Élections provinciales Opinion

La fin des allégeances partisanes

L’extrême volatilité électorale au cours de la présente campagne laisse entendre que le comportement des électeurs est actuellement instable et que bien des surprises sont possibles le 1er octobre. Même un gouvernement de Québec solidaire, impossible il y a un mois, est aujourd’hui envisageable tellement ce scrutin est imprévisible.

Cette campagne électorale, pourtant terne au point de départ, s’est animée de sorte que toute prédiction est aujourd’hui risquée. La CAQ, qui voguait vers un gouvernement majoritaire, a été minée par une campagne décevante de François Legault. Le PQ semble embourbé dans les déboires de son chef et le PLQ est plombé par l’usure du pouvoir.

Mais au-delà des analyses convenues, quels sont les facteurs qui motivent ces changements d’allégeance désormais plus fréquents ?

Qu’est-ce qui explique, par exemple, qu’un électeur puisse vouloir voter pour la CAQ, qui favorise une réduction de la taille de l’État, et opter, comme deuxième choix, pour Québec solidaire, qui affirme ses sympathies marxistes ? Comment les citoyens peuvent-ils concilier deux partis pourtant aux antipodes sur le plan idéologique ?

Ce phénomène est le résultat de plusieurs facteurs qui méritent d’être analysés.

La contestation et le rejet des élites

Le Québec est dirigé depuis près de 50 ans par deux formations politiques qui se sont échangé successivement le pouvoir. Cette monopolisation de l’espace politique par les deux grandes forces post-Révolution tranquille, jumelée à l’échec du projet souverainiste, entraîne un désabusement général de la population envers les partis traditionnels.

Peu importe le bilan, les réalisations, les programmes politiques et les visions proposés, l’élite politique québécoise est durement sanctionnée. Cette rebuffade à l’endroit des partis est le catalyseur le plus puissant dans la dynamique électorale actuelle.

L’important ici n’est pas de comprendre les programmes et les projets de société qui en découlent, mais plutôt d’affirmer un sentiment de rejet et de dégoût généralisé. Derrière ces éléments de contestation, il y a l’idée « populiste » que le pouvoir est spolié par l’élite politique et économique. La priorité, pour un grand nombre d’électeurs, est donc de lancer un « message » et non de donner un appui idéologique.

Conséquence logique de ce choix stratégique, l’électeur peut maintenant occuper l’ensemble du spectre politique, car la contestation emprunte maintenant une grande variété de formes. Derrière ces changements d’allégeance en apparence contradictoires, il y a peut-être une forme de choix « rationnel » qui guide l’électorat actuel.

La fin du bipartisme

Le système partisan a longtemps reposé sur le bipartisme et le système politique québécois est peu initié à la pluralité partisane.

La première brèche à ce carcan est apparue au milieu des années 90 avec l’arrivée de l’ADQ. Elle s’est ensuite élargie avec la naissance de Québec solidaire et le passage de l’ADQ à la CAQ en 2011. La campagne actuelle se démarque ainsi des autres campagnes électorales par la grande variété de choix qui s’offre aux Québécois.

Le décloisonnement des partis politiques et la fin de la polarisation souverainiste-fédéraliste entraînent un éclatement de l’électorat.

Cette fragmentation permet aux citoyens engagés de sortir du cadre de la question nationale et de choisir en fonction d’un axe gauche-droite, ce qui était plus difficile sous « l’arc-en-ciel » fédéraliste ou souverainiste. Ce phénomène, qui s’ajoute au vote de contestation, forme un cocktail particulièrement explosif et générateur d’instabilité électorale.

La dépolitisation

L’autre facteur qui vient alimenter la fin des allégeances partisanes repose sur la dépolitisation générale de l’électorat. À ce chapitre, la campagne électorale actuelle, axée sur des enjeux micropolitiques et qui évacue un projet de société fort, ne viendra certainement pas inverser la tendance. D’ailleurs, la percée surprenante de QS est principalement attribuable au fait qu’il est le seul parti à proposer une vision mobilisatrice de la société québécoise. Globalement, les citoyens s’intéressent toutefois peu aux programmes des formations politiques et s’accrochent à la lecture parfois déformée qu’en font les politiciens, les médias ou les réseaux sociaux.

Cette dépolitisation est aussi le résultat d’un désengagement des citoyens envers les partis politiques eux-mêmes.Le « membership » des partis est en déclin, au point où le principal aspirant au pouvoir (la CAQ) a une base militante très faible et une structure organisationnelle bien peu délibérative.

La société civile, outre la brève parenthèse du printemps 2012, ne s’aligne pas non plus derrière une cause particulière.

Bref, la dynamique politique québécoise est actuellement dans une période de transition entre la fin d’un cycle (fédéraliste-souverainiste) et l’apparition d’un nouvel espoir, pour l’instant incarné bien imparfaitement par QS.

Entre les deux, les Québécois sont en quelque sorte orphelins, accentuant du même souffle un transfert aléatoire des allégeances politiques. Peut-être que le 1er octobre nous permettra d’entrer dans une ère nouvelle… Il s’agirait probablement là du meilleur résultat de ces élections.

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