CORONAVIRUS 

La résistance se poursuit

Alors que le bilan mondial de l’épidémie de coronavirus a dépassé lundi les 3000 morts, les mesures de contention continuent de se raffermir au pays. À Montréal, l’Hôpital général juif a présenté aux médias une aile désignée par Québec pour accueillir les patients gravement atteints du COVID-19. L’Agence de la santé publique du Canada, quant à elle, a mis en garde les voyageurs en provenance d’Iran.

Hôpital général juif

« Notre hôpital se prépare depuis des années »

L’Hôpital général juif a ouvert aux médias, hier, les portes de son aile K10, désignée par Québec pour accueillir les patients gravement atteints du COVID-19. C’est la première fois que ces installations de mise en quarantaine, conçues pour les éclosions de maladies infectieuses et inaugurées en 2016, pourraient être mises à l’épreuve lors d’une pandémie.

À Montréal, deux hôpitaux deviendront le point de chute des patients testés positivement au COVID-19 avec des symptômes assez graves pour nécessiter une hospitalisation : l’hôpital Sainte-Justine, pour les enfants, et l’Hôpital général juif, pour les adultes. L’unité K10 possède 24 chambres munies de sas équipés de tout le matériel de protection pour protéger le personnel médical.

Ces 24 chambres sont aussi munies d’un système de pression négative. Ces chambres sont ventilées toutes les cinq minutes afin d’évacuer les particules infectieuses qui pourraient s’y trouver. Au total, l’hôpital compte 89 chambres à pression négative, dont 18 aux soins intensifs qui pourraient être utilisées pour les cas gravissimes.

Ici, le poste de travail situé à l’intérieur du sas. Masques N95, jaquettes jetables, visières, gants munis d’un poignet plus long : les hôpitaux désignés par Québec auront la priorité d’approvisionnement en ce qui a trait aux équipements de sécurité pour protéger le personnel.

Normalement, cet étage est réservé aux patients qui ont souffert d’un AVC. « Si l’étage ici se remplit, nos patients atteints d’AVC devront aller sur un autre étage », explique Louise Miner, directrice des services professionnels (à droite). « Les cas plus généraux seraient choisis pour aller dans un autre hôpital. » À gauche : Joanne Côté, directrice de la qualité.

« Notre hôpital se prépare depuis des années », a expliqué le Dr Yves Longtin, chef du service des maladies infectieuses. « On savait qu’un jour ou l’autre, on allait avoir à faire face à ce genre de virus, un nouveau virus respiratoire. Donc, on avait déjà mis en place un comité de pandémie qui se réunissait régulièrement pour être sûrs d’être prêts. » À droite : Lucie Tremblay, directrice des soins infirmiers.

Au cours des deux dernières semaines, le personnel médical a mené de nombreuses simulations. « La préparation aide à diminuer le niveau de stress », dit Lucie Tremblay. « Si une infirmière ou un médecin a à traiter un patient qui a le COVID-19, il va toujours y avoir une ombre derrière la personne, donc une autre infirmière qui va s’assurer qu’il n’y a pas de contamination », explique-t-elle.

Deux autres hôpitaux ont été désignés pour recevoir les patients atteints du coronavirus. Ils sont tous deux situés à Québec : le CHUL est prêt à accueillir les enfants, et l’Institut universitaire de pneumologie et de cardiologie, les adultes. Selon le ministère de la Santé, le Québec compte environ 700 chambres à pression négative dans l’ensemble de ses établissements.

Canada

Un isolement volontaire demandé aux voyageurs revenant d’Iran

Afin de limiter la propagation du virus COVID-19, l’Agence de la santé publique du Canada demande à tous les voyageurs en provenance d’Iran de s’isoler volontairement à domicile durant 14 jours même s’ils sont asymptomatiques. Cette mesure toucherait environ 800 personnes par semaine à l’échelle du pays.

Le dernier bilan officiel iranien fait état de 66 morts et de 1501 cas d’infection, un bond de plus de 250 % en seulement 24 heures. C’est pourquoi Ottawa demande désormais aux Canadiens d’éviter tout voyage non essentiel en Iran.

« L’escalade rapide de cas a été un aspect clé de notre décision », a indiqué la Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique, lors d’une conférence téléphonique destinée aux médias canadiens en fin de journée, lundi.

Jusqu’à présent, le Canada recense 27 cas de coronavirus sur 2900 personnes testées : 1 cas au Québec, 18 cas en Ontario (dont 3 nouveaux cas lundi) et 8 en Colombie-Britannique.

« Ces cas sont des voyageurs qui ont visité la Chine, l’Iran et l’Égypte, et un nombre limité de leurs proches. L’augmentation rapide du nombre des cas en Iran, ainsi que les récents cas canadiens signalés en lien avec les gens qui ont visité l’Iran sont très inquiétants. »

— Le Dr Howard Njoo, sous-administrateur en chef de la santé publique, en conférence de presse

Les voyageurs en provenance de la province chinoise du Hubei devaient déjà se plier à une quarantaine volontaire de 14 jours à leur retour au pays. Les voyageurs qui reviennent d’Iran ou de la province d’Hubei ont maintenant l’obligation de s’identifier à la frontière canadienne. Ils auront ensuite 24 heures pour avertir leurs autorités de santé publique provinciales responsables d’assurer le suivi médical si nécessaire.

Italie, Japon, Corée du Sud

À l’instar de l’Iran, le Canada a haussé hier son « niveau de risque » de 2 à 3 en ce qui concerne les voyages dans le nord de l’Italie. Une telle alerte est déclenchée quand « une vaste région géographique est touchée par une éclosion de grande envergure ». L’Italie recensait officiellement 1600 cas hier.

« Il est conseillé aux Canadiens d’éviter tout voyage non essentiel dans le nord de l’Italie, qui comprend les régions de la Vallée d’Aoste, du Piémont, de la Ligurie, de la Lombardie, de l’Émilie-Romagne, de la Vénétie, du Frioul-Vénétie Julienne et du Trentin–Haut-Adige », précise le gouvernement canadien dans son avis.

La Chine, qui recense plus de 80 000 cas d’infection, dont près de 3000 morts, est toujours classée au niveau 3 de risque (sur 4) pour les « conseils santé » aux voyageurs.

Le Japon et la Corée du Sud sont quant à eux cotés niveau 2. Les voyageurs qui s’y rendent devraient éviter les grandes foules et consulter un médecin s’ils sont malades.

Au sud de la frontière, l’État de Washington a signalé hier quatre décès de personnes atteintes du COVID-19, ce qui porte à six le nombre total de victimes américaines.

« Comme vous le savez, l’éclosion de COVID-19 continue d’évoluer rapidement. L’Organisation mondiale de la santé a récemment augmenté son évaluation des risques de propagation et d’impacts à un stade très élevé à l’échelle mondiale. Plus de 60 pays signalent des cas à l’heure actuelle, et plusieurs d’entre eux parlent de transmission à l’échelle de la communauté », a souligné le Dr Howard Njoo.

À quoi s’attendre ?

Les Drs Tam et Njoo ont précisé hier que la population canadienne devait s’attendre à vivre la suspension de grands rassemblements et des fermetures d’écoles et de lieux de travail.

« Le système de la santé, les individus et les communautés doivent se préparer au déploiement potentiel de mesures en matière de santé publique visant à interrompre la chaîne de transmission. »

— Le Dr Howard Njoo, sous-administrateur en chef de la santé publique

Les Canadiens devraient-ils vraiment faire des provisions pour survivre en isolement durant deux semaines, comme l’a suggéré la semaine dernière la ministre fédérale de la Santé, Patty Hajdu ?

« Cela dépend des situations individuelles de chacun, a répondu la Dre Tam. L’une des choses qu’il faut évaluer lorsqu’on fait un plan, c’est d’entrer en lien avec les gens dans notre entourage qui pourraient nous appuyer. Si vous n’avez pas de réseau, c’est une bonne idée de préparer des vivres […]. Je pense aussi que si vous avez des maladies chroniques, c’est toujours une bonne idée d’avoir des réserves de médication pour 14 jours et plus en tout temps. »

Elle précise cependant que l’heure ne devrait pas être à la précipitation. « Se préparer atténuera certaines ruées, alors je pense que les Canadiens ont le temps de se préparer et qu’ils devraient utiliser ce temps essentiellement pour faire des choix sensés », ajoute-t-elle.

LES CLINIQUES SERONT MIEUX ENCADRÉES, ASSURE LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a réagi rapidement aux préoccupations d’un groupe de médecins de famille, rapportées par La Presse, lundi, voulant que les cliniques de médecine de famille de première ligne ne soient pas équipées ni préparées à faire face à l’arrivée du COVID-19 au Québec. Le Ministère assure qu’il renforcera les communications avec les cliniques de première ligne pour transmettre rapidement toute nouvelle information sur le coronavirus.

« Une mise à jour de l’outil clinique pour les cliniques médicales, de l’arbre décisionnel ainsi qu’un document question/réponse seront transmis [lundi] », a précisé Marie-Claude Lacasse, responsable des relations avec les médias au ministère de la Santé.

« Le MSSS évalue également la possibilité de désigner des cliniques médicales pour la prise en charge en première ligne de cas suspecté de COVID-19 », a-t-elle ajouté, précisant que la situation était ajustée au fur et à mesure de l’évolution de la situation.

Concernant les préoccupations sur l’approvisionnement des équipements de protection individuelle, « un comité tactique provincial en approvisionnement a été formé, composé d’intervenants clés du réseau, du MSSS, des groupes d’approvisionnement en commun, des distributeurs ainsi que des fabricants », a écrit la porte-parole dans un courriel, rappelant que la situation mondiale fait néanmoins « en sorte qu’il n’y a plus de garantie pour un approvisionnement régulier en masques N95 ».

— Audrey-Ruel Manseau, La Presse

Chine

Les exilés ouïghours craignent le pire pour leurs proches

Arrestations massives, disparitions, camps de détention où croupissent plus de 1 million de détenus sous prétexte de suivre une « rééducation » : les exilés ouïghours avaient déjà des raisons de se ronger les sangs pour leurs proches restés au Xinjiang, leur province du nord-ouest de la Chine.

Avec l’épidémie de coronavirus qui s’abat sur la Chine, sans épargner le Xinjiang, leur niveau d’angoisse a explosé.

De nombreux témoignages documentent les conditions de vie des prisonniers des camps chinois. Ils s’entassent dans des cellules tellement petites qu’ils ne peuvent y dormir qu’à tour de rôle, et partagent pour se soulager une seule cuvette entre 20 ou 30 détenus, rappelle Dolkun Isa, président du Congrès mondial ouïghour.

Ce sont des circonstances idéales pour une contagion massive, fait valoir cet exilé ouïghour, qui était de passage à Montréal, lundi.

« Il suffirait qu’un seul détenu soit infecté pour provoquer une catastrophe », a dit Dolkun Isa, en marge d’une conférence organisée par l’Institut montréalais pour l’étude des génocides et des droits de la personne, à l’Université Concordia.

Les conditions hygiéniques dans ces camps sont déplorables, selon des témoignages de survivants. Les détenus ont peu accès aux douches, encore moins aux médicaments, rappelle Dolkun Isa. Mal nourris, ils sont affamés, et leur système immunitaire est à plat : ce qui, selon le militant ouïghour, crée des conditions propices à la contagion.

« C’est une population très vulnérable ; il suffirait d’une seule infection pour que l’épidémie se propage comme un incendie de forêt », renchérit Kayum Massimov, membre de l’Association ouïghoure du Canada, qui participait à la conférence de lundi.

Méfiance

Le Xinjiang, cette région qui abrite 11 millions d’Ouïghours, minorité musulmane durement réprimée par Pékin, a été relativement peu touché par l’épidémie de coronavirus. Du moins, selon les données officielles, qui y recensaient 76 cas de contamination à la mi-février. Le problème, c’est que les représentants des communautés ouïghoures ne croient pas ces statistiques.

« Il y a trois jours, on nous disait qu’il ne restait plus que 12 cas au Xinjiang. C’est étrange, partout ailleurs, ça monte et, dans cette région, ça descend », s’étonne Dolkun Isa, qui ne fait pas confiance aux statistiques de Pékin.

Aucun cas de contamination n’a été jusqu’à maintenant recensé dans les camps de détention où sont détenus plus de 1 million d’Ouïghours. Mais la perspective reste effrayante, d’autant plus que les prisonniers de ces camps sont coupés de tout contact extérieur.

De façon générale, les exilés ouïghours ont peu de contacts avec leurs proches dans cette province, où la minorité musulmane est soumise à une opération d’assimilation intensive. 

Quand la mère de Dolkun Isa est morte dans l’un de ces centres de détention, il y a deux ans, le militant ouïghour l’a appris par l’entremise des médias. Il a su par la suite que son père était mort, lui aussi. Il ignore quand, et dans quelles circonstances. Il y a trois ans qu’il n’a pas eu de contact direct avec ses proches au Xinjiang.

« Nous ne savons pas ce qui se passe dans ces camps, déplore Dolkun Isa. Des gens y disparaissent, et peut-être même que les autorités utiliseront l’épidémie de coronavirus pour justifier des cas de mort en détention. Comme ça, ils pourront dire : ce n’est pas nous qui tuons, c’est le virus. »

Au-delà des camps

Il n’y a pas que les camps qui inquiètent la diaspora ouïghoure. Au cours des derniers jours, des vidéos diffusées sur des réseaux sociaux montrent des Ouïghours reclus dans des villes en quarantaine, qui n’ont carrément plus rien à manger.

L’une de ces vidéos, diffusée sur le site de « Uyghur human rights projets » (Projet ouïghour pour les droits de la personne), montre un homme hurlant qu’il a faim, avant de frapper son front contre un poteau et sur le sol. « Je meurs de faim, ma femme et mes enfants meurent de faim, si vous voulez me tuer, tuez-moi donc », crie-t-il.

Cet organisme établi à Washington a confirmé que les habitants du Xinjiang avaient été confinés chez eux pour stopper la propagation du COVID-19. Le problème, c’est que cette quarantaine aurait été décrétée brutalement, sans qu’ils aient eu le temps de stocker de la nourriture.

Autre source d’inquiétude : des informations indiquent que des dizaines d’Ouïghours ont été conduits vers des usines vidées de leurs ouvriers, tant au Xinjiang qu’en Chine centrale.

Ainsi, selon le Uyghur Times, 30 000 Ouïghours auraient été forcés de travailler dans 229 entreprises d’Hotan, au Xinjiang, malgré la crainte de contagion par le COVID-19.

Selon Kayum Massimov, des médecins ouïghours auraient été dépêchés « comme des soldats au front » pour soigner des gens dans des régions plus infectées que le Xinjiang.

« On envoie des gens en santé dans des régions exposées au coronavirus », déplore Kayum Massimov, qui dénonce le « cynisme » de ce procédé.

« Ce que tout ça montre, c’est qu’aux yeux du gouvernement chinois, la vie des Ouïghours, ça ne compte pas », résume Dolkun Isa.

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