Cotes d’écoute des radios

 À quand un vrai portrait ?

Le sondage Numeris de l’hiver 2023 pour la radio a été publié il y a quelques jours. Le tableau reste pratiquement le même dans la région de Montréal. Le 98,5 de Cogeco domine toujours et ICI Première suit de près.

Ces résultats, publiés deux fois par année, permettent aux radios de claironner qu’elles sont numéro 1 dans tel ou tel domaine. Et pour celles qui diffusent de la publicité, ils sont des outils solides pour séduire les annonceurs.

Il faut toutefois savoir que ces données pourraient être fort différentes si elles étaient comptabilisées autrement. En effet, nous sommes de plus en plus nombreux à écouter des émissions en mode rattrapage. La plupart des radios ont des sites web ou des plateformes spécialisées (OHdio) qui offrent cette formidable souplesse.

Or, la société Numeris, chargée de préparer les rapports de cotes d’écoute des radios partout au pays, ne tient pas compte de cette réalité.

Radio-Canada m’a fourni des chiffres très éloquents de l’écoute en rattrapage faite sur OHdio. Pour la période d’hiver 2023 (décembre, janvier, février), il y a eu une moyenne mensuelle de 1 259 581 branchements (998 567 visaient du contenu produit par ICI Première et 260 575 par ICI Musique).

On se rend compte que divers facteurs font que certaines émissions sont plus populaires que d’autres en mode rattrapage (format et durée des émissions, créneau non compatible avec nos habitudes, etc.).

Ainsi, les émissions d’ICI Première et d’ICI Musique les plus écoutées en mode rattrapage sont La journée (est encore jeune), Pénélope, Tout un matin, C’est si bon et Aujourd’hui l’histoire.

À Radio-Canada, on a très hâte que ces résultats soient intégrés à ceux de l’écoute en direct. « C’est certain que les données d’écoute sont incomplètes actuellement, dit Caroline Jamet, directrice générale Audio et Radio à Radio-Canada. Lorsque le portrait global sera offert, nous verrons l’empreinte complète et pourrons mieux juger de l’impact du diffuseur public, qui est beaucoup plus grand que ce qu’on présente en ce moment. »

Au 98,5, la radio la plus écoutée au Canada pour la quatrième année consécutive, on souhaite également que ce système arrive au plus vite. « C’est clair que ça donnerait un portrait beaucoup plus juste, m’a confié Julie-Christine Gagnon, directrice des programmes. L’industrie se transforme et on devient de plus en plus des diffuseurs de contenus. Les gens se tournent vers le numérique en fonction de leurs intérêts. »

Sur le site web de cette radio, on met de l’avant des extraits des émissions. Parmi les plus populaires, on retrouve les chroniques de Pierre-Yves McSween et de Jonathan Trudeau, de même que la revue de presse de Paul Arcand. Plus d’un million d’auditeurs s’abreuvent en moyenne chaque mois à ces segments. Depuis le début de la saison (août 2022), 1,8 million d’extraits audio provenant de l’émission Puisqu’il faut se lever ont été écoutés.

Ce souhait, je l’ai aussi entendu de Suzanne Landry, vice-présidente développement de contenu, programmation et information chez Bell Média.

« Les portes d’entrée sont maintenant plus nombreuses. Si les données étaient combinées, cela nous permettrait d’avoir une meilleure vue d’ensemble. »

– Suzanne Landry, vice-présidente chez Bell Média

Chez Bell Média, les auditeurs peuvent écouter en rattrapage des émissions dans leur intégralité ou fragmentées. Des extraits de l’émission Véronique et les fantastiques obtiennent un énorme succès (125 000 téléchargements par semaine).

Les radios peuvent obtenir les résultats de leur écoute en rattrapage auprès d’Adobe Analytics. Ces données tiennent compte du nombre de branchements, pas du nombre de personnes à l’écoute (le système ne tient pas compte du nombre de personnes qui écoutent une émission avec vous). Il faut aussi savoir que les branchements sont calculés à l’échelle nationale et n’offrent pas de données par région.

Bref, est-ce que ça changerait le tableau final ? La réponse est assurément oui.

Cette méthode de calcul aurait un impact sur le classement des radios et de leurs émissions. Mais au-delà de cela, il y a un aspect plus important pour l’avenir de nos médias et de notre culture. « Ces données nous permettraient de mieux comprendre la pénétration du contenu québécois auprès du public, notamment les jeunes », affirme Sébastien Charlton, professeur et chercheur au Centre d’études sur les médias de l’Université Laval. « On se dirige vers un écosystème qui garde pour lui plusieurs données. Si on en savait davantage, cela aurait clairement un impact sur les politiques culturelles. »

Chez Numeris, on m’a dit qu’il ne serait pas difficile d’un point de vue technique de créer un système semblable à celui qui est déjà utilisé (dans certains marchés canadiens) pour mesurer l’écoute télé. Grâce à la fusion de plusieurs méthodes de calcul, on arrive à brosser un portrait plus juste des auditoires multiplateformes.

Pour le moment, les cotes d’écoute des radios sont calculées à l’aide d’audimètres (appareils portables prêtés à des auditeurs ciblés au hasard) dans certains marchés et aux bons vieux cahiers d’écoute dans d’autres marchés.

Ceux qui remplissent ces cahiers doivent identifier le nom de la station et le créneau qui fait l’objet d’une écoute. Pour obtenir l’écoute en rattrapage, il faudrait fournir plus de détails. Et cela n’est pas possible pour le moment.

Le monde de la radio vit actuellement un grand bouleversement qui garantit sa survie et lui offre un bel horizon. Il est à souhaiter que les technologies qui nous permettront de suivre cette révolution arrivent au plus vite.

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