Opinion : Alzheimer

« Fais ce qui est le mieux pour moi »

Jusqu’ici, ça avait été NON. Je ne bouge pas. Je ne veux pas d’aide ménagère. NON à la popote roulante. Non au CLSC. Pas d’intrus chez moi ! Non à la visite de résidences. Ma mère peut être très boquée, voyez-vous… Alors quand dimanche dernier elle m’a dit, à la fois confiante et résignée : « Fais ce qui est le mieux pour moi », un poids immense s’est déposé sur mes épaules.

Ma mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle se débrouille, vit dans sa maison, mais la situation évolue, les choses se détériorent. Cette maladie, c’est de la bouette. Une horreur. Elle progresse, jette son ombre de mois en mois sur celle qui fut une femme de caractère. Elle la ratatine.

Il y a quelques semaines, comme la plupart d’entre nous, j’ai été profondément émue par l’histoire de Michel Cadotte qui aurait mis fin, dans un CHSLD, aux jours de sa femme atteinte d’alzheimer. Un meurtre par compassion. Une affaire d’une infinie tristesse. Puis, il y a eu le cas du député François Bonnardel, qui, racontant le cas de sa mère, invitait les Québécois à une réflexion sur la possibilité d’étendre l’aide médicale à mourir à cette population souffrante.

Ça vient tellement me chercher.

Ma mère, donc, est atteinte. Comme sa sœur. Comme leur mère, ma grand-mère, avant elles.

Cette saloperie rôde, me terrorise. Et je me retrouve proche aidante, sans l’avoir voulu ou recherché. Et les choses se dégradent. Déjà, les premiers choix importants se profilent ; le choix d’une résidence ou celui de demeurer chez elle. « Fais ce qui est le mieux pour moi… »

La déresponsabilisation est totale. On est dans le personnel, l’intime le plus profond. Comment est-elle, dans sa tête ? Qu’est-ce qui est, sera « bon pour elle » ? Et quelle sera la prochaine question grave à laquelle elle m’opposera un : fais ce qui est bon pour moi ?

Qui saura ce qui est bon pour elle ?

Cette question pose celle de l’état de la recherche. Que sait-on de cette maladie aujourd’hui ? Mais demain, où en serons-nous dans le traitement des symptômes ? Que savons-nous exactement de ce que vit la personne atteinte, de ce qu’elle pense, de comment elle ressent la douleur, les malaises, la perte de dignité ? Qu’est-ce qui est bon pour moi, proche aidante ? La placer serait tellement plus sécurisant. Ai-je le droit de penser à moi ? Est-ce éthique ?

Et là arrive la société qui commence à se demander : qu’est-ce qui est bon pour nous, collectivement ? Que faire avec cette population vieillissante, dont l’espérance de vie croît, et avec elle, les coûts de santé, les demandes, la pression sur le système ? Que faire de ces vieux qui, à 35 %, sont atteints de démence à 85 ans ?

Déjà, on est dans un cul-de-sac social et humain, avec des tas de petits vieux mal lavés, nourris aux patates en poudre, avec des proches (quand il y en a) exténués, à boutte. Les questions du futur proche vont se poser et nos bons gouvernants vont y réfléchir, poussés par la population, diront-ils. Faut-il aider à mourir les personnes atteintes d’alzheimer sévère, douloureuses et déchues ? « Fais ce qui est bon pour moi… »

Il est totalement légitime de se pencher sur la question du suicide assisté. Mais il faut savoir que cette disposition sera beaucoup plus délicate et difficile à encadrer que l’aide médicale à mourir déjà établie. Comment, quand le malade peut-il dire qu’il a atteint le point de bascule ? Qu’est-ce que la déchéance ? Pour qui le fait-on, au fond ? Comment fixer objectivement, raisonnablement, les barèmes d’activation de fin de vie ?

La maladie rôde dans ma lignée maternelle. Moi, je saurais ce que je ferais, pour moi. Mais je suis vraiment perplexe devant ce qui pourrait attendre ma mère.

J’ai surtout peur que, déguisée en progrès social, en empathie, en préoccupation humanitaire, on en arrive à une solution étatique pratique pour les finances collectives, face à l’explosion imminente des coûts de santé.

Je crains qu’on ne soit en train de nous rendre socialement acceptable le suicide assisté des grands alzheimer, en faisant l’économie de meilleurs soins en CHSLD, d’outils en CLSC, de solutions venant de la recherche, d’aide aux proches…

Voilà un débat sur lequel je suis incapable d’avoir une opinion tranchée pour autrui. Je suis juste inquiète. Je me contenterai d’écouter, de pleurer, d’avoir de la compassion et d’essayer de prendre les décisions les plus éclairées avec ma mère. Puis, pour elle.

Et je me méfie des solutions trop parfaites et des gouvernants cyniques adeptes de soins parcimonieux.

Fais ce qui est le mieux pour moi.

Oui, maman.

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