Duhaime aurait-il dû déclarer sa propriété ?

Laval — Le chef conservateur a affirmé mardi qu’il ne pouvait pas inclure sa propriété de l’avenue Moncton à Québec dans sa déclaration de revenus parce qu’il n’en tire aucune somme. Il laisse un ami y habiter pour l’aider. Celui-ci devait payer les comptes de taxes foncières et scolaires en échange, mais Éric Duhaime a finalement dû s’acquitter de ces factures.

Éric Duhaime aurait-il dû déclarer cette propriété au fisc ? Tout dépend s’il en tire ou non de l’argent, selon le fiscaliste Luc Lacombe, associé au sein de Raymond Chabot Grant Thornton. « À la base, tout contribuable doit déclarer tous ses revenus, indique-t-il. Toutefois, quand un bien est détenu pour des fins personnelles et pas pour gagner un revenu, il n’y a pas d’obligation de le déclarer. »

« La vraie question serait plutôt : M. Duhaime reçoit-il un autre avantage de son ami à qui il prête sa maison ? Si oui, quelle est la valeur de cet avantage ? » poursuit-il.

Éric Duhaime a expliqué mardi avoir voulu aider un ami en difficulté en le laissant habiter une résidence dont il est propriétaire sans lui facturer de loyer. Cet ami devait en contrepartie payer les comptes de taxes foncières et scolaires.

Le chef conservateur n’a pas identifié l’homme en question. La Presse a décidé de ne pas le nommer, étant donné qu’il est inconnu du public, qu’il n’est pas impliqué en politique et qu’il n’a pas de responsabilités publiques.

« L’idée, ç’a été de transférer ça pour qu’il entretienne la maison et qu’il paie les comptes courants, incluant les taxes, incluant l’Hydro, incluant le câble, incluant tondre le gazon, peinturer la maison, etc. Les trucs de base, a-t-il expliqué. Malheureusement, il a tardé et c’est pour ça que j’ai dû payer a posteriori l’ensemble des factures. »

« Je perds de l’argent avec cet immeuble-là, a également souligné Éric Duhaime. Je vais en faire le jour où je vais le vendre. »

Or, « les lois fiscales s’appliquent à tout le monde », tranche le fiscaliste André Lareau, professeur associé à la faculté de droit de l’Université Laval.

« Si on reçoit un revenu de loyer ou si des sommes sont payées par des locataires alors qu’elles auraient dû être payées par le propriétaire, cela constitue du revenu pour le propriétaire. Ce n’est pas au propriétaire de décider s’il les divulgue ou non à l’État. »

— André Lareau, fiscaliste et professeur de l’Université Laval

André Lareau avait récemment invité Éric Duhaime à faire preuve de transparence et à rendre publics tous ses documents fiscaux, incluant les états financiers de son immeuble, sa déclaration de revenus et son avis de cotisation pour démontrer qu’il ne s’agissait pas d’un stratagème d’évasion fiscale. Le compte en souffrance pour les taxes foncières remontait à 2020.

Le chef conservateur a refusé. « Ce sont des informations de nature confidentielle, qui vont rester confidentielles », avait-il affirmé lundi. Il a répété à plusieurs reprises qu’il n’avait rien fait d’illégal.

Un ami propriétaire, puis locataire

L’« ami locataire » et son ex-conjointe étaient propriétaires de la maison de la rue Moncton jusqu’en 2018. Il était criblé de dettes envers ses proches et le gouvernement quand Éric Duhaime a racheté la propriété.

Selon les informations disponibles au registre foncier, Revenu Québec avait déjà fait inscrire une hypothèque légale de 44 422 $ sur la demeure en août 2017. Puis une entreprise appartenant au frère de l’« ami locataire » a dû le poursuivre pour récupérer la somme de 60 000 $ qu’il lui avait prêté, selon un jugement qu’a retracé La Presse.

Pour des raisons inconnues, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a aussi réclamé 13  738 $ à l’ami du chef conservateur. Un montant qu’il a payé, confirme l’organisme.

L’ex-femme de l’« ami locataire » lui a également réclamé des milliers de dollars en cour.

Puis en 2016, une autre ex-conjointe a obtenu un jugement le forçant à lui racheter sa part de la propriété de la rue Moncton, pour une somme d’au moins 76 695 $. L’ami d’Éric Duhaime est allé jusqu’en Cour d’appel pour faire réviser cette somme à la baisse. Sans succès : le tribunal a refusé d’entendre la cause.

L’ex a alors entrepris des démarches pour forcer la vente de la propriété afin d’obtenir son argent. Le chef du Parti conservateur l’a rachetée trois mois plus tard en mars 2018, pour 600  000 $.

Mais les problèmes de son ami avec Québec se sont poursuivis. Le fisc lui a fait parvenir en juillet 2018 une « demande péremptoire » pour le forcer à produire sa déclaration de revenus pour l’année 2016. Il s’est exécuté quatre jours après la fin de l’ultimatum, écopant d’une amende de 400 $.

Duhaime passe en mode attaque

Sur la défensive depuis quatre jours, le chef conservateur s’est attaqué mardi soir à ses adversaires politiques devant de nombreux militants réunis dans un restaurant de Laval. « Plus ils nous attaquent, plus on monte », s’est-il exclamé devant ses partisans.

« On n’a aucune leçon d’éthique à recevoir et d’intégrité à recevoir d’un gouvernement qui a distribué pour 17 milliards de contrats sans appels d’offres », a-t-il affirmé en ciblant la Coalition avenir Québec.

Le chef conservateur a été critiqué par ses adversaires politiques pour ses divers comptes en souffrance au fil des ans : taxes municipales, taxes scolaires, compte d’électricité et facture pour des travaux de plomberie.

« C’est pas fort, se présenter comme premier ministre du Québec avec toutes ces révélations-là », a réagi le co-porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois mardi. Il a invité le chef conservateur à « faire preuve de transparence ».

Les chefs « millionnaires » doivent payer plus d’impôt, selon Nadeau-Dubois

Rouyn-Noranda — Gabriel Nadeau-Dubois a profité de l’exercice de dévoilement des bilans financiers des chefs pour s’en prendre aux « millionnaires » Dominique Anglade, François Legault et Éric Duhaime, qui doivent selon lui contribuer davantage aux services publics en payant plus d’impôt. Le chef caquiste l’accuse de faire diversion pour faire avaler sa « taxe orange ».

Depuis maintenant quelques élections au Québec, les chefs divulguent leurs actifs en cours de campagne. C’est à la suite d’une demande de la station montréalaise de Cogeco, le 98,5 FM, qu’ils ont accepté de le faire cette fois-ci.

La cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, et son conjoint Helge Seetzen détiennent des actifs nets de 12,5 millions de dollars, composés notamment de trois résidences, dont deux sont louées, selon les données qu’elle a transmises aux médias mardi.

Les actifs du premier ministre sortant et chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, et de sa conjointe Isabelle Brais s’élèvent de leur côté à près de 7,9 millions.

Le chef du Parti conservateur, Éric Duhaime, a déclaré un bilan positif de 3,75 millions, grâce à trois immeubles.

Du côté de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois (104 285 $) a une portion d’un duplex et un fonds de pension, Manon Massé (394 865 $), une roulotte achetée usagée, des placements et des fonds de pension.

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon (410 450 $), possède notamment une maison et deux propriétés locatives.

« La classe moyenne n’a pas des millions de côté »

M. Nadeau-Dubois a profité de cet exercice pour faire valoir la nécessité d’imposer la richesse accumulée, et non pas seulement les revenus.

« Ces chefs, dans les derniers jours, ont dit que Québec solidaire s’attaquait à la classe moyenne [avec son impôt sur les actifs nets de plus de 1 million de dollars et sur les grandes successions]. Moi, je pense que la classe moyenne au Québec n’a pas des millions de mis de côté, et je pense que les gens qui ont des millions de côté peuvent contribuer davantage à la société », a lancé M. Nadeau-Dubois en point de presse à Rouyn-Noranda.

« Moi, que Mme Anglade, M. Legault et M. Duhaime soient des millionnaires, ça ne me dérange pas. Ce n’est pas un problème en soi d’être millionnaire dans la vie », a-t-il indiqué.

« La question qu’il faut se poser, c’est si ces gens-là peuvent contribuer un peu plus à la société parce qu’ils ont un peu plus d’argent. La position de QS est claire. On pense que oui. Quand on a plusieurs millions de mis de côté, on a les moyens de mettre un petit 1000 $ par million. »

— Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

La réplique est venue de François Legault, qui l’accuse de tenter de trouver un faux-fuyant à une proposition de réforme fiscale impopulaire. « Je pense que M. Nadeau-Dubois fait de la diversion alors que moi, je défends la classe moyenne. La classe moyenne qui n’est pas ouverte à payer les taxes orange de M. Nadeau-Dubois », a-t-il lancé en mêlée de presse.

Avant la sortie de Gabriel Nadeau-Dubois, Dominique Anglade a expliqué qu’il est « normal » de dévoiler ses actifs lorsque l’on veut « administrer les taxes et les impôts de tout le monde ». Elle le fait « par souci de transparence ».

« Vous vous demandez ce que ça veut dire sur la personnalité des chefs ? Chacun sera libre de répondre à cette question, mais je peux vous dire ce que ça représente pour moi. J’ai été élevée par deux enseignants, et s’il y a une chose qu’ils m’ont inculquée comme valeur, c’est l’importance de travailler fort, de payer ses taxes et ses impôts, et de faire ce que tu as envie de faire, d’être passionnée par ce que tu fais. C’est ce que j’ai fait dans ma carrière avant la politique. Et je l’ai fait avec succès. Et j’en suis fière », a affirmé la cheffe libérale.

Remous

La promesse de réforme fiscale de Québec solidaire crée des remous dans la campagne de M. Nadeau-Dubois depuis son annonce la semaine dernière. Il a dû rapidement reculer en écartant les terres agricoles de cet impôt sur la richesse, et se fait critiquer par ses adversaires, qui l’accusent de taxer la classe moyenne.

Le chef parlementaire réplique que seuls les 5 % les plus riches seront visés par cette mesure, mais les critiques semblent faire mouche. La veille, lors d’une assemblée populaire tenue à Rouyn-Noranda, une militante qui a fait « beaucoup de pointage » a constaté un effet négatif sur le terrain. Elle a demandé à M. Nadeau-Dubois comment il comptait redresser le message. Lors d’un passage récent à Trois-Rivières, une femme avait également souligné à M. Nadeau-Dubois que beaucoup de gens croyaient être touchés par cette mesure.

Celui-ci a rétorqué que son parti ne comptait pas imposer davantage la classe moyenne et les PME. « On n’en entend pas plus parler que d’autres propositions qu’on a faites. […] Quand on a des adversaires qui critiquent ces propositions, des gens ont des questions », a dit M. Nadeau-Dubois mardi matin.

— Avec Hugo Pilon-Larose, Fanny Lévesque et Mylène Crête, La Presse

Actifs nets des chefs

Dominique Anglade (PLQ) : 12,5 millions

François Legault (CAQ) : 7,9 millions

Éric Duhaime (PCQ) : 3,75 millions

Paul St-Pierre Plamondon (PQ) : 410 450 $

Manon Massé (QS) : 394 865 $

Gabriel Nadeau-Dubois (QS) : 104 285 $

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