Fusions municipales

oui, je le veux

Une vingtaine de municipalités québécoises s’apprêtent à se fusionner, ou étudient sérieusement ce scénario. Plusieurs autres y réfléchissent. Et contrairement aux mariages forcés qui ont suscité tant de résistance au début des années 2000, ces nouvelles fusions ont des allures de mariages de raison.

« On veut améliorer l’ avenir de nos citoyens »

Saint-Roch-des-Aulnaies — Avec son domaine seigneurial et ses belles maisons anciennes, Saint-Roch-des-Aulnaies a le charme tranquille des villages riverains. On est ici au cœur de la Côte-du-Sud, à l’est de Québec, une région historique dont les colons français cultivaient déjà les terres au XVIIsiècle.

D’ici deux ans, toutefois, ce village d’un peu moins de 1000 habitants se fondra probablement dans une grande ville.

Saint-Roch est un exemple éloquent de ce nouveau vent de fusions qui souffle sur le Québec. Son conseil municipal étudie non pas un, mais deux mariages potentiels.

« Que ce soit vers l’est ou vers l’ouest, je suis convaincu qu’on ne peut pas perdre. On peut juste gagner à sécuriser un meilleur avenir », soutient son maire, André Simard.

Le premier scénario à l’étude est celui d’un regroupement à quatre vers l’ouest, avec Saint-Jean-Port-Joli, L’Islet et Saint-Aubert, dans la MRC de L’Islet. Mais quand, à l’est, six membres de la MRC de Kamouraska (La Pocatière, Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Saint-Onésime-d’Ixworth, Saint-Denis-De La Bouteillerie, Rivière-Ouelle et Saint-Pacôme) ont lancé une étude à leur tour, Saint-Roch s’est joint à l’exercice.

Si des résidants de Saint-Roch fréquentent les commerces et services de Saint-Jean-Port-Joli, beaucoup vont plutôt à La Pocatière. Les élus veulent donc pouvoir donner l’heure juste sur les conséquences des deux regroupements, et du statu quo.

« On est en concurrence de main-d’œuvre extrême avec les grands centres urbains, ça va être de plus en plus difficile d’attirer des ressources et de bien les payer. »

Signe des temps, Saint-Pacôme et Rivière-Ouelle se partageront bientôt leur directrice générale – un précédent dont tout le monde nous a parlé dans la région.

Saint-Roch, lui, partage son inspectrice municipale avec Saint-Jean-Port-Joli, mais pour le maire André Simard, il faut voir plus loin. « Les ententes de services, c’est normal qu’on en ait, mais c’est fragile, parce que ça se fait et se défait. Il faut aller au fond des choses. »

« Plus pesant »

À une quinzaine de minutes de là, le maire de La Pocatière, Vincent Bérubé, est tout aussi convaincu.

« Quand on parle pour 12 000 personnes, on est plus pesant que pour 4000 », dit-il en évoquant la capacité de la région à attirer des jeunes familles, des commerces de proximité et des subventions pour les infrastructures de loisirs – comme le complexe multisports que La Pocatière souhaite aménager dans son ancien aréna.

La première étape, qui consiste à réaliser des études financées par Québec pour documenter les conséquences d’un regroupement, devrait être terminée au printemps, tant pour ce scénario à sept dans le Kamouraska que pour celui à quatre, dans L’Islet.

De tels regroupements sont aussi à l’étude dans au moins deux autres régions. À ce stade, les citoyens ne posent pratiquement pas de questions, nous ont dit les maires interrogés. On est loin du déchirage de chemises provoqué par les fusions forcées du début des années 2000.

Le scénario à sept dans le Kamouraska comporte néanmoins une inconnue de taille : Sainte-Anne-de-la-Pocatière, qui a déjà voté massivement contre une fusion avec La Pocatière. Au référendum de 1999, le « non » l’a emporté par près de 77 % des voix (579 sur 756).

« Dans le temps, on était contre la fusion : j’ai sûrement voté contre », reconnaît le maire de Sainte-Anne, Jean-François Pelletier.

Sainte-Anne et La Pocatière ont déjà formé une seule municipalité. Elles se sont séparées en 1960, mais sont restées liées par la géographie, puisque Sainte-Anne encercle La Pocatière.

La gare de La Pocatière, d’où l’on peut prendre le train jusqu’à Montréal, se trouve d’ailleurs à Sainte-Anne. Par contre, les maisons qui lui font face, sur l’avenue de la Gare, sont situées à La Pocatière.

Bref, la frontière entre les deux municipalités est invisible. Mais si jamais Sainte-Anne rejette encore la fusion, Saint-Roch sera automatiquement exclu du regroupement avec La Pocatière, puisque Sainte-Anne se dresse entre les deux.

« Je pense que les choses ont beaucoup évolué. Il y a beaucoup de services qu’on commence à partager », souligne le maire de Sainte-Anne.

Au volant de son autobus jaune, c’est à La Pocatière qu’il conduit les élèves, puisque sa municipalité n’a pas d’école. Sainte-Anne a aussi une entente pour utiliser la bibliothèque et les services de loisirs de La Pocatière – et d’autres ententes à plusieurs municipalités pour les services de pompiers et de collecte des matières résiduelles.

« Ça me fait penser aux caisses populaires, dont j’ai été longtemps administrateur. J’ai participé à trois tours de fusions dans le coin : les caisses se sont dit qu’elles seraient peut-être bien plus fortes ensemble qu’en se concurrençant et en payant des affaires en double ! »

Les études financées par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) ne sont qu’une première étape. Les regroupements municipaux sont de longs chemins semés de questions. Qu’arrivera-t-il, par exemple, si Saint-Roch-des-Aulnaies choisit La Pocatière et, ce faisant, quitte la MRC de L’Islet pour celle de Kamouraska ?

« À long terme, ça va paraître dans notre MRC de L’Islet si on perd une municipalité », signale le maire de Saint-Aubert, Ghislain Deschênes.

Cordes sensibles

Autre inconnue de taille : combien se rendront au fil d’arrivée ? Dans les autres régions, on voit surtout des projets de mariage à deux. Et sur la Côte-du-Sud, certains ont déjà quitté le navire.

Sainte-Louise, dans la MRC de L’Islet, s’est retirée de l’étude en juin dernier. Le maire était encore intéressé, mais s’est rallié au reste du conseil.

« Le sentiment d’appartenance est encore très fort autour de la table. Je ne veux pas dire “esprit de clocher”, mais on pense qu’on est capables de continuer par nous-mêmes encore un bout », explique Normand Dubé.

Saint-Gabriel-Lalemant s’est aussi retiré du projet dans le Kamouraska.

Même si les perspectives de fusions font actuellement peu de vagues, les élus savent qu’ils touchent des cordes sensibles.

« Le but n’est pas que La Pocatière avale les autres municipalités, c’est d’en arriver à un consensus global. L’intention, c’est de faire en sorte que les villes et les municipalités autour gardent leurs services de proximité », assure le maire Vincent Bérubé.

Le nom de Saint-Roch-des-Aulnaies, qui a d’abord été celui d’une seigneurie, est dans le paysage de la Côte-du-Sud depuis 1656. « Cette appartenance, cette identité, on ne voit pas pourquoi ça s’arrêterait dans l’histoire », plaide le maire André Simard.

Saint-Roch-des-Aulnaies devrait figurer en gros caractères sur les panneaux de signalisation, et le nom de la ville fusionnée entre parenthèses en dessous, dit-il.

« J’entends bien faire les batailles qu’il faudra pour faire changer les règles. Ce qu’on veut, c’est améliorer l’avenir de nos citoyens, pas leur faire perdre leur identité. »

Exit, le mot qui commence par un F

Même si Québec soutient les fusions (20,1 millions sur cinq ans au dernier budget), le mot est devenu tabou. « Fusion » n’apparaît qu’une fois dans le Guide sur le regroupement de municipalités, contre presque 200 fois pour « regroupement » et ses dérivés. Et le scénario doit être étudié « sur une base volontaire et consensuelle ». « Politiquement, ils n’ont pas d’intérêt à pousser. Ce qu’on sait des fusions d’il y a une vingtaine d’années, c’est qu’il y a une très grande résistance de la population », rappelle Jean-Philippe Meloche, directeur de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. « Les fusions des années 2000 étaient fondées sur des hypothèses d’économies d’échelle absolument farfelues, ce qui non seulement ne s’est jamais avéré, mais a entraîné l’inverse », rappelle l’économiste François Des Rosiers, du Centre de recherche en aménagement et développement de l’Université Laval. « En dessous de 5000 habitants, je pense que c’est logique d’envisager cela comme solution pour optimiser la gestion, la production et la distribution des services », estime-t-il toutefois.

L’Ontario, plus populeuse, compte seulement 444 municipalités, contre 1106 au Québec. Avons-nous trop de villages ? Malgré les recherches, « on n’a pas de preuves que les petites municipalités ne fonctionnent pas bien [ni] de preuve empirique sérieuse donnant à penser que si c’était tout fusionné, ça irait vraiment mieux », dit M. Meloche.

Vague de mariages

Les quelque 800 habitants de Courcelles, en Estrie, deviendront bientôt beaucerons. La municipalité s’apprête en effet à quitter la MRC du Granit pour intégrer celle de Beauce-Sartigan. Un changement convoité depuis « plus de 25 ans », raconte le maire, Francis Bélanger.

« La première demande officielle date de 1997. À l’époque, un transfert de MRC, ça prenait l’accord de la MRC que l’on quittait. Chose qui n’a jamais fait l’affaire de la MRC du Granit, donc c’est évident qu’elle n’allait jamais être d’accord. »

Quitter sa MRC pour la voisine ? Jusqu’à récemment, c’était une pratique rare. Depuis 2010, une seule a sauté la clôture, montrent les données du ministère des Affaires municipales. Notre-Dame-de-la-Salette, en Outaouais, est passée de la MRC des Collines à la MRC de Papineau.

Aller vers la Beauce est pourtant « naturel » pour les Courcellois, qui y utilisent beaucoup de services et y ont de la famille, plaide le maire. Un projet de fusion a donc été élaboré avec un voisin beauceron, Saint-Évariste-de-Forsyth, qui compte près de 600 habitants.

« Ce qui est le fun, c’est qu’il n’y a pas de dominant-dominé. Nos forces sont dans les travaux publics ; Saint-Évariste, c’est plus dans l’administration. Il y a une piscine dans leur municipalité, et nous, on a un aréna. On est vraiment complémentaires. »

Le transfert n’est pourtant pas passé comme une lettre à la poste.

Aux audiences publiques de la Commission municipale du Québec (CMQ), la MRC du Granit et deux organisations économiques s’y sont vivement opposées. Et lorsque Québec a donné le feu vert à la fusion, Courcelles et la MRC du Granit ont eu besoin d’un conciliateur pour régler les détails de leur séparation.

Une pétition contre la fusion de près de 320 noms avait aussi été envoyée au cabinet de la ministre des Affaires municipales l’an dernier. Mais comme c’était bien avant l’examen de la CMQ, celle-ci n’en a pas tenu compte dans son rapport, soulignant qu’elle ne connaissait « ni la méthodologie, ni l’authenticité et la fiabilité des résultats » de cette pétition. « C’est avec un certain étonnement que la Commission constate le peu d’opinions exprimées contre le projet » durant les audiences, a d’ailleurs relevé la CMQ.

La municipalité regroupée s’appellera Courcelles–Saint-Évariste, mais une consultation pourrait être organisée pour trouver un nouveau nom. Quant aux deux maires, ils s’échangeront les rôles de maire et maire suppléant en alternance d’ici aux élections de 2025.

Un autre mariage impliquant deux MRC, celui des villages de Saint-Guy et de Lac-des-Aigles dans le Bas-Saint-Laurent, a récemment reçu la bénédiction de la CMQ.

La MRC des Basques, qui refusait de perdre les 53 habitants de Saint-Guy au profit de la MRC de Témiscouata, avait déposé une pétition de 32 noms. Mais là encore, « uniquement deux signataires de la pétition se sont manifestés lors de l’audience publique », a signalé la CMQ.

Lever la « gratte »

Dans le Bas-Saint-Laurent, Trois-Pistoles et Notre-Dame-des-Neiges avaient envisagé la fusion au début des années 2010, mais le taux de taxation plus élevé de la première avait effarouché la seconde.

Les maires actuels ont rouvert le dossier, et obtenu l’aide du ministère des Affaires municipales pour étudier divers scénarios, allant du regroupement de services au regroupement intégral.

« On est vraiment sincères. Cette fois, on se rend au bout, il n’est pas question d’arrêter en chemin », assure le maire de Notre-Dame, Jean-Marie Dugas.

Comme La Pocatière et Sainte-Anne-de-la-Pocatière (voir autre texte), les deux municipalités n’en formaient à l’origine qu’une seule, jusqu’à ce que Trois-Pistoles se détache de Notre-Dame, en 1916. « Si vous regardez sur une carte, on est un fer à cheval, on fait le tour de Trois-Pistoles », souligne Jean-Marie Dugas.

En hiver, ses cols bleus sont obligés de traverser des sections de Trois-Pistoles sans les déneiger. « On doit lever la gratte parce qu’on n’a pas le droit, pour des questions d’assurances, si on n’a pas d’entente intermunicipale. Quand on arrive chez nous, on baisse la gratte et on déneige… »

Offrant moins de services que sa voisine, Notre-Dame a très peu de dettes et taxe moins ses résidants (1,06 $ par 100 $ d’évaluation, contre 1,58 $ à Trois-Pistoles). N’est-il pas risqué d’évoquer un rapprochement ?

« Je n’ai pas vu de citoyens défavorables. Je suis aussi surpris que vous », répond Jean-Marie Dugas en riant.

Militaire retraité, il a été témoin de la fusion qui a donné naissance à Gatineau, il y a plus de 20 ans. « Ça ne baisse pas le compte de taxes, on se comprend, mais ça pourrait avoir un effet bénéfique », dit-il en mentionnant l’unification des services (direction générale, urbanisme, paie, etc.) et l’accès à certaines subventions.

D'autres regroupements à venir ?

Beaucoup d’autres municipalités vont envisager des regroupements au cours des prochaines années, prédit le maire de Courcelles.

« Les municipalités se font lancer de plus en plus de choses dans leur cour, et n’ont pas le choix de les gérer, donc il faut trouver des façons de faire. Au congrès de la Fédération québécoise des municipalités l’an dernier, il y avait un atelier sur les regroupements de services, et la salle était bondée ! »

Saint-Alfred, en Beauce, pourrait étudier un regroupement, possiblement avec Saint-Victor, mais les discussions sont préliminaires, nous a indiqué la municipalité.

Au moins quatre groupes de municipalités ont lancé des études officielles, et trois autres attendent l’approbation finale de leur fusion par Québec.

Conserver son identité

S’il y a des résidants qui n’ont pas eu peur de perdre leur identité, ce sont bien les Plessisvillois, dans le Centre-du-Québec. Séparées depuis plus de 160 ans, la ville et la paroisse de Plessisville regrouperont leurs quelque 9500 habitants le 1er janvier prochain. On vous laisse deviner le nom de la nouvelle municipalité. En Abitibi, les villages de La Morandière et de Rochebaucourt, qui se battaient déjà pour leur survie en 1975, dans le documentaire Un royaume vous attend, du cinéaste Pierre Perrault, ont fusionné en janvier dernier. Le nouveau village de La Morandière-Rochebaucourt compte 345 habitants sur près de 600 kilomètres carrés.

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