RWANDA

Paul Kagame vise les 30 ans au pouvoir

À la tête du Rwanda depuis la fin du génocide, Paul Kagame envisage un troisième mandat, ce qui le maintiendrait au pouvoir jusqu’en 2024, 30 ans après l’avoir acquis. L’annonce a soulevé une vague de critiques sur les réseaux sociaux, hier. Explications en six points.

TROISIÈME MANDAT

Le Parlement rwandais a donné hier son accord à un amendement de la Constitution, qui limite actuellement le nombre de mandats présidentiels consécutifs à deux, afin de permettre au président de briguer un troisième mandat en 2017. Paul Kagame a pris la tête du Rwanda en 1994 lorsque la rébellion tutsie qu’il dirigeait a mis fin au génocide. Il a été élu pour la première fois en 2003, puis réélu en 2010. S’il était de nouveau élu au prochain scrutin présidentiel son mandat de sept ans le maintiendrait au pouvoir jusqu’en 2024, 30 ans après y être arrivé.

CONSULTATIONS POPULAIRES

La décision du Parlement fait suite au dépôt de pétitions pour le maintien au pouvoir de Paul Kagame ainsi qu’à des consultations populaires qui n’ont recensé qu’une dizaine d’électeurs – dans un pays qui en compte 6 millions – opposés à la réforme constitutionnelle, ce qui fait sourciller Stéphanie Wolters, de l’Institut africain d’études de sécurité. « Quand quelqu’un vient chez toi pour demander si tu veux signer quelque chose comme ça, dans un pays avec autant de services secrets, une si grande suppression de l’opposition, est-ce que vous allez être la personne qui va dire : “Non, je ne suis pas d’accord” ? »

#SOMEONETELLKAGAME

« J’espère vraiment, Monsieur, que vous n’allez pas ruiner votre héritage en devenant président à vie », lui a lancé sur Twitter un ancien participant d’une téléréalité kényane. « Préoccupez-vous plutôt de votre propre héritage… si seulement vous en avez un », a répondu, cinglant, le président, ce qui a déclenché une vague de messages désapprobateurs sous le mot-clic #SomeoneTellKagame (dites à Kagame). « Dites à Kagame que ce qu’un jeune Rwandais ne peut gazouiller par peur de représailles sera gazouillé par un jeune Kényan », a écrit un utilisateur. « Dites à Kagame que les bons dirigeants préparent les prochaines générations, pas les prochaines élections », a lancé un autre.

TERNIR SON IMAGE

La volonté de Paul Kagame de rester au pouvoir pourrait effectivement « nuire à sa réputation », estime Maxime Ricard, de la chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Le Rwanda est souvent présenté comme un “success story” » en matière de reconstruction et de réconciliation, explique-t-il, mais il y a de nombreuses critiques « sur le caractère très autoritaire du pouvoir politique », et une candidature à un troisième mandat les attiserait. Or, « Kagame estime que sa tâche à la tête de l’État n’est pas terminée » et que quitter le pouvoir en 2017 serait « un facteur de déstabilisation pour le pays ».

ABSENCE DE RELÈVE

Le débat autour du troisième mandat démontre l’absence de relève politique au Rwanda. « Beaucoup de gens auraient pu prendre la relève » au sein du Front patriotique rwandais, le parti du président, mais Paul Kagame « n’a pas vraiment permis à ces gens-là de prendre un profil public politique », affirme Stéphanie Wolters. « Kagame ne tolère pas de rivaux. » Et la relève politique ne se trouve pas non plus en dehors du parti au pouvoir, puisque « presque tous les opposants sont soit exilés ou bien incarcérés sous des charges un peu farfelues », ajoute-t-elle.

CYGNE NOIR

Paul Kagame jouit néanmoins d’un nombre d’appuis considérable, certains le qualifiant même de cygne noir, en référence à la théorie du philosophe Nassim Nicholas Taleb sur le biais cognitif. Cet « argument de l’homme fort […] qui serait nécessaire pour construire un État » stipule que « les questions démocratiques devraient passer au second plan », explique Maxime Ricard, qui croit plutôt que ce « vieil argument qui date des grandes périodes de décolonisation […] sert d’abord à justifier le pouvoir autoritaire ». Il cite en contre-exemple le Brésil et l’Afrique du Sud de Nelson Mandela, qui se sont construits dans la démocratie après avoir « connu des périodes autoritaires ».

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