Fêter nos morts
Deux ans après la mort de l’écrivaine Vickie Gendreau, Mathieu Arsenault s’est mis à rêver à sa grande amie disparue.
« Il y avait dans ces rêves une cohérence qui ne m’appartenait pas », raconte l’écrivain.
Ces rêves et les émotions qui les accompagnaient ont servi d’inspiration à Mathieu Arsenault pour son plus récent livre, intitulé La morte et publié en 2020 aux éditions Le Quartanier. Or voici que La morte prend le chemin de la scène (à Montréal, puis à Québec), sous la direction du metteur en scène Christian Lapointe et avec pour titre We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts.
Christian Lapointe a « échantillonné » le texte singulier de Mathieu Arsenault pour en tirer trois partitions, trois monologues qui correspondent à trois points de vue distincts. Si Mathieu Arsenault rend lui-même la partition de l’écrivain, la comédienne Eve Landry incarne la figure de Vickie Gendreau telle qu’elle apparaît dans les rêves, tandis que Mélodie Bujold-Henri revêt les habits du narrateur qui agit aussi à titre de passeur entre le royaume des vivants et celui des défunts.
Le choix d’Eve Landry a été dicté par Vickie Gendreau elle-même.
« Vickie a vu Eve dans une lecture publique avant même que cette dernière ne soit connue pour Unité 9. Vickie avait été soufflée par son intelligence du jeu. Elle a dit que si une actrice devait l’incarner un jour, elle voudrait que ce soit elle. Et Eve fait vraiment shiner les mots de Vickie dans la pièce. »
— Mathieu Arsenault, auteur
Mais attention ! Il serait faux de croire que We are shining est un spectacle hommage à Vickie Gendreau, morte d’une tumeur au cerveau en 2013, à 24 ans. « Il est plutôt question de l’expérience qu’a vécue Mathieu en voyant Vickie dans ses rêves, explique Christian Lapointe. Eve Landry n’incarne pas Vickie, mais un simulacre de celle-ci. Ce n’est pas non plus une pièce de théâtre documentaire sur le drame qu’a vécu Mathieu. Ce ne serait pas intéressant pour le public. We are shining se veut une fête des morts. Ce n’est pas un spectacle plombant, même si le sujet reste la mort. On prend ce sujet et on le renverse comme un bas. On lui donne de l’air. On ne fait rien d’austère comme dans un salon funéraire. »
Mathieu Arsenault poursuit : « Ce spectacle est une fête des fantômes, car on y célèbre le fait qu’on ne reste pas seul lorsque des gens s’en vont. L’humanité ne se limite pas seulement aux humains. Oui, la mort, c’est grave, on ne va pas le cacher, mais dans le deuil, il n’y a pas juste de la tristesse. Dans ce spectacle, on parle de marde ! C’est épique, tragique, drôle, comme lorsqu’on vit un deuil normalement. Mon histoire sert d’intermédiaire pour ouvrir la porte aux fantômes de tout le monde dans la salle. »
Le mot « fantôme » est lancé, mais Mathieu Arsenault tient à préciser : « Les fantômes ne sont pas des entités religieuses ou ésotériques pour moi. Ce sont des émotions qui montent en nous et qui ne nous appartiennent pas, des émotions qui nous permettent d’entrer en contact avec l’image des absents. Les fantômes sont internes, pas externes. »
« Parfois, je vois des choses dans la salle de répétition, Eve Landry se retourne et des émotions montent. Il y a quelque chose de Vickie là-dedans. Un fantôme est passé... »
— Mathieu Arsenault, auteur
Pour « donner de l’air » à cette fête, Christian Lapointe a fait appel à Navet Confit pour composer une musique électronique inspirée de la synthwave des années 1990. « C’était la musique de la vingtaine de Vickie, indique Mathieu Arsenault. C’est une musique très dansante qui parle au corps, inspirée des jeux vidéo et des films d’horreur des années 1980. On y retrouve presque une esthétique de messe satanique ! Navet est arrivé avec quelque chose de tragique et d’épique. Quelque chose pour danser mélancolique. »
We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts est présentée du 6 au 15 octobre à La Chapelle, à Montréal, dans le cadre du festival Phénomena, et du 16 au 26 novembre au Théâtre Périscope à Québec.