La guillotine pour le fou du roi
Je connais un peu Dany Turcotte. J’ai échangé avec lui une fois ou deux dans un bar. J’ai aussi fait une entrevue avec lui il y a deux ans. On avait parlé de plein de choses, notamment de son rôle d’ambassadeur dans le cadre de la semaine de la Fierté.
C’est le gars le plus sympathique de la terre. Zéro bullshit, zéro bling-bling.
Dany Turcotte a craqué. La semaine qui vient de s’écouler a été trop dure, trop blessante.
Tout s’est joué sur une blague maladroite à l’endroit de Mamadi III Fara Camara.
À la fin de l’entrevue, il a demandé à celui qui avait passé six jours en détention s’il avait l’intention d’utiliser de nouveau son cellulaire au volant.
Jeudi, Dany Turcotte a lui-même qualifié ce commentaire formulé sur des renseignements non fondés d’« erreur de jugement » et de « question inappropriée ».
Malgré les excuses de Dany Turcotte auprès de M. Camara (ce dernier lui a gentiment répondu qu’il n’y avait « aucun problème »), la grogne a fait son œuvre.
Les réseaux sociaux se sont enflammés. Plusieurs médias, dont celui que vous lisez, ont mis quelques bûches dans le poêle.
On a sorti la guillotine dans la cour du château. Le fou du roi s’est allongé sous la lame.
Schlack ! La chose a été réglée.
Dany Turcotte s’est planté, et cela a pris trois secondes. Trente-cinq années de carrière et de travail mises en veilleuse pour une blague ratée.
Et dire que cela tombe sur un gars qui utilisait depuis 17 ans le moment qui lui était offert en début d’émission pour promouvoir un nombre incalculable de causes. La veuve et l’orphelin lui doivent beaucoup.
On a dit que la formule du direct jouait contre lui depuis le début de la pandémie. J’ajouterais que le direct joue contre tout le monde. C’est pour cela qu’on n’en fait plus.
C’est devenu trop risqué. Et comme la télévision n’aime pas le risque…
Tout à coup qu’on choquerait le public, tout à coup qu’on l’ennuierait pendant deux minutes et quart. Tout à coup qu’il y aurait un moment de vérité comme dans la vie.
Nous vivons à l’heure du montage, de la représentation théâtrale, du faux, de l’invraisemblable.
Pour obtenir huit minutes d’entrevue, on tourne pendant 35 minutes. Et après ça, une fois que tout cela est remâché, on trouve ça bon, on trouve ça punché. On trouve même ça naturel.
C’est dans ce monde-là qu’on vit. Un monde de lait écrémé.
Dany Turcotte a fait une joke ratée en direct et on monte sur ses grands chevaux, on se drape dans la vertu. Voilà une occasion en or de dire enfin que, de toute façon, il était mauvais et pas drôle.
Schlack ! La guillotine !
Dany Turcotte a fait une joke plate qu’il n’aurait pas dû faire. Mais des jokes plates qui ne devraient pas se faire, il y en a à la pelle à la télévision et sur les scènes. Et ça, ça passe sans aucun problème, même que parfois elles ont la chance de remonter jusqu’à la Cour suprême.
Ça passe comme la bêtise et l’abrutissement qui sévit dans des émissions qu’on commente et analyse au premier degré comme un combat de lutte. Ou une thèse de doctorat.
On prend l’angle qui nous arrange.
Au fond, ce ne sont pas les fauves anonymes des réseaux sociaux (sans doute la catégorie d’humains que je méprise le plus au monde) qui ont eu la peau de Dany Turcotte.
C’est l’usure.
Nous sommes tous usés. Et malgré cela, le tribunal populaire a posé son jugement avec l’arrogance et l’insouciance de quelqu’un qui fait caca dans un coin et qui, l’air de rien, s’exclame : C’est drôle, on dirait que ça pue !
Je comprends la décision de Dany Turcotte. Il est tanné de cette surenchère d’opinions, de cette violence inouïe, de cette cocaïne numérique que notre index fait défiler plusieurs fois par jour. Mais honnêtement, j’aurais souhaité qu’il se batte. J’aurais aimé qu’il revienne dimanche, qu’il s’explique et qu’il affronte la meute.
Dany Turcotte est une victime de ce jugement populaire. Il y en aura d’autres. C’est la plus grande désolation de notre époque. De plus en plus de personnalités annoncent qu’elles prennent leurs distances face aux réseaux sociaux. Safia Nolin l’a fait récemment. D’autres emboîteront le pas.
Elles ont compris que ces critiques, ces injures et ces crachats au visage finissent par retirer la chose dont un être humain a le plus besoin pour avancer : la confiance.
Dans son mot d’au revoir, Dany Turcotte dit qu’il a maintenant envie de faire du ski de fond. Je lui souhaite des côtes, des maudites grosses côtes, qu’il pourra monter afin de mettre derrière lui cette mauvaise semaine.
Dany Turcotte a eu le titre de fou du roi pendant 17 ans. Il le lègue maintenant à d’autres.
Qui en veut ?