Société

Raconter la dépression postpartum

« Le photographe avait été fin, parce qu’il avait réussi quand même à me mettre avec Naël. Mais on voit bien qu’en réalité, c’est Alexis qui le porte, c’est Alexis qui est à l’aise avec lui. Je n’ai même pas encore la force de le porter dans mes bras. »

Assise dans son appartement du quartier La Petite-Patrie, à Montréal, Léa Lefevre-Radelli regarde les photos que La Presse avait prises d’elle, en mars 2021.

Ça fait un an. Son premier enfant, Naël, n’avait pas encore 3 semaines. À l’époque, elle n’en avait pas encore pris conscience, mais Léa en est certaine, aujourd’hui : elle souffrait d’une dépression postpartum.

De l’automne 2020 au printemps 2021, La Presse avait suivi régulièrement Léa et son conjoint, Alexis-Michel Schmitt-Cadet, pour documenter la grossesse en temps de pandémie. Le couple, d’origine française, avait vécu cette grossesse loin des siens, séparé par un océan, isolé par les mesures sanitaires.

Léa se souvient très bien de la façon dont elle se sentait lorsque ces photos ont été prises.

« Je regarde Alexis et Naël avoir leur belle relation, et je me sens impuissante, je me semble à l’extérieur de cette belle relation facile qu’ils ont, tous les deux. »

— Léa Lefevre-Radelli, qui a souffert d'une dépression postpartum

Léa remarque aussi les marques sur ses bras, symbole de cet accouchement difficile qui a été induit et qui s’est soldé par une césarienne d’urgence et une déchirure musculaire à une jambe. Elle revenait tout juste d’un séjour à l’hôpital pour soigner une infection à sa cicatrice.

« Je suis restée longtemps avec cette sensation que mon corps ne m’appartenait plus, dit-elle, cette sensation d’être complètement prise dans les fils, les seringues, les solutés. »

Un texte libérateur

La Presse a repris contact avec Léa après avoir lu un de ses textes sur les réseaux sociaux. Elle y raconte les premières semaines de sa vie de maman, qui ont été dures, très dures.

Naël est né en février 2021, en pleine deuxième vague de COVID-19, lorsque le couvre-feu au Québec était à 20 h et que les rassemblements n’étaient possibles qu’à l’extérieur. Léa aurait tellement aimé que sa mère vienne l’aider, mais les résidants français ne pouvaient sortir du territoire à moins d’un « motif impérieux ». Et aider sa fille qui venait d’accoucher n’en était pas un.

Parce qu’elle était isolée, Léa n’a jamais vraiment eu l’occasion de raconter son accouchement, de mettre en mots ce qui lui est arrivé. C’était douloureux, aussi, d’en parler. Elle craignait de ne pas être comprise.

Après avoir écrit son texte, Léa a parlé à une proche, qui souffre de dépression, et qui lui a dit une phrase qui a résonné en elle. Le matin, quand je me réveille, c’est le cauchemar qui recommence. « C’est exactement ce que j’ai vécu les premières semaines après l’accouchement, dit Léa. Mais moi, ce n’était pas tous les matins, c’était toutes les trois heures, quand je devais me réveiller pour allaiter. »

Manque de soutien

Écrire lui a fait du bien. Elle a pu en parler à Alexis, son conjoint. Et elle a beaucoup réfléchi, aussi.

La solitude dont elle a souffert dépasse le cadre de la pandémie, estime Léa Lefevre-Radelli, employée d’une université montréalaise. À ses yeux, il faut chercher les causes de la dépression postpartum « dans la manière dont la société et le système de santé traitent (ou ne traitent pas) les femmes qui ont accouché ».

Léa montre du doigt un mythe selon lequel s’occuper d’un nouveau-né est quelque chose d’instinctif et de naturel pour toutes les femmes. Que les femmes sont toutes portées par un amour infini et instantané qui compense la fatigue et les séquelles de l’accouchement.

« Un, ça génère de la culpabilité et un sentiment de ne pas fitter, dit Léa. Et deux, ça fait qu’il n’y a pas les ressources appropriées, parce qu’on croit que les femmes n’en ont pas besoin. »

Léa aurait voulu, à l’hôpital, qu’une infirmière lui prenne la main et lui demande comment elle va. Elle aurait aimé qu’on lui offre un soutien psychologique. Elle aurait souhaité qu’on lui offre des soins à domicile pour soigner sa plaie de césarienne, qu’on l’avertisse que sa montée de lait pourrait prendre un temps à arriver, que l’État couvre la rééducation périnéale.

« J’ai eu l’impression de ne plus avoir d’existence. Le bébé va bien ? Bye. »

— Léa Lefevre-Radelli, qui a souffert d'une dépression postpartum

Alors qu’Alexis était complimenté de toute part, Léa aurait aussi eu besoin de se faire dire qu’elle était bonne, elle aussi. Un jour, une ostéopathe l’a félicitée de bercer Naël en écharpe. Elle s’en souvient encore tellement ça lui a fait plaisir.

C’est le portage, d’ailleurs, qui l’a aidée à développer son sentiment de compétence comme mère. Ça lui a fait aussi un bien énorme d’aller en France pendant l’été pour voir sa famille. Mais ce qui lui a vraiment permis d’aller mieux, c’est quand Naël a commencé la garderie, à l’âge de 7 mois. Elle a dormi, beaucoup. Elle a pu commencer à faire des choses, pour elle, pour se soigner.

Naël a 14 mois aujourd’hui. C’est un garçon sociable, souriant, qui découvre le monde. « Je ne sens pas que c’est une contrainte, qu’il faut qu’il soit dans mes bras sinon il pleure. On a du fun, ensemble. » Léa est heureuse de retrouver cet espace de mouvement dont elle a besoin, finalement.

On ose lui poser la question : veut-elle un autre enfant ?

« On y pense, oui, dit-elle. Et maintenant, je sais que le stade de bébé, il passe. »

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