L’hiver de force

Si seulement nous pouvions être comme Nicole et André dans L’hiver de force de Réjean Ducharme. « On n’a pas sorti. On n’a pas besoin de ça. On a tout ce qu’il faut : du café, du sucre, du lait, puis le Grec de la rue Marianne qui nous fait crédit. »

Le plus discret et distant des écrivains du Québec n’aurait eu aucun problème à traverser une pandémie, et même deux ou trois. Il était bien entouré, d’après ce que l’on découvre dans A1.1 La bibliothèque de Réjean Ducharme, de Jacinthe Martel, Monique Bertrand et Monique Jean, qui paraît ce mercredi chez Nota Bene. La liste complète des 1800 bouquins qu’il possédait à sa mort s’y trouve, dont beaucoup étaient usés jusqu’à tomber en morceaux – sans surprise, on apprend qu’il n’y avait aucun Ducharme dans ses bibliothèques, mais à peu près tout de Marie-Claire Blais.

Lui, si pudique, est devenu l’un des rares écrivains d’ici dont on pourra conserver la mémoire livresque et cette publication est surtout destinée aux fans finis qui veulent tout savoir sur Réjean Ducharme avant de voir en vrai l’exposition qui lui sera consacrée en 2022 au Musée de la civilisation (si on survit à 2020).

J’essaie de me remonter le moral avec la célèbre sentence de Blaise Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Couchée sur mon linoléum, je revisite Le cours des jours de Dumas que j’avais adoré à sa sortie en 2003, sur album et en show, que l’artiste n’a pu célébrer qu’un soir de spectacle avant que tout se referme. Je suis le cours des jours/à demi-éveillé/je suis le cours des jours/les yeux ouverts jusqu’à l’aube…

Hé oui, l’insomnie est de retour. Je ne sais trop pourquoi, alors qu’on voyait venir le mur de loin.

Dans sa chanson Linoléum, Dumas avait coupé le téléphone, moi j’ai coupé les alertes sur mon iPhone, parce que l’actualité ressemble en ce moment à quelqu’un qui sniffe du crack toutes les 15 minutes. Les cas qui augmentent, les zones orange, rouges, et pourquoi pas mauves, les directives qui changent sans arrêt (pauvres parents, vraiment), le système de santé au bord de craquer, Trump qui attrape le virus et qui tweete comme un malade (COVID-19 ou pas), les disputes sur l’expression « racisme systémique » alors que les enfants de Joyce Echaquan ne comprennent pas pourquoi ils sont orphelins et qu’on devrait tout faire pour que leur soit épargné dans l’avenir ce qui a tué leur mère.

Arrêtez le manège, je veux descendre, j’ai mal au cœur.

Mais… Ça va aller. Ça ne va pas bien aller. Ça va juste aller, parce qu’on n’a pas le choix. Ça va aller un tout petit peu mieux quand on acceptera vraiment la nature du bourbier dans lequel nous sommes et qui exige que nous prenions soin les uns des autres, sans exception, même les conspirationnistes qui s’accrochent à leurs idées comme d’autres à l’alcool ou à la dope. Chacun ses béquilles pour claudiquer jusqu’à la fin de 2020, où je ne pense pas qu’on fêtera Noël en gang, même si on nous tend ça comme une carotte pour accepter 28 jours de confinement.

Personnellement, je me suis fixé assez tôt dans la pandémie le seuil psychologique du printemps 2021 comme retour à un début de normalité.

Je comprends les gens qui ont espéré que ça allait s’arranger à l’automne d’être déçus, mais je n’y ai jamais cru.

Une pandémie, j’ai l’impression que c’est un peu comme le « stop and go » qui a tué la chanteuse Amy Winehouse, qui avait de graves problèmes de dépendance. C’est-à-dire qu’après une période d’abstinence, recommencer à consommer comme avant peut faire capoter le corps, il faut y aller doucement. La COVID-19, ce sera du « stop and go » pour un an, minimum, en l’absence d’un vaccin.

Mais voyons le verre à moitié plein. Nous avons presque sept mois de fait, déjà. Nous avons appris beaucoup, peut-être des choses fondamentales que nous n’aurions jamais pu découvrir sans cette situation. Nous maîtrisons tous mieux Zoom. Nous avons une collection de masques. Nous voyons nos proches en suivant les consignes. Ricardo sort un nouveau livre de recettes faciles. Nos gouvernements apportent des aides financières jamais vues de mémoire de contribuable, même si nous craignons de le payer cher plus tard (je m’inquiète plus de la dette écologique impossible à rembourser). Et je verse une larme en regardant la vidéo On va s’revoir, narrée par Robin Aubert, pour la Fondation À notre santé de l’hôpital HDA.

Il ne reste qu’à traverser l’hiver qui s’en vient et à attacher nos tuques avec de la broche. Des amis nous ont souvent dit à la blague que l’amoureux et moi, nous ressemblions un peu à André et Nicole dans L’hiver de force. Je lui demande s’il est prêt à subir six mois de plus à voir ma face 24 heures sur 24.

« Tant qu’on respecte les deux mètres de distance psychologique, ça va. Y’a des limites au couple fusionnel.

– Ça me va. »

Courage, tout le monde. Je vous laisse avec cette citation de Ducharme : « Puis demain, l’hiver va commencer, une dernière fois, une fois pour toutes, l’hiver de force (comme la camisole), la saison où on reste enfermé dans sa chambre parce qu’on est vieux et qu’on a peur d’attraper du mal dehors, ou qu’on sait qu’on ne peut rien attraper du tout, mais ça revient au même. »

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