Troisième lien et REM de l’Est

Les leçons de Mirabel ne doivent pas être ignorées

Pour ceux qui s’inquiètent de l’entêtement du gouvernement Legault dans les dossiers du REM de l’Est de Montréal et du troisième lien Québec-Lévis, l’année électorale qui s’annonce n’est guère réjouissante. De toute évidence, les deux projets s’inscrivent à l’intérieur d’un agenda politique auquel on n’entend pas déroger.

C’est du moins ce que suggère la manière avec laquelle on repousse du revers de la main toute forme de critique, qu’elle soit fondée sur des données difficilement contestables, des observations empiriques éloquentes ou une convergence d’études portant sur de longues durées. On sait, soutient-on, ce que la population veut, quoi qu’en pensent et quoi qu’en disent les opposants, qu’ils soient observateurs avertis, experts reconnus, citoyens concernés ou élus inquiets d’une utilisation discutable des fonds publics.

Cette attitude, dont le premier ministre entend s’assurer qu’elle est endossée sans réserve par tous les ministres concernés par ces dossiers, confine à l’arrogance. Or, il n’est pas inutile de rappeler qu’une telle arrogance a présidé, il y a quelques décennies, au lancement en grande pompe d’un projet qui a connu une triste fin, et ce, en dépit de toutes les garanties données au départ.

La construction de l’aéroport de Mirabel était annoncée en mars 1969 par le premier ministre d’un gouvernement qui disposait, soutenait-il, de toutes les données requises pour prendre une décision dont la nécessité et la légitimité ne faisaient aucun doute. Le gouvernement du Québec et tous ceux qui avaient des réserves et des objections devaient se le tenir pour dit. Conduit en mode accéléré, le chantier était complété en cinq ans, au coût de 500 millions de dollars (3,5 milliards en dollars d’aujourd’hui).

L’aéroport, construit au cœur d’un vaste domaine agricole de plus de 39 000 hectares dont les propriétaires avaient été sommairement expropriés, devait comporter à terme six pistes et six aérogares et accueillir, à l’horizon 2000, quelque 40 millions de passagers.

Plombé par les mésententes Québec-Ottawa, notamment en ce qui concerne la desserte autoroutière et ferroviaire, le projet sera également victime des conséquences du choc pétrolier de 1973 et des adaptations conséquentes de l’industrie aéronautique.

En 1975, Pierre Elliott Trudeau continuait malgré tout à affirmer qu’il avait eu raison envers et contre tous. L’aéroport de Dorval − ironiquement renommé Montréal-Trudeau − reste néanmoins en service et détrône Mirabel en 1997. La fin des vols passagers à Mirabel est décidée en 2004 et l’aérogare est démoli en 2015 et 2016.

Il faut reconnaître qu’il était difficile de prévoir dans toute son ampleur cet échec lamentable. Le projet surfait sur la vague de prospérité des Trente Glorieuses et sur des anticipations de croissance dont on reconnaît aujourd’hui la candeur. Personne ne pouvait anticiper les conséquences du premier choc pétrolier sur le trafic aérien international. Il n’en reste pas moins que la politisation extrême du dossier et l’assurance sans bornes de ses promoteurs n’ont guère été favorables aux ajustements qui seraient bientôt nécessaires. Chacun est resté sur ses positions, tant à Ottawa qu’à Québec, et on en a payé le prix.

C’est pourquoi l’entêtement dont fait preuve le gouvernement de la CAQ dans les dossiers du REM de l’Est et du troisième lien doit inquiéter.

Contrairement à ce qui s’est produit à Mirabel, on peut en effet d’ores et déjà prévoir les conséquences désastreuses de ces deux projets dont les justifications ont été très sévèrement critiquées.

En d’autres termes, l’enthousiasme insouciant dont on a fait preuve au moment de lancer Mirabel est aujourd’hui tout simplement indéfendable et irresponsable. On ne peut persister à affirmer haut et fort que ces projets sont bien fondés, tant du point de vue de leur utilité que de leur déclinaison, surtout quand on reconnaît du même souffle qu’un des deux n’est pas en ligne avec les objectifs de lutte contre les changements climatiques.

Les enseignements de Mirabel ne peuvent pas être ignorés. Ils le peuvent d’autant moins que, cette fois-ci, importe-t-il d’insister, on persiste à défendre en toute connaissance de cause des projets extrêmement controversés en raison même des nombreux impacts négatifs annoncés. John Kenneth Galbraith soutenait que si les économistes avaient plus de mémoire, ils se couvriraient moins souvent de ridicule. En cette année électorale, la pertinence du mot de l’éminent économiste ne fait guère de doute, toutes confréries confondues. Surtout quand le ridicule dont on s’entête à vouloir se couvrir se chiffre en dizaines de milliards de dollars.

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