Radio-Canada ne doit pas s’excuser !

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) exige des excuses publiques de Radio-Canada pour avoir « manqué de respect et de sensibilité » en diffusant une chronique dans laquelle le titre du livre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique (qui en était le sujet), a été cité.

Radio-Canada doit rejeter cette injonction pour plusieurs raisons, la première étant l’intrusion d’un organisme réglementaire dans la politique éditoriale du diffuseur public. En invoquant l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion qui dit essentiellement que le contenu présenté par la SRC doit être « de haute qualité », le Conseil interprète de manière complètement abusive son pouvoir d’intervention et bafoue littéralement l’indépendance éditoriale du diffuseur.

Rappelons que le contenu de la chronique faisant l’objet d’une plainte avait, en 2020, été jugé « non discriminatoire » par l’ombudsman de Radio-Canada, ce que le CRTC reconnaît lui-même. Dans sa décision, l’ombudsman avait alors estimé que la chronique respectait les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada (parmi les plus exigeantes, sinon les plus exigeantes au pays, en matière d’équité et de rigueur).

Sur le fond, la mention du titre en ondes constitue un énoncé factuel qui a, de surcroît, une valeur historique.

On ne peut passer sous silence le fait que le CRTC, par sa décision, nie l’histoire du Québec et, dans ce cas particulier, un épisode où des penseurs francophones du Canada et des Noirs américains se rapprochaient au nom d’une discrimination que l’on dirait aujourd’hui « systémique » et qu’ils estimaient partagée.

Le CRTC fait lui-même la preuve de l’impossible contorsion linguistique qu’il voudrait imposer à Radio-Canada en oblitérant un mot d’un titre tout en le citant lui-même quinze fois dans sa décision où il reproche au chroniqueur et à l’animatrice de l’avoir prononcé quatre fois sur les ondes…

Dans sa décision, le CRTC écrit que « les titulaires autorisés ont la responsabilité de diffuser des émissions conformes en tout temps aux normes établies par la société ». Est-ce à dire que la liberté d’expression n’existe que pour les propos et contenus conformes aux normes sociales ?

Que Radio-Canada aurait donc l’obligation de diffuser des contenus qui vont dans le sens de l’opinion majoritaire et dominante ? À notre avis, il s’agit d’une position indéfendable, contraire à l’idée même de liberté d’expression.

Radio-Canada ne doit donc pas s’excuser et, tout en respectant ses propres normes, doit défendre sa liberté de jugement éditorial, notamment en en appelant de cette décision. Les bases juridiques d’un tel appel en Cour fédérale sont d’ailleurs très bien explicitées dans un des avis dissidents de la décision du CRTC, signé par sa vice-présidente, radiodiffusion, Caroline J. Simard. Celle-ci rappelle fort à propos l’avis de la Cour suprême à l’effet qu’il n’existe pas au Canada un « droit de ne pas être offensé ».

Cette décision doit être portée en appel.

* Cosignataires : Paule Beaugrand-Champagne, ex-présidente du Conseil de presse du Québec ; Claudine Blais, ex-rédactrice en chef à Radio-Canada ; Luc Chartrand, ex-journaliste et correspondant de Radio-Canada ; Pierre Craig, ex-journaliste et animateur de Radio-Canada ; Bernard Derome, ex-journaliste et animateur du Téléjournal de Radio-Canada ; Renaud Gilbert, ex-ombudsman de Radio-Canada ; Geneviève Guay, ancienne directrice de l’information radio de Radio-Canada ; Jean-François Lépine, ex-journaliste et animateur de Radio-Canada ; Julie Miville-Dechêne, sénatrice indépendante et ex-ombudsman de Radio-Canada ; Anne Panasuk, ex-journaliste de Radio-Canada ; Claude Saint-Laurent, ex-directeur général de l’information (télé) à Radio-Canada ; Alain Saulnier, ex-directeur général de l’information de Radio-Canada ; Pierre Tourangeau, ex-ombudsman de Radio-Canada

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