Science

Un requin de 20 m

La semaine prochaine sort sur les écrans le Jaws du nouveau millénaire : The Meg, mettant en vedette Jason Statham. Tiré d’une série de romans à succès, le film imagine que des mégalodons, requins préhistoriques de 20 m, ont survécu dans les profondeurs du Pacifique. Mais que sait-on vraiment du mégalodon ?

UN DOSSIER DE MATHIEU PERREAULT

L’énigme du mégalodon

C’est le « prédateur cosmopolite » par excellence. Carcharocles megalodon a hanté les sept mers pendant 16 millions d’années, avant de disparaître voilà 2 millions d’années. Aucune baleine n’était trop grande pour lui échapper.

Chasseur ou charognard ?

« On présume que le mégalodon avait un comportement similaire à celui du grand requin blanc », explique Stephen Godfrey, un paléontologue du musée maritime Calvert en Virginie qui a publié plusieurs études sur le mégalodon. « Mais en fait, on sait peu de choses sur ce requin préhistorique. Il était essentiellement fait de cartilage, alors on a des dents et une colonne vertébrale retrouvée en Belgique. On est à peu près certain que ce n’est pas l’ancêtre direct du grand requin blanc, plutôt un cousin. Et on a retrouvé des traces de dents de mégalodon sur des os de différents mammifères marins. Nous avons retrouvé des traces de dents sur des queues de dauphins, ce qui indique qu’il chassait fort probablement, parce que s’il avait été uniquement un charognard, il aurait mordu le dauphin au centre de son corps. »

Taille

La taille du mégalodon, estimée à 20 m, a été calculée d’après celle de ses dents, qui atteignent 17 cm. Le rapport – une dent équivaut à un 127e du corps – est relativement constant parmi les espèces d’aujourd’hui. Le requin blanc mesure presque 6 m avec des dents de 4 cm. « C’est vraiment le prédateur par excellence », dit M. Godfrey, qui a grandi à Sherbrooke et y retourne souvent pour voir sa famille. « Seules les orques sont plus dangereuses. Elles sont plus petites, mais peuvent chasser en groupe, alors que le mégalodon était solitaire. »

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Nombre de dents que possédait le mégalodon, l’équivalent de celui du grand requin blanc

Le mégalodon en chiffres

6700

Équivalent en boîtes de thon de la consommation quotidienne de poissons du mégalodon

20 tonnes

Poids maximal du mégalodon

3,5 tonnes

Poids maximal du grand requin blanc

2 m

Taille maximale de la mâchoire du mégalodon

Sources : Musée maritime Calvert, Musée d’histoire naturelle de la Floride

Comment a-t-il disparu ?

Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer l’extinction du mégalodon. Étant donné sa taille, l’animal avait probablement une certaine capacité d’endothermie, c’est-à-dire qu’il était capable de vivre en eau froide tout en maintenant ses organes à une température supérieure, selon Michael Gottfried, paléontologue à l’Université d’État du Michigan. « Mais sa capacité d’adaptation avait certainement des limites et son extinction coïncide avec un refroidissement des océans avec le début des ères glaciaires du quaternaire, voilà 2,6 millions d’années. »

Catalina Pimiento, paléontologue à l’Université de Swansea au pays de Galles, en est moins sûre. « Nous avons fait une analyse de toutes les dents et autres traces de mégalodons, et il ne semble pas avoir été sensible à la température de l’eau, dit Mme Pimiento. L’avènement des glaciations du quaternaire a de toute façon été accompagné de changements du niveau d’eau, de la salinité, du pH et de la composition en plancton et en proies. Je pense qu’il faut regarder là plutôt que simplement la température. »

La faute à l’isthme de Panamá ?

La fermeture de l’isthme de Panamá est souvent associée à la disparition du mégalodon. Selon une thèse souvent citée, la consolidation de cette bande de terres entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique, il y a un peu moins de 3 millions d’années, a changé la circulation océanique et provoqué les glaciations du quaternaire. Mais depuis quelques années, de nouvelles analyses de sédiments marins et de l’évolution d’une espèce de fourmi ont amené plusieurs équipes de paléontologues à estimer la fermeture de l’isthme de Panamá à 10 millions d’années. « Je pense que ça montre bien que la disparition du mégalodon est bien plus compliquée qu’une question de température d’eau », dit Mme Pimiento.

Apparition de prédateurs…

Une autre possibilité pour expliquer la disparition du mégalodon est l’apparition du grand requin blanc et de l’orque. « Ils ont peut-être commencé à chasser les petits mégalodons, qui jusqu’alors n’avaient pas de prédateurs, dit Stephen Godfrey. L’orque, puisqu’elle chasse en groupe, s’est peut-être même attaquée au mégalodon adulte. » Au cœur de cette hypothèse est l’existence de pouponnières de mégalodons. Il s’agit d’endroits où les requins se retrouvent avec leurs petits pour se protéger des prédateurs. Catalina Pimiento a décrit en 2010 la seule pouponnière connue du mégalodon, au Panamá. Mais Stephen Godfrey estime que Mme Pimiento se basait sur un nombre trop réduit de fossiles et que le mégalodon n’avait pas de pouponnières, ce qui l’a rendu plus vulnérable aux grands requins blancs et aux orques.

Ou migrations de baleines ?

La dernière hypothèse quant à l’extinction du mégalodon est la modification des habitudes des grandes baleines. « Elles sont devenues plus grandes, avec une capacité de faire des migrations très grandes pour la reproduction, à peu près au moment de la disparition du mégalodon », explique Michael Gottfried de l’Université d’État du Michigan, qui était le prédécesseur de M. Godfrey au musée maritime Calvert et y a aménagé l’une des quelques reproductions de squelette de mégalodon du monde. « Il se peut que le mégalodon ne soit pas parvenu à abandonner son habitat côtier pour suivre ses proies. »

Les leçons du mégalodon

Pourquoi étudier le mégalodon ? « Plusieurs études montrent que plus un prédateur est grand, plus sa disparition perturbe un écosystème, dit Catalina Pimiento. On voit actuellement une chute importante du nombre de grands requins prédateurs. Ça fait augmenter le nombre de prédateurs plus petits, notamment les raies, et certaines espèces plus basses dans la chaîne alimentaire, notamment les crustacés, périclitent. Je m’intéresse au rôle du mégalodon dans son écosystème préhistorique. »

Entretien avec le père du Meg

Dans sa série The Meg, l’auteur américain Steve Alten imagine que pour échapper aux orques, un groupe de mégalodons s’est réfugié au fond de la fosse des Mariannes, dans le Pacifique, où il se nourrit de pieuvres géantes et d’un riche écosystème issu des eaux chaudes des sources hydrothermales. La Presse s’est entretenue avec M. Alten.

Comment avez-vous eu l’idée de The Meg ?

J’avais 15 ans quand Jaws est sorti. C’est un film qui m’a marqué. Quand je lisais des articles sur le grand requin blanc, on parlait souvent de son cousin préhistorique, le mégalodon, avec la même photo en noir et blanc d’un biologiste du Smithsonian debout dans une mâchoire de mégalodon. Au milieu des années 90, j’ai lu dans Time un article sur les sources hydrothermales qui génèrent une vie abondante au fond de la fosse des Mariannes. J’ai fait un plus un égale deux.

Est-il important de respecter la science dans vos livres ?

Je dis souvent que j’écris de la « faction ». Quand j’ai écrit mon premier livre, j’ai passé des dizaines d’heures à la bibliothèque – c’était avant l’internet – pour bien comprendre la paléontologie. Je travaillais dans un abattoir pour nourrir mes trois enfants, alors j’écrivais de 22 h à 3 h du matin les vendredis et samedis.

L’un de vos livres plus récents a imaginé une bête préhistorique dans le lac Vostok, en Antarctique, qui est isolée sous 4 km de glace. Pourquoi postulez-vous toujours qu’un animal disparu ne l’est pas en réalité ?

J’ai aussi écrit sur le Loch Ness. Je m’intéresse aux environnements que nous connaissons mal. On a exploré moins de 5 % des océans, moins de 1 % des abysses. On ignore s’il y a de la vie dans le lac Vostok. Même si c’est très improbable, ce sont les endroits de la planète où on peut trouver des espèces vraiment surprenantes.

Le verdict des experts

La Presse a demandé leur avis à des experts au sujet d’un passage du livre Hell’s Aquarium de la série The Meg de Steve Alten.

« L’anatomie du mégalodon est raisonnablement réaliste, mais l’idée qu’il survit dans les fosses océaniques et ne chasse que la nuit est farfelue. »

— Michael Gottfried, Université d’État du Michigan

« La plupart des descriptions sont adéquates. Mais il est impossible que le mégalodon chasse à 2000 m de profond et trouve assez de nourriture près des sources hydrothermales des fosses océaniques. Il serait aussi surprenant qu’il fuie les orques dans les profondeurs et ne remonte que la nuit, il gaspillerait trop d’énergie. »

— Stephen Godfrey, musée maritime Calvert

« Nous ne savons rien de l’anatomie et de la physiologie de cette espèce, mais comme les dimensions et la biologie des requins sont relativement constantes d’une espèce à l’autre, on peut penser qu’il était similaire au grand requin blanc, sur lequel se base l’auteur. Mais je ne crois pas que des populations de mégalodons aient pu survivre jusqu’à nos jours. Un animal aussi gros aurait besoin d’un vaste territoire pour se reproduire. »

— Catalina Pimiento, Université de Swansea

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