’arrêtait là.

Le monde d’aujourd’hui est dominé par les questions identitaires, et cette région du globe n’échappe pas à cette tendance lourde.

« Du point de vue russe, tel qu’il est projeté par le régime et largement soutenu par la population, non seulement l’Ukraine a une histoire commune avec la Russie, mais les Ukrainiens et les Russes forment aussi un seul peuple », explique Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa.

Vladimir Poutine a même publié un long texte à ce sujet l’été dernier sur son site web, rappelle l’expert.

Ce qui ne signifie toutefois pas que la majorité de la population ukrainienne partage l’avis du président russe, cela dit.

Ce qui est indiscutable, en revanche, c’est que l’histoire de la Russie et celle de l’Ukraine sont liées. La Russie kiévienne, entre le IXe et le XIIIe siècle, était un territoire qui engloberait aujourd’hui des pans des deux pays.

Il y a donc une communauté historique partagée, mais aussi « une communauté linguistique, une communauté religieuse, une communauté économique et une communauté familiale », souligne Ekaterina Piskunova.

En ce sens, la situation de l’Estonie est également bien différente de celle de l’Ukraine.

« Même s’il y a une certaine histoire commune entre la Russie et les républiques baltes, ce n’est pas la même chose sur le plan identitaire, car la culture dominante était allemande. Il y a un passé commun historique qui n’est pas identitaire », précise Dominique Arel.

Sans compter l’explication purement géopolitique.

« On parle de l’importance de la frontière avec l’Ukraine, de la longueur de cette frontière et de la difficulté de la protéger », ajoute Ekaterina Piskunova, qui estime aussi que le changement de politique étrangère de la part de Moscou est utile pour comprendre ce qui se passe actuellement.

La Russie est plus que jamais à couteaux tirés avec l’Occident et tout éventuel élargissement de l’OTAN est vu par Vladimir Poutine comme un affront et une menace.

Il nous reste à espérer, malgré l’escalade, que la diplomatie triomphera et qu’on évitera un conflit armé d’envergure.

L’édito vous répond

Le fédéral et la liberté universitaire

« Votre éditorial qui plaide que la CAQ écorche la liberté universitaire avec son programme d’appui à la laïcité dénonce une dérive, mais passe sous silence le fait que le fédéral fait la même chose avec des fonds plus importants. N’y a-t-il pas là deux poids, deux mesures ? »

Les commentaires de ce genre ont été nombreux à la suite de notre éditorial publié la semaine dernière.

La question mérite d’être creusée.

Les principales récriminations envers le financement fédéral concernent le « plan d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion » créé par les libéraux en 2017. Il vise à s’attaquer à la sous-représentation de quatre groupes – femmes, personnes handicapées, autochtones et minorités visibles – en recherche.

Aujourd’hui, tout chercheur qui veut obtenir des fonds de recherche fédéraux doit expliquer comment il compte atteindre les « critères EDI » (pour équité, diversité et inclusion) dans son équipe. Les universités doivent aussi offrir des formations et se doter de cibles en ce sens.

Les critiques visent aussi le programme de Chaires de recherche du Canada, qui fait également une large place aux « critères EDI ». Un exemple : l’automne dernier, l’Université Laval a annoncé un poste de titulaire de chaire de recherche en littérature française uniquement ouvert aux femmes, aux autochtones, aux personnes en situation de handicap ou à celles appartenant aux minorités visibles. L’Université a pris soin de préciser que ces critères n’étaient pas les siens, mais bien ceux du fédéral.

Ces initiatives ne sortent évidemment pas de nulle part. En 2002, deux ans après le lancement des Chaires de recherche du Canada, on a réalisé qu’à peine 15 % d’entre elles avaient été attribuées à des femmes.

En 2018, une recherche de l’Université McGill a aussi montré qu’à compétences égales, les chercheuses canadiennes ont moins de chances d’obtenir du financement que leurs collègues masculins.

À peu près personne ne remet donc en question la volonté de créer un milieu de la recherche équitable. Le débat est de savoir si les moyens sont les bons et s’ils vont trop loin. Ces controverses font écho à celles qui secouent les universités autour de ce qu’on appelle la « culture woke ».

Certains chercheurs affirment aujourd’hui que les fameux critères EDI sont érigés en idéologie et interfèrent avec leur liberté universitaire. L’embauche d’étudiants, par exemple, ne se ferait plus au mérite, mais en fonction de ces critères.

De nombreux chercheurs nous ont confié se plier aux règles et écrire dans leurs demandes de subventions ce que les agences fédérales veulent y retrouver. Ceux qui défient ce principe jouent, délibérément ou non, avec le feu. C’est le cas du professeur de chimie de McGill Patanjali Kambhampati, qui a écrit vouloir engager les membres de son équipe uniquement sur la base de leurs qualifications. Sans surprise, sa demande de bourse a été refusée.

Certains chercheurs ont également l’impression que certaines recherches sont devenues impossibles à financer. Celles qui voudraient jeter un regard critique sur le multiculturalisme ou le racisme systémique, par exemple, ne cadreraient plus avec l’idéologie en place. Ces allégations sont difficiles à démontrer, mais elles sont troublantes et doivent être examinées.

La recherche sur les Autochtones financée par le fédéral est aussi étroitement balisée. On précise qu’elle doit être menée « par et avec » les communautés et que celles-ci doivent « participer à l’interprétation des données et à l’examen des résultats de la recherche ». Ça va très loin. Des chercheurs qui mènent des recherches sur les Autochtones nous ont toutefois dit juger ces balises justifiées et tout à fait possibles à respecter.

Si elles s’avèrent, les dérives fédérales sont moins patentes (certains diront moins malhabiles) que celle du programme provincial d’appui à la laïcité. Dans ce cas, les demandes étaient évaluées par des fonctionnaires et non des pairs, et l’objectif avoué était de « promouvoir » un modèle précis de laïcité (un verbe qui ne cadre pas dans la définition de tâches d’un chercheur).

Mais ces débats, on le sent bien, sont loin d’être terminés. Considérant les biais du passé, il est normal que les fonds publics s’accompagnent de certaines obligations. D’un autre côté, il faut bien constater que le malaise dans les universités est réel.

Dans son rapport publié en décembre dernier, la Commission scientifique et technique sur la liberté académique québécoise s’interrogeait d’ailleurs sur les « tendances récentes à ajouter aux demandes d’octroi de subventions des conditions non académiques ».

La Commission ne fait pas de recommandations touchant le fédéral parce que ça dépasse son mandat. Mais si le Québec se dote d’une loi sur la liberté universitaire et que les universités forment des comités sur la question, comme c’est recommandé, cela pourrait contribuer à mettre en lumière d’éventuels problèmes dans l’attribution des fonds fédéraux.

Souhaitons en tout cas qu’on aille au fond des choses. Parce que toutes les accusations d’attaque contre la liberté universitaire doivent être prises au sérieux.

L’édito vous répond

Les leçons de l’interminable attente des voyageurs

« J’aimerais savoir si le FICAV a commencé à rembourser les clients pour les forfaits voyage annulés en raison de la COVID-19. Où en est-il ? »

— Monique Lavallée

Pour des raisons techniques, le texte de cette réponse publiée la semaine dernière a été amputé de moitié. Voici le texte complet. Nos excuses.

Interminable ! Le mot est faible pour décrire l’attente des voyageurs qui ont présenté une réclamation au Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV).

Après 22 mois, de nombreux clients dont le voyage a été annulé à cause de la pandémie n’ont toujours pas vu la couleur de leur argent. Mais il faut dire que le FICAV, qui dépend de Québec, a lui-même été retardé par Ottawa qui a mis un temps fou à réagir.

Petit rappel : alors que les autorités américaines et européennes ont rapidement ordonné aux transporteurs le remboursement de la clientèle, au début de la pandémie, l’Office des transports du Canada (OTC) a plutôt volé à la défense des transporteurs qui se sont contentés d’offrir des crédits voyage. Cette pseudosolution a d’ailleurs servi d’excuse à certains assureurs pour refuser eux aussi d’indemniser la clientèle qui s’est retrouvée prise entre l’arbre et l’écorce.

Des voyageurs ont été pris en otages pendant plus d’un an avant qu’Ottawa change son fusil d’épaule et force les transporteurs à les rembourser, en échange d’un plan de sauvetage de plusieurs milliards de dollars.

Pendant tout ce temps, le FICAV attendait qu’Ottawa se branche. Ce n’est qu’à partir d’octobre dernier qu’il a envoyé des formulaires aux réclamants pour leur demander de mettre leur dossier à jour afin de démêler ce qui leur avait été remboursé par une tierce partie de ce qu’ils réclamaient toujours.

Malheureusement, 59 % des 36 000 réclamants à qui le FICAV a envoyé un courriel n’ont pas répondu, ce qui bloque le traitement de leur dossier. De plus, 17 % ont annulé leur demande. Et 24 % ont transmis leur formulaire.

À ce jour, le FICAV a versé 4,9 millions de dollars à 2089 réclamants. Alléluia !

Mais ce feuilleton qui n’est pas encore terminé démontre qu’il faut revoir les règles du jeu. « Nous devons trouver des solutions durables pour permettre à l’industrie de se relever et de prévoir ce type de crise dans le futur », estime Jacob Charbonneau, président de Vol en retard.

D’abord, il faut améliorer la Charte des voyageurs qui est entrée en vigueur quelques mois avant la pandémie. Ce baptême du feu a prouvé que la Charte est beaucoup trop compliquée et protège davantage les transporteurs que leurs passagers.

Mais ensuite, pourquoi ne pas créer un fonds d’indemnisation pancanadien sur le modèle du FICAV ? Un tel fonds permettrait d’indemniser les voyageurs lésés à partir des contributions qu’ils ont eux-mêmes versées au fil des ans, plutôt qu’avec l’argent des contribuables.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.