Comprendre

Le choc des pensionnats pour Autochtones

La découverte de sépultures anonymes près d’anciens pensionnats pour Autochtones a semé l’indignation à l’été 2021. Depuis, la soif de connaissance sur le traitement réservé aux enfants des Premières Nations semble s’être décuplée. « Je ne vois que du positif dans cette prise de conscience », dit Marie-Pierre Bousquet, directrice des programmes en études autochtones de l’Université de Montréal. Elle propose quatre sources pour mieux s’expliquer ce sombre épisode de l’histoire.

Une synthèse

Une brève histoire des pensionnats

Il s’est dit et écrit beaucoup de choses sur les pensionnats pour Autochtones depuis deux ans. Mais les faits restent parfois méconnus. Marie-Pierre Bousquet propose un article de l’Encyclopédie canadienne « comme entrée en matière ». « C’est bien fait, dit-elle. Il y a les bonnes bases, les dates, les explications. » On y trouve notamment un résumé historique, des témoignages et une description du quotidien dans les pensionnats, qui étaient en grande majorité des écoles religieuses. Certaines offraient d’ailleurs une éducation d’assez bonne qualité, au point où des parents autochtones ont souhaité y envoyer leurs enfants. « L’école, en tant que telle, ce n’est pas mauvais, au contraire, c’est même un droit humain, précise la professeure. Le problème, c’est quand vous en faites un outil colonial. » Ce que le réseau des pensionnats, créé après 1880 par Ottawa, était. À son apogée, ce réseau comptait 80 écoles en 1930. Arrachés à leur famille, les enfants y étaient coupés de leur culture, de leur langue et vivaient dans des conditions souvent inhumaines. L’objectif du gouvernement était de « tuer l’Indien dans l’enfant », et les pensionnats n’étaient qu’un des moyens d’y arriver. « C’est une violence terrible de se faire mépriser ainsi », note Marie-Pierre Bousquet.

Un documentaire

La violence ordinaire du système

Plus de 100 000 enfants autochtones sont passés par les pensionnats. Parmi eux, beaucoup ont vécu des drames abominables. Des viols, des coups, des privations. D’autres ont échappé aux pires supplices, mais la « violence ordinaire du système », celle qui déracine et déshumanise, les a tous affectés. Dans un court documentaire, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, gérée par des Autochtones, donne la parole à des survivants « ordinaires » des pensionnats. « Ce film ne joue pas dans le misérabilisme, souligne Marie-Pierre Bousquet. C’est du témoignage assez brut. Je trouve ça important de montrer de vraies personnes, ce qu’elles sont devenues, comment elles continuent de porter leur passé. » Parmi les anciens pensionnaires, certains ont d’ailleurs du mal à se poser en victimes, estimant avoir été moins mal traités. Or, ils éclatent souvent en sanglots quand ils se plongent dans leurs souvenirs, témoigne l’anthropologue qui en a rencontré des dizaines : « Un gamin n’a pas les clés pour comprendre et c’est parfois en entendant les autres qu’une personne réalise enfin ce qui lui est arrivé. » Et qu’elle peut entamer sa guérison. Un rare film du genre en français, ajoute Mme Bousquet.

Une émission balado

Un mot à la fois…

Animé par la poétesse innue Marie-Andrée Gill, l’émission balado Laissez-nous raconter : l’histoire crochie, coproduit par Terre Innue et Radio-Canada, s’attarde en 11 épisodes à l’impact de certains termes sur la vie des Autochtones. C’est un exercice de décolonisation un mot à la fois. « Je trouve que c’est une bonne idée, dit Marie-Pierre Bousquet. La décolonisation, ce n’est pas de s’autoflageller, c’est plutôt de comprendre le point de vue de l’autre. Et se demander comment réparer une injustice. » Parmi les mots abordés, on trouve « réserve », « Pocahontas », « bannique »… et « école », qui se rapporte aux pensionnats, mais aussi aux établissements d’enseignement actuels. « Ces institutions-là ont laissé des traces, ont brisé la transmission des connaissances, et on ne se rend pas forcément compte de ce que ça veut dire d’étudier quand on est autochtone, explique la chercheuse. La question se pose : quelle est la place pour les savoirs traditionnels à l’école, à l’université ? » La question de la langue d’enseignement préoccupe d’ailleurs nombre d’organisations autochtones ces jours-ci. Ce n’est pas toujours confortable d’accepter qu’il y a un tas de perspectives qu’on ignore, reconnaît Mme Bousquet, mais « il faut rester l’esprit ouvert, on n’a jamais fini d’apprendre ».

Une série

Réaliser le mal fait aux autochtones

Sorti en 2017, le film Indian Horse, que l’on peut voir sur Netflix, a connu un grand succès au Canada anglais. Mais il a eu peu d’échos au Québec. La série Pour toi Flora, diffusée par Radio-Canada en 2022, venait combler un besoin, croit Marie-Pierre Bousquet, celui de raconter l’histoire des pensionnats, du point de vue des Autochtones, à un large auditoire francophone. L’émission brise aussi le mythe qui associe cette réalité historique aux seules provinces de l’Ouest. Écrite et réalisée par Sonia Bonspille Boileau, la série offerte sur Tou.tv « montre que ça s’est passé ici », souligne l’anthropologue. Pour toi Flora rappelle au passage que les préjugés contre les Autochtones étaient courants au Québec encore récemment. Sa diffusion participe aussi à l’évolution des perceptions du public, un peu comme la mort de Joyce Echaquan, à l’hôpital de Joliette en 2020. Les gens se rendent compte du mal fait aux Autochtones. « C’est énorme, estime Mme Bousquet. J’ai vu la différence que fait cette reconnaissance. Dans une communauté, je connais des gens qui ont arrêté de boire grâce à ce changement de regard. » Cette prise de conscience favorise aussi le dialogue, constate Mme Bousquet, un « petit pas » de plus vers la réconciliation.

Qui est Marie-Pierre Bousquet ?

Titulaire d’un doctorat en anthropologie, elle est directrice des programmes en études autochtones de l’Université de Montréal, où elle est aussi professeure.

D’origine française, elle a mené au Québec de multiples projets de recherche, auprès de communautés autochtones, sur des sujets comme les rapports à la religion, les règlements de conflits ou la transmission du savoir.

Elle constate un intérêt accru de la population pour les questions autochtones, par exemple dans les présences lors des conférences. Avec ses collègues, elle remarque que le nombre d’étudiants dans les cours en études autochtones a fortement augmenté.

Comprendre

Le choc des pensionnats pour Autochtones

La découverte de sépultures anonymes près d’anciens pensionnats pour Autochtones a semé l’indignation à l’été 2021. Depuis, la soif de connaissance sur le traitement réservé aux enfants des Premières Nations semble s’être décuplée. « Je ne vois que du positif dans cette prise de conscience », dit Marie-Pierre Bousquet, directrice des programmes en études autochtones de l’Université de Montréal. Elle propose quatre sources pour mieux s’expliquer ce sombre épisode de l’histoire.

Une synthèse

Une brève histoire des pensionnats

Il s’est dit et écrit beaucoup de choses sur les pensionnats pour Autochtones depuis deux ans. Mais les faits restent parfois méconnus. Marie-Pierre Bousquet propose un article de l’Encyclopédie canadienne « comme entrée en matière ». « C’est bien fait, dit-elle. Il y a les bonnes bases, les dates, les explications. » On y trouve notamment un résumé historique, des témoignages et une description du quotidien dans les pensionnats, qui étaient en grande majorité des écoles religieuses. Certaines offraient d’ailleurs une éducation d’assez bonne qualité, au point où des parents autochtones ont souhaité y envoyer leurs enfants. « L’école, en tant que telle, ce n’est pas mauvais, au contraire, c’est même un droit humain, précise la professeure. Le problème, c’est quand vous en faites un outil colonial. » Ce que le réseau des pensionnats, créé après 1880 par Ottawa, était. À son apogée, ce réseau comptait 80 écoles en 1930. Arrachés à leur famille, les enfants y étaient coupés de leur culture, de leur langue et vivaient dans des conditions souvent inhumaines. L’objectif du gouvernement était de « tuer l’Indien dans l’enfant », et les pensionnats n’étaient qu’un des moyens d’y arriver. « C’est une violence terrible de se faire mépriser ainsi », note Marie-Pierre Bousquet.

Un documentaire

La violence ordinaire du système

Plus de 100 000 enfants autochtones sont passés par les pensionnats. Parmi eux, beaucoup ont vécu des drames abominables. Des viols, des coups, des privations. D’autres ont échappé aux pires supplices, mais la « violence ordinaire du système », celle qui déracine et déshumanise, les a tous affectés. Dans un court documentaire, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, gérée par des Autochtones, donne la parole à des survivants « ordinaires » des pensionnats. « Ce film ne joue pas dans le misérabilisme, souligne Marie-Pierre Bousquet. C’est du témoignage assez brut. Je trouve ça important de montrer de vraies personnes, ce qu’elles sont devenues, comment elles continuent de porter leur passé. » Parmi les anciens pensionnaires, certains ont d’ailleurs du mal à se poser en victimes, estimant avoir été moins mal traités. Or, ils éclatent souvent en sanglots quand ils se plongent dans leurs souvenirs, témoigne l’anthropologue qui en a rencontré des dizaines : « Un gamin n’a pas les clés pour comprendre et c’est parfois en entendant les autres qu’une personne réalise enfin ce qui lui est arrivé. » Et qu’elle peut entamer sa guérison. Un rare film du genre en français, ajoute Mme Bousquet.

Une émission balado

Un mot à la fois…

Animé par la poétesse innue Marie-Andrée Gill, l’émission balado Laissez-nous raconter : l’histoire crochie, coproduit par Terre Innue et Radio-Canada, s’attarde en 11 épisodes à l’impact de certains termes sur la vie des Autochtones. C’est un exercice de décolonisation un mot à la fois. « Je trouve que c’est une bonne idée, dit Marie-Pierre Bousquet. La décolonisation, ce n’est pas de s’autoflageller, c’est plutôt de comprendre le point de vue de l’autre. Et se demander comment réparer une injustice. » Parmi les mots abordés, on trouve « réserve », « Pocahontas », « bannique »… et « école », qui se rapporte aux pensionnats, mais aussi aux établissements d’enseignement actuels. « Ces institutions-là ont laissé des traces, ont brisé la transmission des connaissances, et on ne se rend pas forcément compte de ce que ça veut dire d’étudier quand on est autochtone, explique la chercheuse. La question se pose : quelle est la place pour les savoirs traditionnels à l’école, à l’université ? » La question de la langue d’enseignement préoccupe d’ailleurs nombre d’organisations autochtones ces jours-ci. Ce n’est pas toujours confortable d’accepter qu’il y a un tas de perspectives qu’on ignore, reconnaît Mme Bousquet, mais « il faut rester l’esprit ouvert, on n’a jamais fini d’apprendre ».

Une série

Réaliser le mal fait aux autochtones

Sorti en 2017, le film Indian Horse, que l’on peut voir sur Netflix, a connu un grand succès au Canada anglais. Mais il a eu peu d’échos au Québec. La série Pour toi Flora, diffusée par Radio-Canada en 2022, venait combler un besoin, croit Marie-Pierre Bousquet, celui de raconter l’histoire des pensionnats, du point de vue des Autochtones, à un large auditoire francophone. L’émission brise aussi le mythe qui associe cette réalité historique aux seules provinces de l’Ouest. Écrite et réalisée par Sonia Bonspille Boileau, la série offerte sur Tou.tv « montre que ça s’est passé ici », souligne l’anthropologue. Pour toi Flora rappelle au passage que les préjugés contre les Autochtones étaient courants au Québec encore récemment. Sa diffusion participe aussi à l’évolution des perceptions du public, un peu comme la mort de Joyce Echaquan, à l’hôpital de Joliette en 2020. Les gens se rendent compte du mal fait aux Autochtones. « C’est énorme, estime Mme Bousquet. J’ai vu la différence que fait cette reconnaissance. Dans une communauté, je connais des gens qui ont arrêté de boire grâce à ce changement de regard. » Cette prise de conscience favorise aussi le dialogue, constate Mme Bousquet, un « petit pas » de plus vers la réconciliation.

Qui est Marie-Pierre Bousquet ?

Titulaire d’un doctorat en anthropologie, elle est directrice des programmes en études autochtones de l’Université de Montréal, où elle est aussi professeure.

D’origine française, elle a mené au Québec de multiples projets de recherche, auprès de communautés autochtones, sur des sujets comme les rapports à la religion, les règlements de conflits ou la transmission du savoir.

Elle constate un intérêt accru de la population pour les questions autochtones, par exemple dans les présences lors des conférences. Avec ses collègues, elle remarque que le nombre d’étudiants dans les cours en études autochtones a fortement augmenté.

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