QUÉBEC — Confronté à une crise qui s’enlise dans les CHSLD, le gouvernement Legault réclame le déploiement de 1000 nouveaux soldats. Mais devant une situation qui se stabilise à l’extérieur du Grand Montréal, Québec présentera, dès la semaine prochaine, son plan de réouverture de l’économie. Et si des régions pourront mieux respirer, Montréal et Laval devront encore patienter.
« On vit actuellement au Québec comme s’il y avait deux mondes », a illustré le premier ministre, faisait allusion à la réalité particulièrement difficile, voire « un peu gênant[e] » vécue dans certains CHSLD de la région métropolitaine, et celle constatée ailleurs au Québec, où la pandémie est maîtrisée.
La province a enregistré 93 nouveaux décès mercredi, portant le bilan total des morts causées par la COVID-19 à 1134. Des 20 965 Québécois infectés par le coronavirus à ce jour, 1278 sont actuellement hospitalisés, dont 199 aux soins intensifs. Le Grand Montréal représente 74 % des morts liés au nouveau coronavirus.
L’urgence sanitaire dans les CHSLD pousse le Québec à faire de nouveau appel aux Forces armées canadiennes, cette fois de façon beaucoup plus massive, en demandant l’aide de 1000 militaires, sans formation particulière en santé, pour pallier le manque criant de ressources. « Il nous manque de bras », a répété pour la énième fois M. Legault.
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Nombre de soldats déjà déployés dans des établissements de Montréal et de Laval, ou en voie de l’être
La demande officielle du Québec n’avait pas encore été transmise à Ottawa, mercredi. « Il va falloir l’analyser, on ne connaît pas le besoin », a fait savoir une source fédérale près du dossier.
Doug Ford a aussi réclamé mercredi l’intervention de l’armée canadienne pour apporter des renforts dans cinq centres de soins de longue durée en Ontario. « Nous examinerons leurs demandes dès leur réception et déterminerons les prochaines étapes », a-t-on confirmé à la Sécurité publique.
Depuis quelques jours, cinq équipes de 14 militaires, composés de techniciens médicaux et infirmiers, ont commencé leur travail au Manoir de Verdun, au Centre d’hébergement Yvon-Brunet, au CHSLD Hôpital Sainte-Anne, au CHSLD Valeo de Saint-Lambert et au CHSLD Val des Arbres.
La Presse a également obtenu la confirmation que des militaires se joindront à des établissements du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal et que d’autres CIUSSS du Grand Montréal avaient récemment demandé des renforts de l’armée à Québec.
ENCORE DES RENFORTS
François Legault explique faire appel à l’armée devant « le grand défi » de recruter davantage de volontaires en CHSLD. Pourtant, mardi, il disait avoir bon espoir d’arriver à combler les besoins – estimés à 2000 personnes – dès mercredi. « Je vous disais [mardi] qu’on en avait trouvé 1000 […] On pensait être capables de trouver l’autre 1000. Malheureusement, on n’est pas capables de les trouver », a-t-il lancé.
Depuis des semaines, Québec multiplie les décrets lui permettant de réquisitionner du personnel dans le réseau de l’éducation, des employés de la fonction publique et des étudiants, en plus d’avoir lancé un urgent appel à l’aide auprès des médecins spécialistes et omnipraticiens et des retraités du milieu de la santé.
Des dizaines de milliers de Québécois ont répondu présents, ont rapporté plusieurs médias, notamment par l’entremise du site « Je contribue ! », mais sont toujours en attente d’un appel des autorités pour être déployés. Le défi de déployer rapidement ces ressources dans le réseau a-t-il été sous-estimé ?
« Je me suis fié aux chiffres, qu’il y avait 2300 médecins spécialistes qui étaient prêts à venir travailler en CHSLD », a répondu M. Legault, qui indique que de ce nombre, seulement 350 médecins spécialistes seraient disponibles pour travailler deux semaines à temps plein en CHSLD.
« Dans le fond, on a peut-être surestimé le nombre de médecins spécialistes qui pouvaient venir en CHSLD. »
— François Legault
Des propos qui ont fait encore une fois tiquer la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). « On dénombre 2415 médecins spécialistes qui se sont portés volontaires, de façon ponctuelle, mais 79 % d’entre eux n’ont pas encore été appelés par le gouvernement », a fait savoir la FMSQ dans un communiqué.
« Malgré la confusion qui règne sur les mesures de protection, dont la pénurie de masques et de médicaments, ou encore les divergences sur les règles d’isolement, nous sommes tous présents sur le terrain, et ce, tous les jours, dans tout le Québec pour sauver des vies », a déclaré la présidente, la Dre Diane Francoeur.
PLAN DE RÉOUVERTURE
Pour la réouverture des entreprises et des écoles, François Legault a affirmé mercredi qu’il souhaitait le faire de façon graduelle, en suivant un rythme adapté à la réalité épidémiologique de chaque région, et ce, pour s’assurer « qu’on ne voie pas de nouvelle vague » de contamination à la COVID-19.
Le plan de reprise sera appliqué de façon progressive deux semaines après sa présentation. « On parle d’un plan de réouverture qui va s’étaler jusqu’à l’automne, jusqu’en septembre. On pense être capables, si on parle des entreprises et des écoles […], de rouvrir d’ici septembre les deux secteurs. Toute la question qui reste, ce sont les rassemblements, les activités culturelles [et] sportives. Bien ça, est-ce que ça ira en 2021 ? Ce n’est pas impossible », a indiqué le premier ministre.
« Chaque région a sa propre épidémiologie, puis on devra avoir le plan qui est adapté en fonction de [ça]. […] Dans les grosses villes comme Montréal, on a des contacts beaucoup plus fréquents que quand on est en périphérie [ou] dans le Bas-Saint-Laurent », a expliqué de son côté le Dr Horacio Arruda.
« Dans les faits, a-t-il ajouté, dans les stratégies qui pourraient être faites dans ces régions-là, où le risque serait plus élevé parce qu’il n’y a pas eu de transmission [communautaire du virus], ça serait de maintenir un confinement des personnes à risque plus longtemps et, à ce moment-là, de laisser les jeunes s’exposer. »
Quant à un retour à la vie normale, le directeur national de santé publique estime qu’il faudra encore plusieurs mois. « J’aimerais bien ça vous dire qu’au 24 juin, on va tous être sur les Plaines en train de fêter ensemble, mais je pense que c’est un scénario qui est peu réaliste. Tant qu’on n’aura pas un vaccin […], tant qu’on n’aura pas un traitement comme tel, c’est clair que ce virus-là va probablement revenir […]. Il est possible qu’on parle encore de coronavirus en 2021, malheureusement, ou même jusqu’en 2022 », a-t-il dit.
Calcul « scrupuleux » des morts
Le Dr Arruda a affirmé que le Québec « est sans doute, probablement, un des endroits au monde qui calcule le plus scrupuleusement » les morts liées à la COVID-19. La Presse rapportait mercredi, citant de nombreuses sources du milieu de la santé, que le nombre de morts liées au coronavirus serait largement sous-estimé. « Je voudrais aussi vous rappeler que chaque année, en temps ordinaire, il y a environ 1000 personnes par mois qui meurent dans les CHSLD. Dans le fond, il faut comprendre que des décès actuels qu’on comptabilise, associés au COVID-19, seraient survenus malgré la situation. Ce n’est pas pour minimiser la chose, mais c’est parce qu’il y a énormément de débats en disant qu’on cache des chiffres, qu’on essaie de camoufler », a-t-il ajouté, expliquant qu’il y a « un certain délai » entre le décès et sa comptabilisation par les autorités sanitaires.
— Fanny Lévesque, La Presse
« Québec fait une bonne job », dit Trudeau
Le premier ministre canadien n’a pas de reproches à adresser au gouvernement Legault pour sa gestion de la crise, même si la situation dans les CHSLD est critique. « Je pense que le Québec fait une bonne job de gérer ses propres enjeux », a-t-il affirmé en conférence de presse à sa résidence de Rideau Cottage. Il a rappelé que le fédéral avait fait ce qu’il a pu pour aider le Québec, notamment en matière d’approvisionnement en équipement médical de protection. Mais la santé est de compétence provinciale, et le fédéral « respecte » celle-ci, a argué Justin Trudeau. C’était peu avant que le premier ministre François Legault annonce qu’il comptait demander le déploiement de 1000 militaires de plus pour prêter main-forte dans les CHSLD.
— Mélanie Marquis, La Presse