Critique de Fretless

De ville en aventure

« Au fond, l’enjeu, d’après moi, a toujours été le même. Il s’agissait d’aller jusqu’au bout, jusqu’au bout de tout, tout le temps. Parfois, ce processus prenait le visage de la folie, de l’intransigeance, mais parfois aussi celui de l’engagement », écrit Raph, narrateur de Fretless.

Foisonnant, maximaliste, verbeux ; le premier roman du poète et éditeur Stéphane Despatie est animé par de semblables ambitions jusqu’auboutistes, celles de rassembler sous une même couverture toutes les œuvres musicales, littéraires et philosophiques chères à l’écrivain et fervent mélomane.

Fretless est ainsi fort probablement le premier roman de l’histoire du monde entier dont un chapitre s’amorce sur une citation de l’anarchiste Léo Ferré pour se conclure, aux antipodes, sur une citation du patron du corporate rock, Eddie Money. Mais, comme l’écrit avec justesse Stéphane Despatie, « accepter ses contradictions et expérimenter avec elles étaient plus intéressant et constructif qu’une bête posture intellectuelle nous interdisant de franchir certaines limites, seulement là pour renforcer un manque de confiance ».

Taillé dans une prose furieusement digressive, qui restitue le flot de pensées de son personnage principal, ce roman d’aventures rock, que l’on devine en partie autobiographique, raconte l’histoire du bassiste du groupe fictif Rouge Malsain. Ce dernier tente de vieillir sans se trahir et de rester punk, sans devenir le punk de service des institutions culturelles avec lesquelles il fraie.

Entre un bar crade de la rue Saint-Hubert et le jardin des Tuileries à Paris, et entre deux séances de gardiennage auprès d’un tout croche d’ami guitariste surnommé Ross the Gloss, les emmerdes par lesquelles il sera aspiré deviendront autant de prétextes à ressasser les émois que lui inspire une chanteuse vêtue d’un romper ou l’épiphanie vécue grâce à une toile de Jean McEwen.

Éloge des fulgurantes beautés du hasard et de la bonne chanson jouée au bon moment, réflexion sur les sacrifices à accepter sur l’autel du succès, compendium de références furieusement éclectiques, Fretless est un roman plus prog que punk, dont la démesure dessine autant les forces que les limites.

« Et il n’y a rien qui ressemble plus à une Fender qu’une autre Fender », explique son narrateur après avoir volé une basse Fender Precision laquée crème dans la vitrine fracassée d’un magasin, alors qu’il souhaitait plutôt mettre le grappin sur une guitare Fender Stratocaster en frêne. Il n’y a rien, a contrario, dans la littérature québécoise actuelle qui ressemble vraiment à ce récit de la vie singulière d’un bassiste pas ordinaire.

Fretless

Stéphane Despatie

Mains libres

312 pages

7/10

Critique de Les cookies de l’apocalypse

Mémoires en miettes

Avec Les cookies de l’apocalypse, l’autrice Annie Du expérimente une forme singulière, à cheval sur l’essai et l’autofiction, qui s’avère un habile véhicule pour transporter le lecteur dans sa psyché. Récit d’une écrivaine « agressée par un éditeur, puis par des punaises de lit », cette tirade de 166 pages invite à s’enquérir des contrecoups du #moiaussi littéraire, à s’intéresser aux histoires dissimulées et aux traces que laissent ceux qui marchent sur les autres.

« Des fois, je suis géniale pour un cancre. » Cette phrase toute simple représente bien l’esprit autodérisoire du livre, forme d’enquête intime sur l’anéantissement de l’écrivaine, auquel elle résiste en rassemblant en un ouvrage toutes sortes de traces disparates.

Courtepointe de courriels erratiques, de notes spontanées de téléphone portable – « ceci est peut-être le premier livre écrit sur un cell » – et de ce qui s’apparente à des entrées de journal intime, cette œuvre éclatante bénéficie de l’humour savoureux d’Annie Du, qui pratique ce que nous baptiserons ici une ironie de combat. Truffé de références astucieuses, comme l’assimilation de son agresseur au Prétextat Tach d’Amélie Nothomb dans Hygiène de l’assassin, Les cookies de l’apocalypse est un livre inclassable qui marque l’esprit et qui ne s’excuse pas d’être cru. Et c’est très bien comme ça.

— Audrey-Anne Blais, La Presse

Les cookies de l’apocalypse

Annie Du

Varia

166 pages

7,5/10

Meurtres en série en Ontario

L’inspecteur ontarien MacNeice fait désormais partie des héros qu’on aime retrouver dans le polar. Avec ce quatrième tome de la série, celui que les policiers de la ville (fictive) de Dundurn, non loin de Toronto, surnomment le « Wayne Gretzky des crimes majeurs » se retrouve face à une scène de crime des plus inhabituelles. Les victimes ont été abandonnées dans une étrange mise en scène qui lui rappelle un tableau célèbre. Quand un autre corps est découvert, il apparaît rapidement que les deux affaires sont liées. Mais l’hécatombe ne s’arrête pas là, et l’équipe de MacNeice est sur les nerfs, incapable de cerner le profil du tueur. L’intrigue avance à un rythme plutôt lent dans le premier tiers du roman, pendant qu’on s’immerge dans le deuil de MacNeice, qui peine à apprivoiser le quotidien sans sa femme. On apprend aussi pourquoi, au fil de ses rencontres avec une psychologue mandatée par son supérieur, il est devenu policier (bien qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir lu les romans précédents pour apprécier pleinement sa lecture). Il faut également souligner le travail du traducteur, qui s’est efforcé de québéciser les dialogues pour créer un effet de proximité ; on peut trouver cocasse de lire des Ontariens s’exprimer à coups de sacres, mais il réussit assurément à nous faire sentir qu’on n’est pas très loin de chez nous.

— Laila Maalouf

La mort en perspective

Scott Thornley (traduit par Éric Fontaine)

Boréal

432 pages

6,5/10

Fraîchement arrivés chez le libraire

Parmi tous les livres qui sont arrivés récemment en librairie, en voici quelques-uns qui ont attiré notre attention.

Vers le réel – Œuvres choisies

Emmanuel Carrère

Quarto Gallimard

1024 pages

La célèbre collection Quarto de Gallimard réunit dans cet ouvrage romans, récits, articles et reportages de l’écrivain, réalisateur et reporter français, publiés au cours des 40 dernières années, avec des photos tirées de ses archives personnelles. On peut se plonger dans La moustache, Un roman russe ou encore L’adversaire, qui a marqué un tournant dans sa carrière, mais aussi découvrir des textes comme « Pourquoi j’aime le cinéma » et « Comment j’ai complètement raté mon interview de Catherine Deneuve ». Pour tous les inconditionnels de l’auteur de Limonov.

Nos fleurs

Anaïs Barbeau-Lavalette et Mathilde Cinq-Mars

Marchand de feuilles

96 pages

L’autrice de La femme qui fuit et l’illustratrice qui a déjà signé avec elle l’album Les héroïnes se sont laissé inspirer cette fois-ci par les fleurs qui poussent dans les champs de la province – épilobe, achillée millefeuille, grande molène, myosotis ou bardane – pour créer un beau livre au petit format qui fait rêver de l’été.

Le fils du père

Víctor del Árbol (traduction d’Émilie Fernandez et de Claude Bleton)

Actes Sud

368 pages

L’auteur catalan signe un roman très noir, qui baigne dans l’histoire espagnole à travers le récit de trois générations d’hommes poussés vers la violence. L’intrigue s’amorce avec un professeur d’université qui admet avoir torturé et tué un homme, puis on remonte dans le passé, avec son père et son grand-père, jusqu’à la guerre civile. Un récit qui explore la transmission, la relation filiale et l’amour du père.

L’amour à Kingscroft

Mylène Gilbert-Dumas

VLB

176 pages

C’est la suite du roman Noël à Kingscroft, qui renoue avec Rabih et Clarisse. Le nouveau couple semble filer le parfait bonheur jusqu’à l’arrivée impromptue de la mère de Rabih, qui vient bouleverser l’équilibre de la petite communauté estrienne.

L’assassin est dans la nature

Anne Fleischman

Glénat Québec

280 pages

Quatrième roman de l’autrice montréalaise (qui sera de passage au Salon du livre de Montréal la fin de semaine prochaine), L’assassin est dans la nature nous entraîne sur la piste du tueur d’un architecte en vogue. Un sympathique gynécologue montréalais à la retraite et un agent de la police du Rhode Island mènent l’enquête dans un décor enchanteur, bordé par l’océan Atlantique.

La bague au doigt

Eva Ionesco

Robert Laffont

496 pages

L’actrice et réalisatrice française a été mariée à l’écrivain Simon Liberati, qui a écrit un livre (Eva, en 2015) inspiré de sa fascination pour celle qui est devenue sa femme et qui, pendant des années durant son enfance, a dû poser nue pour sa mère, célèbre photographe. Elle raconte ici ce mariage où séduction et littérature ont fini par former un amalgame dangereux.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.