Violence près des écoles

« On a souvent un sentiment d’impuissance »

Surprise, stupéfaction, inquiétudes ; l’agression d’un professeur à l’école John-F.-Kennedy, dans le quartier Saint-Michel, à Montréal, jeudi, cause une onde de choc dans le milieu de l’éducation, alors que des professeurs et des directions d’école s’inquiètent de la montée de la violence dans certains quartiers.

« Je suis certaine qu’il y a beaucoup de profs qui sont rentrés à l’école aujourd’hui avec un drôle d’état d’esprit. C’est traumatisant de savoir qu’un collègue a été attaqué sur son lieu de travail », déclare d’emblée la présidente de l’Alliance des professeurs de Montréal (APM), Catherine Beauvais-St-Pierre.

Jeudi matin, le professeur d’arts visuels Maxime Canuel, qui serait très apprécié de ses élèves, a été victime d’une agression armée. Après les faits, un adolescent de 16 ans a été accusé de tentative de meurtre. L’enseignant, lui, a été transporté dans un centre hospitalier, mais sa vie n’est pas en danger.

Pour l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), il faut rappeler que des élèves ont aussi été témoins de l’agression. « Ça sème une inquiétude. Il est très important que nos élèves se sentent en sécurité. On doit tout faire pour préserver ce sentiment de sécurité », dit sa présidente, Kathleen Legault.

« Il manque de ressources en éducation et on a souvent un sentiment d’impuissance. Dans certains quartiers, ce sentiment est encore plus important », dit Mme Beauvais-St-Pierre, qui cite par exemple le manque de psychologues en milieu scolaire. Les directions d’école relèvent que les incidents de violence survenus ces dernières semaines sont « isolés, mais graves ». « Est-ce que ce qu’on voit, c’est la pointe de l’iceberg ? », se demande Kathleen Legault. « Tout ce qui est violence est un peu banalisé. On choisit de protéger l’image de l’école au détriment de la sécurité des profs », ajoute Mme Beauvais-St-Pierre.

Plus d’intervenants formés

Selon Éric Morissette, professeur au département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal, la solution passe surtout par la socialisation.

« Ça veut dire beaucoup plus qu’une jasette semi-formelle dans le cadre de la porte. Les profs doivent parler avec les jeunes de l’identification et de la gestion de leurs émotions, de la conscience des autres, bref [de l’importance de] trouver des moyens alternatifs à l’agression physique ou verbale. Ça doit être enseigné dès que les élèves arrivent à l’école », dit M. Morissette, qui est un ancien directeur d’école, dans le secteur de Saint-Jérôme.

« En éducation, les gens ne sont nécessairement pas formés en criminologie ou en travail social. Ils ne sont pas habilités à affronter un individu de violence. C’est très déstabilisant et heurtant. Ça prend plus d’intervenants formés pour les aider. »

— Éric Morissette, professeur au département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal

Il affirme que le concept de « policier-éducateur » – soit un patrouilleur qui établit des liens forts avec les écoles et les élèves de son quartier – gagnerait à être davantage répandu. « On ne peut pas dire à chaque citoyen qu’ils seront toujours en sécurité, mais on peut travailler sur la perception. Et pour ça, ça prend des intervenants compétents en milieu scolaire », soutient-il encore.

Possiblement atteint d’un trouble du spectre de l’autisme

Selon nos informations, le jeune qui a agressé le professeur de John-F.-Kennedy serait atteint d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA), ce qui soulève des questions quant à la manière dont il sera jugé criminellement. « Nul n’est censé ignorer la loi, diagnostic ou non, mais il reste qu’il faudra faire une évaluation sur la capacité du jeune à comprendre ses gestes et leurs impacts », explique à ce sujet la directrice de la Fédération québécoise de l’autisme, Lili Plourde.

« Il n’y a souvent pas assez de services dans le réseau scolaire et en santé pour les personnes autistes. C’est pareil pour le système de la justice : il n’est pas adapté », insiste encore Mme Plourde.

« J’ai déjà vu des jeunes autistes en prison qui se retrouvent seuls, sans que jamais un intervenant aille les voir. Il faut les aider à comprendre, à se démêler là-dedans. »

— Lili Plourde, directrice de la Fédération québécoise de l’autisme

Elle rappelle qu’il ne faut pas stigmatiser les personnes autistes, celles-ci n’étant « pas plus dangereuses que la population générale ». « Quand des jeunes autistes font par exemple des menaces de mort, il faut se demander pourquoi ils en font et, surtout, s’ils comprennent ce que ça représente. C’est une nuance à prendre en compte, tout le temps. » « S’il est déterminé que ce jeune n’est pas apte à subir un procès, il ne faut pas juste le mettre dans un établissement psychiatrique. Il faut que tous les outils lui soient donnés pour qu’il arrive à gérer ses émotions », conclut Mme Plourde.

Quatre chefs d’accusation, soit ceux de tentative de meurtre, de voies de fait graves, de possession d’une arme dans le but de commettre une infraction et de possession d’une arme dissimulée, ont été déposés vendredi contre l’adolescent. MMélanie Rose, procureure aux poursuites criminelles et pénales, a déposé un avis devant le juge précisant qu’elle pourrait réclamer une peine pour adultes si l’accusé est jugé coupable au terme du processus. La juriste s’est également opposée à la remise en liberté de l’adolescent, qui demeurera donc détenu au moins jusqu’à la suite des procédures, prévue lundi prochain.

Un canular entraîne une fermeture d’école

Un canular a par ailleurs forcé vendredi la fermeture d’une école secondaire de l’arrondissement d’Anjou, à Montréal. Des messages publiés sur les réseaux sociaux laissaient entendre qu’une personne armée se présenterait à l’Académie Dunton. Les policiers du Service de police de la Ville de Montréal ont trouvé l’origine du message. Une enquête a été ouverte et il n’est pas exclu que des accusations de méfait public soient déposées à l’endroit de celui ou celle qui a proféré ces menaces.

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