Un ministère à abattre

Il y a un ministère de trop à Québec. Un ministère malade qui contamine les autres, celui des Forêt, de la Faune et des Parcs.

Son titulaire, Pierre Dufour, le démontre malgré lui dans le dossier des aires protégées.

Depuis plusieurs mois, il agit comme un lobbyiste de l’industrie forestière. Comme un danger pour la faune qu’il est censé défendre.

Selon la convention de Nagoya, le Québec devait protéger 17 % de son territoire d’ici 2020. Le gouvernement caquiste se vante d’avoir atteint la cible in extremis, en décembre. Or, la vaste majorité de ces zones se trouvent au nord du 49parallèle. Cela viole une partie de l’engagement, soit de préserver chacun de nos grands écosystèmes.

Pourtant, 83 sites dans le Sud avaient été ciblés.

L’artiste et militant Richard Desjardins accusait il y a quelques jours le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, d’avoir saboté le processus. Mais selon mes informations, autant M. Charette que ses fonctionnaires ont défendu ces zones. C’est M. Dufour qui s’y opposait en coulisses.

Il ne se gêne pas non plus pour le faire devant les caméras. Mercredi, il a ridiculisé les écologistes en déformant les faits.

Selon lui, ceux qui veulent protéger les 83 sites souffriraient du syndrome « pas dans ma cour ». Il dit ne pas vouloir céder devant « trois individus qui ne veulent pas d’intervention en avant de chez eux ».

Il nous prend pour des imbéciles.

Ces projets ont été sélectionnés au terme d’une évaluation rigoureuse avec des scientifiques et les communautés locales, et ils se situent sur des terres publiques. C’est notre cour. Le territoire de tous les Québécois.

Les caquistes promettent de protéger 30 % du territoire d’ici 2030. Mais se donner un objectif ne garantit pas qu’on va l’atteindre, comme le prouve le dossier des gaz à effet de serre.

Pour être crédible, il faut se donner des cibles intermédiaires. La Société pour la nature et les parcs du Canada propose 22 % pour 2022.

Ajouter maintenant les 83 sites nous en rapprocherait. Mais il y a un ministre qui fait obstacle. Tout un ministère, en fait.

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Le ministère des Forêts est une créature étrange et fugace.

Sous Bourassa, c’était un ministère.

Sous Parizeau, il n’existait pas.

Sous Bouchard, Landry et Charest, il s’agissait d’une délégation qui relevait du ministère des Ressources naturelles.

Philippe Couillard a recréé le ministère des Forêts en 2014, en y ajoutant la Faune et les Parcs.

Certaines choses ont toutefois peu changé. Le responsable vient presque toujours des régions forestières. Par osmose, il défend les intérêts de l’industrie. Et sa fonction publique n’offre pas de contrepoids crédible.

Par manque de vérificateurs, les entreprises forestières déclarent elles-mêmes le type et la masse d’arbres coupés. Selon l’émission Enquête, elles allégeraient ainsi leur facture.

Des ingénieurs forestiers du ministère se plaignent de subir les pressions de l’industrie, rapporte leur ordre professionnel.

Le ministère des Forêts est victime de son manque de budget, mais aussi de sa culture et de la confusion des rôles.

En principe, M. Dufour est responsable de la protection de la Faune, et donc des caribous forestiers. Si cela le préoccupe, il le cache bien.

Au lieu de suivre les recommandations d’une étude interne pour rétablir un troupeau à Val-d’Or, il a demandé une nouvelle étude pour en évaluer l’impact sur l’industrie. Et il a aboli les mesures de conservation mises sur trois massifs forestiers du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

La Faune aurait besoin de quelqu’un pour la protéger de son ministre.

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L’industrie forestière est vitale pour plusieurs régions. Vrai, ses retombées économiques sont surestimées. Elle profite de subventions et refile des coûts à l’État, par exemple en dégâts à nettoyer. Mais elle est liée à l’occupation du territoire.

Il n’est pas facile de trouver des projets de développement économique en région. Sinon, la Gaspésie aurait eu un projet plus viable que la cimenterie McInnis.

Ce n’est pas facile, donc, mais c’est tout de même possible. La preuve : le projet d’écotourisme de Péribonka, au Lac-Saint-Jean, dans lequel la communauté a investi 3 millions. D’ailleurs, la création d’une aire protégée à côté l’aiderait.

Mais pour cet enjeu comme les autres, le ministre des Forêts a choisi son camp.

Mieux vaut tout simplement se débarrasser de M. Dufour et de son ministère. Le dossier économique des Forêts serait renvoyé au ministère de l’Énergie. Et celui des Parcs et de la Faune irait au ministère de l’Environnement.

Le partage des responsabilités serait clair.

Mais cela ne réglerait pas le problème au sommet de la pyramide.

L’arbitrage final est toujours fait par le premier ministre.

Même si Philippe Couillard avait une certaine sensibilité pour l’environnement, comme le prouve sa protection de l’île d’Anticosti, il avait tracé la ligne : jamais il ne « sacrifierait une job dans la forêt pour les caribous forestiers ». Cela avait le mérite d’être clair.

François Legault n’agit pas autrement. Après son élection, il avait promis de faire de l’environnement une valeur caquiste. Il a commencé, un peu, à s’attaquer aux changements climatiques. Mais la biodiversité ne l’intéresse pas encore beaucoup.

S’il y était plus sensible, M. Dufour ne fanfaronnerait pas ainsi.

Pour inciter M. Legault à protéger la Faune, il faut commencer par un geste élémentaire. Ne plus saboter les dossiers avant qu’ils se rendent à son bureau.

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