GOURMAND/Chronique

La saison des « crisse & cook »

Lorsque nous échangeons des recettes, mes copines et moi, il y a cette question incontournable : est-ce que c’est un « crisse & cook » ?

La maternité de cette expression revient à mon amie Élaine, avec qui j’échange des recettes depuis 20 ans, une très bonne cuisinière sans qui je n’aurais pas su qu’un bon poulet rôti doit être saumuré et arrosé de jus de citron pour avoir une peau croustillante.

Un « crisse & cook » est un repas qui se prépare en quelques minutes, et qu’on « crisse » au four pour l’oublier.

Une expression franglaise peu élégante, mais qui résume le rêve de tous les parents débordés, des célibataires aux fourneaux et des paresseux en général : un repas qui fait la job, sans demander trop de job.

Parce que, on va se le dire, ceux qui reviennent du boulot fatigués après deux heures de bouchons de circulation et un crochet à la garderie et qui persistent à cuisiner les recettes de Yotam Ottolenghi sont des masochistes. Ils aiment ça, les 12 000 étapes d’une recette et bourrer le lave-vaisselle ? Ils ont vraiment toujours ça à portée de main, du zaatar, du sumac et de la salicorne (avec le budget correspondant) ?

Sans blague, j’aime beaucoup Ottolenghi – heureusement qu’il a sorti son livre Simple, parce que j’ai sacré avec Plenty –, mais il glisse trop régulièrement un ingrédient absent du garde-manger et des supermarchés pour lequel je dois courailler dans un quartier pas très hipster, plus reconnu pour ses pawnshops que pour ses épiceries fines.

Pendant la saison des récoltes, les produits de la ferme sont tellement frais et tellement bons que ça ne sert à rien de les ensevelir sous des épices rares et des touffes d’herbes. Et comme la cuisson au four sublime les saveurs, les produits parlent d’eux-mêmes. Ce sont eux qui vont « performer », pas vous. Ça donne un break. On n’est pas dans l’émission Les chefs ! avec un fusil sur la tempe et on ne veut pas rater District 31 à 19 h.

Qu’est-ce qu’il y a de plus réconfortant que n’importe quoi qui braise longuement et parfume la maison ?

Pourquoi se casser la tête en plein stress de la rentrée ? Crissez ça au four et occupez-vous plutôt de ceux que vous aimez.

Si le « crisse & cook » ne demande que quelques minutes de préparation, il n’exige en retour que la patience de quelques heures de cuisson, et la douce torture des arômes prometteurs qui ouvrent les papilles, et cela, sans vous faire suer comme cet été. Ça réchauffe la maison et le cœur.

Il arrive que des recettes aient l’air tellement simples qu’on craint un résultat ennuyeux. Mais la simplicité peut être redoutable quand nos recettes assaisonnées et complexes finissent par avoir la même tonalité, au bout d’un labeur exagéré. J’ai redécouvert le goût du chou dans le bouilli acadien d’un regretté beau-père, qui ne l’agrémentait que de feuilles de laurier et de grains de poivre… mais aussi de côtes de porc saumurées pendant des semaines, avec la complicité du boucher de son village. Patates, choux, navets, haricots ficelés, avec les côtes de porc salées dans une marmite remplie d’eau, quelques blés d’Inde sur le dessus, et le tour est joué.

Quand j’ai commencé à échanger des recettes de « crisse & cook » avec des amis, ç’a été un gros succès. Ils ne me réclamaient plus que ça. Alors pourquoi pas avec les lecteurs de La Presse+ ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.