COP15 sur la biodiversité

« Les plaques tectoniques se sont mises en place »

D’innombrables discussions de coulisses, des échanges de textos, très peu d’heures de sommeil ; le ministre Steven Guilbeault raconte les dessous de l’accord « historique » sur la biodiversité adopté à Montréal au petit matin, lundi.

Il y a visiblement une tonne de briques en moins sur les épaules de Steven Guilbeault.

« Il y a une semaine, je n’étais pas sûr qu’on aurait le 30 [% de protection d’ici 2030] », admet l’écologiste devenu ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada.

Mais « les plaques tectoniques se sont mises en place » durant les derniers jours de la 15e conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), a-t-il raconté à La Presse, lundi après-midi, après une nuit blanche, levant le voile sur les dessous de l’adoption d’un accord « historique ».

Vendredi soir, alors que les inquiétudes s’amplifiaient devant les nombreux désaccords qui subsistaient entre les pays et les propositions risquant d’affaiblir le texte, le président de la COP15 et ministre chinois de l’Environnement, Huang Runqiu, a mandaté trois duos de ministres pour faire avancer les discussions.

« En anglais, l’expression souvent utilisée, c’est friends of the chair, les amis de la présidence », qui ont pour mission de trouver des terrains d’entente sur les enjeux « les plus corsés », explique Steven Guilbeault, qui a hérité avec son homologue égyptienne, Yasmine Fouad, de celui du cadre mondial sur la protection de la biodiversité.

Les deux ministres ont ensuite résumé les commentaires reçus aux coprésidents du groupe de négociateurs concernés et leur ont demandé de produire « une proposition de texte où il n’y a plus aucun crochet » – les crochets encadrent les passages pour lesquels il y a des désaccords.

« Fallait voir ça ! Eux, ça fait quatre ans qu’ils travaillent sur ce texte-là. On leur donnait le mandat de faire ce qu’ils avaient envie de faire depuis très, très longtemps.  »

— Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Les textes « nettoyés » de leurs crochets ont été remis par les trois duos de ministres à la présidence chinoise samedi soir, ce qui a permis la publication d’une ébauche d’accord dimanche matin, que plusieurs pays étaient prêts à adopter telle quelle.

« Ça, c’est rare, souligne Steven Guilbeault. Une première version qui est déposée par la présidence, et tu as des gens qui disent : ‟moi je suis prêt à la prendre et m’en aller chez nous”, moi, je ne me souviens pas d’avoir vu ça », confie celui qui a une vingtaine de COP à son actif.

Parallèlement, le ministre accorde aussi des entrevues aux médias et consulte des organisations non gouvernementales (ONG).

« Parfois, elles ont des échos qu’on n’a pas », dit-il.

Sable dans l’engrenage

Mais l’affaire n’était pas dans le sac pour autant, puisque certains pays faisaient toujours blocage, dont la République démocratique du Congo (voir autre texte), retardant le début de la plénière prévue pour l’adoption de l’accord jusqu’au milieu de la nuit.

« Je suis allé voir la Chine et j’ai dit : ‟moi, ce que je peux faire pour vous aider, c’est ramasser le plus de pays possible qui vont parler en faveur du projet et qui vont dire on est prêts à l’accepter tel quel” », raconte Steven Guilbeault, qui s’est alors mis à envoyer des messages à d’autres ministres pour les inviter aux locaux de la délégation canadienne pour établir un plan de match.

« Mais tout le monde ne répond pas, et je sais que les gens sont dans la salle [plénière] à côté, alors je pars et j’ai ramassé une dizaine de pays, on est venus ici, et tout le monde a dit : ‟on achète ça, ce texte-là” », détaille-t-il non sans fierté.

Il serait impossible d’en arriver à un tel résultat avec des rencontres virtuelles, affirme Steven Guilbeault, conscient des critiques portant sur ces grandes rencontres internationales.

« J’en fais plein des rencontres par Zoom, à trois ou quatre, mais tu ne peux pas faire ça à 100, à 500. »

— Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

« Ce sont toutes les discussions de corridor qui sont importantes, autour d’un café », ajoute-t-il, soulignant aussi qu’il serait impossible pour les ONG de « jouer le rôle qu’elles jouent présentement » si elles n’avaient pas accès aux rencontres.

Rapprocher les sommets sur la biodiversité

Steven Guilbeault veut garder l’impulsion de la conférence de Montréal en proposant de tenir des rencontres sur la biodiversité chaque année, plutôt que tous les deux ans.

« Je trouve que deux ans, c’est vraiment long entre les conférences. Pour les changements climatiques, on en a toutes les années », dit-il.

« Je pense qu’on en a besoin chaque année. On sait qu’on va se faire poser des questions par les [ONG], on va se faire comparer aux autres, on va se comparer entre nous, les pays ; c’est une pression qui est saine. »

Le ministre Guilbeault dit être « en train d’imaginer » s’il est possible d’organiser quelque chose en 2023, qui, sans être une conférence des parties officielle, pourrait par exemple se tenir en marge d’une autre rencontre internationale.

COP15 sur la biodiversité

Zoom sur le nouveau cadre mondial pour la biodiversité

Le nouveau cadre mondial de Kunming-Montréal est un document de 14 pages qui reconnaît entre autres le besoin de combler progressivement le déficit de financement de la biodiversité de 700 milliards de dollars par année. Il fixe aussi 23 objectifs, dont plusieurs sont chiffrés. Gros plan.

Cible 1 : Zones de haute importance

Réduire à près de zéro d’ici 2030 « la perte de zones de haute importance de biodiversité, y compris les écosystèmes à haute intégrité écologique ».

Cible 2 : Écosystèmes dégradés

S’assurer de restaurer au moins 30 % des écosystèmes terrestres, aquatiques et marins dégradés d’ici 2030. C’est un objectif important, qui diffère de la cible numéro 3, puisqu’il ne s’agit pas de protéger des milieux naturels, mais plutôt de restaurer ceux dont les fonctions écologiques sont diminuées.

Cible 3 : Les eaux

C’est l’objectif phare du nouveau cadre mondial, celui qui est le plus facile à illustrer concrètement. « Garantir et permettre que d’ici 2030, au moins 30 % des eaux terrestres, intérieures, côtières et marines […] sont efficacement conservées » grâce à des aires protégées. On signale qu’il faut viser « les zones d’importance particulière pour la biodiversité ».

Cible 7 : Pesticides

Une autre cible importante, qui contient aussi une valeur numérique. Il s’agit de réduire d’au moins 50 % d’ici 2030 les risques liés aux pesticides. On indique également qu’il faut réduire d’au moins 50 % les pertes de nutriments, comme les engrais, dans l’environnement. « Il existe des indices créés par des scientifiques qui permettent de mesurer le risque. La notion de parler de risque est beaucoup plus puissante que de parler de quantité », a précisé le Canadien Basil van Havre au cours d’une séance de breffage technique, lundi matin. « Des pesticides bénins utilisés en grande quantité peuvent avoir moins d’impact que des pesticides nocifs », a-t-il ajouté.

Cible 15 : Entreprises

Faire en sorte que les entreprises rendent publiques les conséquences de leurs activités sur la biodiversité et qu’elles travaillent à réduire leur empreinte écologique. Un objectif sans mesure quantitative, jugé « assez faible » par Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat. « Il n’y a rien d’obligatoire, tout est facultatif », précise-t-il.

Cible 16 : Gaspillage alimentaire

Réduire de moitié d’ici 2030 le gaspillage alimentaire mondial, notamment en « réduisant considérablement la surconsommation et [avec] la réduction substantielle de la production de déchets ».

Cible 18 : Subventions nuisibles

Identifier d’ici 2025 les subventions nuisibles à la biodiversité à l’échelle mondiale et les réduire d’au moins 500 milliards de dollars américains par année d’ici 2030.

Cible 19 : Financement

Une cible très importante. On peut présumer qu’elle a probablement permis de dénouer l’impasse entre les pays du Nord et les pays du Sud au sujet du financement international pour la biodiversité. Il est prévu d’investir au moins 200 milliards de dollars pour protéger la biodiversité grâce à des fonds publics et privés. Un fonds d’affectation spécial consacré spécifiquement à la biodiversité sera créé à même le Fonds pour l’environnement mondial et sera doté d’au moins 20 milliards de dollars par année d’ici 2025 et d’au moins 30 milliards d’ici 2030.

Cible 22 : Jeunesse, femmes, communautés autochtones

Une cible qui n’est pas chiffrée, mais qui a une valeur hautement symbolique pour la jeunesse, les groupes de femmes et les communautés autochtones qui tenaient à être entendues à Montréal. Il faut s’assurer que ces groupes soient représentés dans la prise de décision « relative à la biodiversité ».

COP15 sur la biodiversité

Elles et ils ont dit

Quelques réactions au sujet du nouveau cadre mondial pour la biodiversité

« Nous saluons l’adoption d’un nouveau cadre mondial sur la protection de la biodiversité, [dont l’application exige de] faire des choix économiques, industriels, énergétiques et d’aménagement du territoire qui soient cohérents. »

— Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre

« Le temps est maintenant venu de se concentrer sur la mise en œuvre de ce travail. […] Pour accélérer le rythme de la conservation au Canada, la collaboration de tous est nécessaire, y compris celle de communautés autochtones, de particuliers et d’entreprises. »

— Catherine Grenier, présidente et chef de la direction de Conservation de la nature Canada

« Je suis fier de pouvoir dire à mes petits-enfants qu’à travers cet accord, nous allons pouvoir offrir un meilleur avenir aux prochaines générations. »

— Marco Lambertini, directeur international du Fonds mondial pour la nature (WWF)

« Nous commençons enfin à forger un pacte de paix avec la nature. Il s’agit d’une étape importante pour une diplomatie déterminée et j’exhorte tous les pays à livrer leurs engagements. »

— António Guterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies

« Nous quittons Montréal avec la promesse de fournir plus d’argent pour la biodiversité, de mettre un tiers de la planète sous protection et de protéger les droits des peuples autochtones. C’est un pas en avant significatif dans la lutte pour protéger la vie sur Terre, mais cela ne suffira pas à lui seul. Les gouvernements devraient écouter ce que dit la science et intensifier rapidement l’ambition de protéger la moitié de la Terre d’ici 2030. »

— Bert Wander, président-directeur général par intérim d’Avaaz

Sur un total de 17 942 participants inscrits à la COP15

4249 représentants de pays

3561 représentants d’organisations non gouvernementales

904 représentants d’entreprises

Source : Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique

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