Science

Les rêves de la COVID-19

Les victimes de la COVID-19 ont un sommeil plus agité. Plus de cauchemars aussi. Un projet international sur la question, auquel participe une sommité du sommeil de l’Université Laval, a disséqué l’impact onirique de la pandémie.

Les rêves en action

Durant le sommeil, plus particulièrement durant la phase où on rêve, le cerveau envoie à la moelle épinière une commande particulière : surtout, ne pas bouger. « Durant le sommeil paradoxal, on est paralysé », explique le psychologue Charles Morin, spécialiste du sommeil à l’Université Laval. « Cette atonie musculaire disparaît chez certaines personnes avec l’âge. Alors ils font des mouvements correspondant à leurs rêves. »

Avec des collègues des quatre coins du monde, M. Morin vient de publier une étude montrant que chez les patients ayant eu la COVID-19, la perte de cette atonie musculaire est plus fréquente, particulièrement chez ceux qui ont eu des symptômes plus graves. Cette étude a été publiée dans le Journal of Sleep Research. Le sommeil paradoxal est aussi appelé « phase REM », pour rapid eye movement (mouvement rapide des yeux), et la perte de l’atonie musculaire, RBD, pour REM behavior disorder (trouble du comportement en sommeil paradoxal).

Parkinson

Le RBD est possiblement dangereux, si le patient blesse une autre personne avec qui il dort (ce problème est plus souvent diagnostiqué chez les hommes). Et à plus long terme, un diagnostic de RBD conduit, une quinzaine d’années plus tard, dans 70 % à 80 % des cas, à des maladies neurologiques, dont le parkinson, selon Alex Desautels, directeur de la clinique du sommeil de l’hôpital du Sacré-Cœur. « On a parlé d’atteintes de l’olfaction avec la COVID-19 et on sait que les gens qui ont le parkinson vont avoir une atteinte de l’olfaction avant des symptômes moteurs, dit le neurologue. C’est sûr que le coronavirus cause une atteinte à l’intérieur du cerveau. Donc, la prémisse a du sens. »

Les cauchemars

M. Morin et ses collègues se sont aussi penchés sur les cauchemars. Ils ont observé que les cauchemars sont deux fois plus fréquents chez les patients atteints de la COVID-19. « Il semble y avoir aussi un meilleur souvenir des rêves. C’est peut-être à cause du changement de l’horaire de sommeil. Il faut continuer à examiner la question. » L’étude sur les cauchemars a été publiée en janvier dans la revue Nature and Science of Sleep. Un patient atteint de la COVID-19 sur sept rapportait avoir des cauchemars, sur une période d’enregistrement de données de trois jours.

La COVID longue

Le DDesautels travaille lui aussi sur le sommeil et la COVID-19. « Nous nous occupons à Sacré-Cœur de la portion sommeil d’un projet international sur la COVID longue, dit le professeur de l’Université de Montréal. D’autres centres, dont l’Institut de recherches cliniques de Montréal, se pencheront sur les aspects cognitifs et de fonction pulmonaire. »

Des bémols

Moins d’une dizaine de patients atteints de la COVID longue ont été recrutés à Montréal. Pour le moment, le DDesautels n’a pas observé chez ces patients une augmentation du risque de RBD. « Éventuellement, on vise une cinquantaine de patients, on pourra mieux voir à ce moment-là, dit-il. Il se peut qu’il y ait un effet de l’anxiété ou du sevrage de la consommation d’alcool, ou de plein d’autres variables qui ont changé avec le confinement. Il y a du somnambulisme avec la fièvre, et des éveils confusionnels avec les infections. Des fois, des gens pensent qu’ils bougent pendant le sommeil et c’est lié à d’autres causes. »

La difficulté d’avoir un portrait juste de la prévalence du RBD complique aussi les choses, les études populationnelles rapportant des taux variables, allant de moins de 5 % à 25 %. L’étude de M. Morin rapporte un risque de RBD de deux à trois fois plus élevé chez les patients ayant eu la COVID-19, par rapport à un échantillon témoin.

Une expérience naturelle

Le projet ICOSS (Étude internationale du sommeil durant la COVID-19) est né dès mars 2020. « Nous sommes des chercheurs de six pays qui avons réalisé que l’effet du confinement sur le sommeil et le rythme circadien [le cycle quotidien de la fatigue et de l’éveil] constituait une expérience naturelle, dit M. Morin. Habituellement, on isole des gens dans des cavernes pour savoir ce qui se passe quand on modifie les habitudes. Là, on a modifié tout à coup toutes les habitudes. Beaucoup de gens se levaient plus tard parce qu’ils n’avaient pas à se rendre au bureau. »

Les premiers effets observés ont fait état d’une insomnie liée à l’anxiété et à la difficulté de travailler tout en s’occupant d’enfants privés d’école, mais aussi d’une récupération des « dettes de sommeil ». « Pour les gens qui dormaient seulement cinq ou six heures par nuit, ne plus faire le trajet au bureau et ne plus sortir le soir a vraiment allongé la durée du sommeil », dit M. Morin.

13 %

Prévalence des troubles du sommeil avant la pandémie

Source : Université Laval

28 %

Prévalence des troubles du sommeil au début de la pandémie

Source : Université Laval

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