Université d’Ottawa

Les savoirs autochtones seront mis de l’avant

Ottawa — L’École de service social de l’Université d’Ottawa a adopté une résolution pour donner aux savoirs traditionnels autochtones une valeur équivalente aux savoirs occidentaux. Elle veut les intégrer dans la formation des futurs travailleurs sociaux appelés à œuvrer dans des communautés autochtones au fur et à mesure qu’elles obtiendront la gestion de leurs propres services de protection de la jeunesse.

« Notre résolution ne vise pas à remettre en question la pertinence et la validité des savoirs occidentaux », affirme en entrevue le directeur de l’École de service social, Sébastien Savard.

« C’est plus leur hégémonie qu’on remet en question, soit de dire que c’est la seule façon de percevoir et de comprendre le monde qui vaut. C’est de ce genre de principe dont on cherche à s’éloigner. »

– Sébastien Savard, directeur de l’École de service social

L’idée a été lancée par Gilbert Whiteduck, ex-chef de la communauté algonquine de Kitigan Zibi, en Outaouais, dans le cadre du Cercle Kinistòtàdimin, groupe formé de membres du personnel et de membres des Premières Nations dont l’objectif est de décoloniser ce programme d’études.

« Ça veut dire quoi exactement, la réconciliation, à la fin ? demande M. Whiteduck. Je pose souvent la question. Et quand on parle de décoloniser l’université, ça veut dire quoi ? » Selon ses recherches, l’École de service social de l’Université d’Ottawa serait la première à reconnaître ces savoirs de façon officielle.

La résolution a été adoptée à l’unanimité le 15 mars par le conseil d’administration de l’École, qui réunit ses professeurs, des membres du personnel administratif et des représentants étudiants. Elle déclare que « les savoirs traditionnels autochtones ont une valeur équivalente et ajoutent aux savoirs occidentaux ». Elle exige également leur intégration « progressive et soutenue » à la recherche, à l’enseignement, à la formation et à l’intervention sociale.

Bénéfices pour tous

M. Whiteduck s’attend ainsi à ce que davantage d’Autochtones puissent enseigner, que ce soit en étant invités par les professeurs ou en obtenant une charge de cours. Il estime que l’ensemble des futurs travailleurs sociaux gagnerait à mieux connaître la culture et les traditions des Premières Nations, comme la responsabilité de la famille élargie vis-à-vis d’un enfant et les cérémonies pour reconnaître les diverses étapes de son cheminement.

« La responsabilité d’élever l’enfant ne revient pas seulement aux parents – les parents sont prioritaires –, mais c’est à la famille aussi », évoque-t-il. Par exemple, il revient donc à la famille élargie d’intervenir et de proposer des solutions pour le bien de l’enfant lorsque les parents rencontrent des difficultés, au lieu de faire appel immédiatement aux services sociaux.

L’adoption de la résolution a suscité un certain questionnement au sein du corps professoral. « Ils cherchaient plus à avoir des définitions », explique la professeure anichinabée Cyndy Wylde, qui offrira le premier cours d’introduction à l’intervention sociale auprès des peuples autochtones durant l’été. Celle qui a participé à la commission Viens au Québec s’appuiera en partie sur la tradition orale en invitant des aînés qui raconteront leurs histoires pour faire comprendre à ses étudiants le principe de sécurisation culturelle.

« Ça peut être par rapport à la colonisation, par rapport aux effets des pensionnats, à la rafle des années 60 ou à tout ce qui touche la protection de la jeunesse. Des histoires par rapport à l’éclatement familial, c’est certain que les aînés en ont plus d’une à nous raconter. »

– Cyndy Wylde, professeure anichinabée

Elle note qu’il y a de plus en plus d’écrits sur les valeurs propres aux Premières Nations qui peuvent venir compléter les lectures universitaires, et que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle reconnaît les savoirs traditionnels autochtones.

Besoins grandissants

Le directeur de l’École de service social s’attend à devoir former un grand nombre d’étudiants issus des Premières Nations au cours des prochaines années dans la foulée de l’adoption du projet de loi C-92 sur la protection de la jeunesse autochtone.

« Il y a clairement un besoin immense de formation de travailleurs sociaux vraiment aptes et habilités à intervenir avec les peuples autochtones, et ça, ça demande une transformation importante », reconnaît Sébastien Savard.

D’autant qu’une certaine méfiance demeure envers les services sociaux, qui ont joué un rôle dans les pensionnats pour Autochtones et dans la rafle des années 1960 durant laquelle des enfants autochtones ont été arrachés à leur famille pour être donnés en adoption.

M. Savard aimerait que la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa accueille un aîné en résidence comme l’a fait la faculté de droit civil pour accompagner les étudiants autochtones.

La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, adoptée par le Parlement en 2019, reconnaît les compétences des Autochtones, des Inuits et des Métis en matière de services à l’enfance et à la famille. Depuis son entrée en vigueur, cinq communautés se sont dotées de leur propre législation pour la protection de la jeunesse, dont la nation atikamekw d’Opitciwan.

Lisez l’article « Opitciwan a désormais sa propre loi sur la protection de la jeunesse »

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