Eau contaminée à Iqaluit

« On a besoin de nouvelles infrastructures »

La fonte du pergélisol pourrait être en cause

Le mystère plane toujours sur l’origine de la contamination de l’eau potable par des hydrocarbures à Iqaluit, au Nunavut. D’ici à ce que les autorités fournissent des réponses, la population se serre les coudes pour faire face à la crise.

Vendredi, deux Boeing 767-300 se sont posés à l’aéroport d’Iqaluit afin de ravitailler en eau potable la ville de 8000 habitants, capitale du Nunavut. La municipalité devrait recevoir 80 000 litres d’eau potable qui sera distribuée à la population, qui ne sait pas encore à partir de quel moment elle pourra à nouveau utiliser l’eau du robinet.

L’état d’urgence a été déclaré jeudi par les autorités. Depuis mardi, un avis d’interdiction de consommer l’eau potable est en vigueur après qu’on a constaté une contamination aux hydrocarbures.

La Ville d’Iqaluit a affirmé vendredi soir que des tests montrent effectivement une forte concentration de carburant dans un réservoir qui alimente en eau potable la municipalité. Les autorités ont indiqué que le carburant pourrait être du diesel ou du kérosène.

« C’est un peu inquiétant », lance François Fortin, qui vit à Iqaluit depuis maintenant neuf ans. « D’abord, on ne sait toujours pas quel est le problème. Ensuite, on ne sait pas combien de temps ça va prendre avant qu’on puisse à nouveau utiliser l’eau du robinet. »

Les autorités ont prévenu la population que, dans ce cas-ci, elle ne pouvait faire bouillir l’eau du robinet pour ensuite la consommer, comme c’est le cas parfois quand la Ville annonce un avis d’ébullition. Mais tous ne suivent pas la consigne, croit M. Fortin. « Ça ne sent pas le gaz ou le mazout partout, chez moi, ça ne sent rien. Je ne prends pas de risques, mais certains le font. »

Tous les services gouvernementaux sont fermés, sauf les services essentiels. Les écoles et les garderies sont fermées jusqu’à nouvel ordre, une situation qui ne pourra durer très longtemps, signale la mairesse adjointe d’Iqaluit, Janet Brewster, jointe par La Presse vendredi.

Fonte du pergélisol

Si l’on ne connaît pas encore la cause exacte de la contamination, certaines hypothèses ont commencé à circuler. En entrevue dans plusieurs médias, le maire d’Iqaluit, Kenny Bell, a évoqué la question des changements climatiques et leurs répercussions sur les infrastructures municipales.

Une théorie à laquelle adhère Janet Brewster. « Avec le réchauffement, le pergélisol dégèle, ce qui a toutes sortes de conséquences pour nos installations. »

Jeudi, la Ville a signalé qu’elle enquêtait sur une possible infiltration d’un réservoir souterrain par des hydrocarbures. La Ville a maintenant isolé et contourné le réservoir, a déclaré vendredi la directrice d’Iqaluit, Amy Elgersma, et il sera examiné lorsqu’il sera vide pour tenter de déterminer comment il a été contaminé par du carburant.

« Quand le pergélisol dégèle, toutes les infrastructures sont touchées. Des tuyaux peuvent craquer, par exemple », explique Daniel Fortier, professeur titulaire en géographie à l’Université de Montréal et auteur d’une étude sur l’hydrologie des cours d’eau à proximité d’Iqaluit. À cela, il faut ajouter la possibilité que des terrains soient contaminés avec des hydrocarbures. « Pendant longtemps, surtout dans le Nord, les normes et les pratiques n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui [pour les hydrocarbures]. Alors, c’est possible qu’il y en ait dans le sol. »

Des infrastructures vieillissantes, endommagées par la fonte du pergélisol, auraient très bien pu laisser passer des hydrocarbures dans le réseau de distribution d’eau, croit le professeur Daniel Fortier.

« On ne le savait pas jusqu’au début des années 1990. On croyait que le pergélisol dans cette région était très stable », précise-t-il. Or, la vitesse et l’ampleur du réchauffement dans tout l’hémisphère Nord sont maintenant connues. Ces éléments seront pris en considération pour les nouveaux projets d’infrastructure.

« Beaucoup d’entraide »

En attendant d’obtenir des réponses à plusieurs questions, la population se serre les coudes. « Il y a beaucoup d’entraide dans la ville pour prêter main-forte à ceux qui n’ont pas de moyens de transport pour aller chercher de l’eau, affirme François Fortin. On le voit aussi sur Facebook. Des gens signalent qu’ils n’ont pas de moyen de transport, d’autres proposent leurs services. »

« Il n’y a pas vraiment de difficulté pour avoir de l’eau, même s’il faut parfois attendre, mais pour ceux qui ne peuvent aller la chercher, ça devient un problème », confirme Janet Brewster. Elle-même aide chaque jour des familles à aller chercher l’eau dont elles ont besoin.

Cette nouvelle crise pourrait cependant avoir des répercussions positives, estime Mme Brewster, qui s’est portée candidate pour un poste à l’Assemblée législative du Nunavut. « L’état d’urgence pourrait aider à mettre en lumière nos problèmes avec nos infrastructures pour l’alimentation en eau potable. Elles sont vieilles, elles doivent être remplacées. »

La Ville a fait une demande d’aide financière de 133 millions de dollars à Ottawa pour moderniser son réseau, qui suffit de moins en moins à la demande face à une population en croissance. « Ça se développe beaucoup, lance François Fortin. En neuf ans, j’ai vu beaucoup de nouveaux projets ici : un nouvel aréna, un nouvel hôtel, un nouvel aéroport. »

« Il n’y a pas assez d’eau pour toute la population, on a besoin de nouvelles infrastructures. Et tant qu’elles ne seront pas modernisées, on risque d’avoir à nouveau des problèmes comme cette histoire de contamination », conclut Janet Brewster.

En chiffres

- 9,3 °C

Température moyenne sur une année à Iqaluit

- 45,6 °C

Température la plus froide jamais enregistrée dans la capitale du Nunavut

7

Nombre de records de chaleur enregistrés pour différents mois au cours des 15 dernières années à Iqaluit

Source : Environnement Canada

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