DOSES D’ASTRAZENECA DANS LE GRAND MONTRÉAL

OÙ EST LA FOULE ?

Alors qu’elle battait son plein la semaine dernière, la vaccination avec le vaccin d’AstraZeneca auprès des 55 ans et plus tourne maintenant au ralenti dans plusieurs centres sans rendez-vous de la grande région de Montréal. Des intervenants du réseau de la santé craignent que le Québec reste coincé avec des doses inutilisées.

Vaccin d’AstraZeneca

L’engouement s’essouffle dans le Grand Montréal

Après avoir connu un engouement important la semaine dernière, la vaccination pour le vaccin d’AstraZeneca s’essouffle dans la région métropolitaine, forçant les établissements à trouver toutes sortes de stratégies pour attirer des clients, allant jusqu’à accrocher des passants au hasard. Des intervenants craignent de ne pas écouler toutes leurs doses.

Mercredi matin. Devant la clinique de vaccination du centre commercial Quartier Laval, une employée arpente le stationnement, une pancarte « Clinique de vaccination » à la main. « Vaccin gratuit ! », lance-t-elle à la ronde.

L’employée n’hésite pas à intercepter les rares passants qui déambulent dans le stationnement pour leur offrir de se faire vacciner sur-le-champ avec le vaccin d’AstraZeneca s’ils ont 55 ans ou plus.

À l’échelle de la province, la vaccination avec le sérum d’AstraZeneca « ne s’essouffle pas », a assuré le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, sur Twitter. Il a précisé qu’il restait de la disponibilité en rendez-vous et en sans rendez-vous « partout au Québec, notamment à Montréal ». Selon son cabinet, la vaccination avec des doses d’AstraZeneca a « créé un mouvement de vaccination au Québec ».

Mardi, 23 600 doses du vaccin ont été administrées. Il s’agit d’un record, indique- t-on. Depuis que la vaccination a été ouverte aux 55 ans et plus jeudi, c’est 120 000 doses d’AstraZeneca qui ont été injectées dans le bras de Québécois. En date de mercredi, quelque 40 000 rendez-vous avaient aussi été planifiés.

Mais dans la grande région de Montréal, la vaccination tourne au ralenti dans nombre de centres de sans rendez-vous. La situation sur le terrain en témoigne. Des chiffres obtenus par La Presse auprès de plusieurs CISSS et CIUSSS le confirment.

À Laval, on avait vacciné, mercredi à 14 h 30, 250 personnes à l’AstraZeneca depuis le matin. Il y avait pour la journée 2200 places disponibles, avec ou sans rendez-vous, pour ce vaccin. « Il n’y a pas un chat », tranche Isabelle Parent, directrice de la vaccination.

Il reste, au CISSS de Laval, quelque 5000 doses d’AstraZeneca à administrer. « Je suis assez convaincue qu’on ne va pas les écouler », dit Mme Parent. Elle croit que le ministère de la Santé doit les distribuer ailleurs au Québec. Selon elle, les Lavallois de 55 à 59 ans qui souhaitaient être vaccinés l’ont déjà été pour la plupart. Idem pour les 60 ans et plus.

« Pas beaucoup de monde »

Entre 9 h 50 et 10 h 50, lors du passage de La Presse, 29 personnes se sont présentées à la clinique de vaccination du Quartier Laval. Certaines personnes avaient pris rendez-vous, d’autres non.

Marie-Chantal Goulet est arrivée à la clinique avec son amie Carole Dupont-Hébert. Âgée de 57 ans, Mme Goulet a reçu une dose du vaccin d’AstraZeneca en se présentant sans rendez-vous. « Ça a été très vite. Il n’y avait pas beaucoup de monde », a-t-elle dit.

Vendredi dernier, Mme Goulet s’était rendue à la même clinique pour se faire vacciner. Mais la file était si longue qu’elle a rebroussé chemin. Mercredi, elle a pu entrer directement en arrivant : personne n’attendait à l’extérieur.

Plus tôt, à Montréal, devant le Stade olympique, sept personnes patientaient devant les portes de la clinique de vaccination pour recevoir une dose d’AstraZeneca. Le travailleur de la construction Yves Barrette est arrivé en marchant d’un pas rapide vers 7 h 40.

Vendredi dernier, il avait tenté de venir se faire vacciner à la clinique sans rendez-vous du Stade. « Mais la file était trop longue. J’ai bien fait d’attendre ! », a-t-il lancé, avant de prendre place derrière les quelques autres personnes devant lui.

Au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, on dit avoir reçu 6000 doses de vaccin AstraZeneca la semaine dernière. Il n’en reste plus que 1700 doses à administrer. Depuis mardi, le vaccin est aussi offert sur rendez-vous, ce qui pourrait expliquer « la diminution de l’achalandage dans la file d’attente du sans rendez-vous [mercredi] matin ».

Entre 11 h 20 et 11 h 50 à l’aréna Bill Durnan, seules 12 personnes se sont présentées pour être vaccinées. À l’intérieur, les dizaines d’employés affectés à la vaccination ne semblaient pas du tout débordés. Porte-parole du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Barry Morgan confirme qu’il y a eu « un ralentissement ces derniers jours ». « Nous encourageons les personnes âgées de 55 à 79 ans à profiter de cette occasion pour obtenir le vaccin AstraZeneca », dit-il.

« Le Ministère nous demande d’écouler les doses, mais je crois qu’ils savent que ça n’arrivera pas, dit une employée affectée à la campagne d’inoculation dans un CIUSSS montréalais qui n’est pas autorisée à parler aux médias. On l’introduit vraiment partout pour le passer. »

Au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, la porte-parole Séléna Champagne explique que son établissement a reçu 6000 doses d’AstraZeneca la semaine dernière. Il en restait mercredi 3000. Vendredi dernier, 500 personnes se sont présentées pour recevoir le vaccin de la société biopharmaceutique. Depuis quelques jours, ils ne sont plus qu’une centaine par jour à le réclamer.

Même son de cloche au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. « Nous remarquons une baisse d’achalandage », confirme la porte-parole Annie Charbonneau.

Au Palais des congrès de Montréal, 70 doses du vaccin d’AstraZeneca ont été données mardi. Il en reste 1897 à administrer. La prise de rendez-vous pour le vaccin d’AstraZeneca est possible depuis lundi au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Jusqu’à maintenant, environ 500 plages de rendez-vous n’ont pas été utilisées.

Dans les pharmacies, qui sont 1500 à offrir le vaccin de Moderna, seules 350 ont commandé des doses d’AstraZeneca. Les autres craignaient de ne pas attirer assez de patients pour les écouler, explique le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, Benoit Morin.

« Les rendez-vous se prennent un peu moins rapidement [que pour le Moderna]. Si tout le monde en avait commandé, je ne sais pas si on aurait réussi à tout écouler. En même temps, si on ne le commande pas, il reste sur les rayons. On y va très prudemment, avec une centaine de doses par pharmacie au départ. »

— Benoit Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, à propos du vaccin d’AstraZeneca

Le problème, dit M. Morin, « c’est qu’on ne sait pas combien de gens de 55 ans l’ont déjà reçu et combien souhaitent l’avoir ».

Appétit en régions

Contrairement à ce qui se passe à Montréal, dans les régions les plus frappées par la pandémie, on s’arrache les doses d’AstraZeneca. Dans la Capitale-Nationale, tous les rendez-vous pour l’obtention de ce vaccin sont comblés, a confirmé le CIUSSS de la Capitale-Nationale. On parle alors de 31 000 doses du sérum AstraZeneca.

Au Bas-Saint-Laurent, les 9000 doses d’AstraZeneca « se sont envolées comme des petits pains chauds », assure le porte-parole du CISSS, Gilles Turmel. Il ne reste que 220 rendez-vous à combler.

« La réponse dans la région est énorme […] on n’a pas assez de vaccin. »

— Gilles Turmel, porte-parole du CISSS du Bas-Saint-Laurent

Il faut dire que les régions affichaient un retard dans la campagne de vaccination par rapport à Montréal. Quelque 34 000 doses supplémentaires, destinées à la métropole, ont ainsi été envoyées en région la semaine dernière. Dans Chaudière-Appalaches, 10 000 des 14 600 doses d’AstraZeneca ont été administrées jusqu’à présent. On indique cependant que « l’achalandage est moins grand que lors des deux premiers jours ».

Efforts ciblés

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) assure que ses « efforts se concentrent sur l’administration du vaccin AstraZeneca » et ne doute pas que les doses disponibles trouveront preneur.

Le Québec a reçu la semaine dernière une importante cargaison de 411 200 doses. À cela s’ajoutent les 113 000 doses de Covishield (produit en Inde grâce à un transfert technologique d’AstraZeneca) reçues un peu plus tôt – qui ont été écoulées. À ce jour, quelque 287 000 doses d’AstraZeneca sont toujours en stock.

Selon les données du MSSS, près de 700 000 Québécois de 55 ans et plus n’ont toujours pas reçu de vaccin contre la COVID-19 ni pris de rendez-vous pour l’obtenir. Si la demande se maintient, il ne devrait pas être difficile d’écouler les doses restantes, croit-on. Québec n’attend pas de nouveaux arrivages d’AstraZeneca au cours des sept prochaines semaines, a confirmé mardi M. Dubé.

Le Québec rapportait son premier cas de thrombose lié au vaccin d’AstraZeneca, mardi. Les experts martèlent que les risques de subir une thrombose sont bien plus grands en attrapant la COVID-19 qu’en se faisant inoculer le vaccin d’AstraZeneca. Santé Canada a réitéré sa confiance dans le vaccin, mercredi.

L’organisme fédéral a présenté une mise à jour canadienne des données relatives à AstraZeneca. Les conclusions seront soumises au Comité consultatif national sur l’immunisation qui fera ses recommandations dans les prochains jours, selon la présidente du comité, la Dre Caroline Quach.

Pour l’heure, l’administration du vaccin aux moins de 55 ans est suspendue au Canada.

Au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, un « plan d’action » est en cours afin de tenter de convaincre le plus de gens admissibles possible de recevoir le vaccin. De la vaccination en soins à domicile aura lieu cette semaine. Des cliniques éphémères seront créées un peu partout sur le territoire. « Le message qu’on veut passer est : “Allez vous faire vacciner” », note Séléna Champagne.

Les pharmaciens prévoient de leur côté approcher certains patients de 55 et plus directement au comptoir de leur pharmacie afin de leur proposer le sérum. « On connaît nos patients. On va pouvoir en cibler certains pour leur parler de ce vaccin et leur donner un rendez-vous tout de suite ou très rapidement », dit Benoît Morin.

Dans le Grand Montréal, on ajoute au cabinet de M. Dubé que « des communications ciblées » ont eu cours mercredi pour mousser la vaccination des clientèles priorisées.

Courses contre la montre pour sauver des doses

Face à des centaines de plages horaires vides, une responsable de la vaccination demande à Québec d’offrir le vaccin à plus de catégories de gens. Entre-temps, des établissements de santé ont décidé de prendre les choses en main pour sauver des doses qui allaient devenir périmées ou risquaient d’être redistribuées.

Lorsqu’elle regarde l’horaire de la semaine prochaine, ce sont « des centaines de plages disponibles » que voit Isabelle Parent, directrice de la vaccination au CISSS de Laval.

« Pourquoi ne pas ouvrir à l’ensemble de la population ? », demande-t-elle. « C’est vraiment mort en ce moment. Les catégories ne s’ouvrent pas assez rapidement. Et quand ça s’ouvre, c’est trop à la dernière minute. Les gens travaillent. Ils ne peuvent pas venir tout de suite, alors on perd du temps. »

Voilà quelques semaines que le CISSS se retrouve avec plus de vaccins, tous fabricants confondus, que de rendez-vous.

Cette semaine, pour sauver 400 vaccins qui allaient devenir périmés, son équipe s’est mise d’urgence sur le téléphone, appelant postes de police et casernes de pompiers afin de trouver à toute vitesse des bras de travailleurs prioritaires dans lesquels injecter le sérum. La semaine dernière, même stratégie, cette fois pour sauver 600 doses qui risquaient de devenir périmées parce qu’on avait de la difficulté à combler les rendez-vous.

Doses menacées

Une histoire semblable est arrivée dans l’ouest de Montréal la semaine dernière, où 84 doses décongelées devaient être administrées à toute vitesse.

Québec venait de fermer momentanément la prise de rendez-vous dans la métropole pour transférer des milliers de vaccins vers les régions. Face, lui aussi, à des places vacantes, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a pris les choses en main et appelé directement dans des pharmacies, des cliniques de physiothérapie, des postes de police ou des écoles pour recruter des gens à vacciner.

En plus des 84 doses menacées, on a décidé de trouver des travailleurs essentiels à inoculer avec quelques centaines de doses congelées, mais qu’on craignait de perdre au profit d’une autre région si elles n’étaient pas attribuées dans la semaine.

« On n’était pas obligés de le faire, mais on voulait garder toutes nos doses pour des gens de notre territoire, raconte Hélène Paradis, pharmacienne en chef au CIUSSS. Avec la fermeture de nos plages, la seule façon, c’était de faire des appels nous-mêmes. »

« Voulez-vous un rendez-vous ? »

Durant plusieurs jours, et même une partie de la nuit, une équipe a enchaîné les appels, contactant des milieux de travail dont les employés faisaient partie du prochain groupe à vacciner. « On leur disait : ‘‘Vous êtes dans la prochaine catégorie. Voulez-vous un rendez-vous ?’’ », raconte Mme Paradis.

Stéphanie Wong était à la réception de la clinique Kinatex Dorval quand le téléphone a sonné. Au bout du fil, une infirmière lui offrait des vaccins comme tombés du ciel. Mais il fallait faire vite.

« Je ne sais pas comment ils nous ont trouvés. On a été très surpris d’avoir cette chance. On attendait notre tour. On avait hâte. »

— Stéphanie Wong, de la clinique Kinatex Dorval

Tout de suite, Mme Wong a contacté les physiothérapeutes, ergothérapeutes et autres professionnels de la clinique. Dès qu’elle avait leur consentement, elle envoyait leurs coordonnées au CIUSSS.

« En moins de 20 minutes, ils recevaient un texto avec un rendez-vous. Ça a été très rapide. Il y en a qui sont allés durant leur pause, d’autres après le travail. »

Moins de 48 heures après l’appel initial, une trentaine d’employés de Kinatex avaient reçu leur vaccin. « Disons que ça a été rock and roll. »

L’opération a été un tel succès que la boîte de courriels de la responsable de la prise de rendez-vous a explosé.

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