Maladies du sommeil

Faire connaître la narcolepsie

« Toi, aimes-tu dormir ? » Gabrielle Roy ne le savait pas encore, mais c’était la question qu’un médecin devait lui poser depuis des années.

Après avoir ressenti de curieux picotements aux jambes, perdu pied en riant, eu l’impression de passer pour une folle à chacune de ses visites aux urgences où on lui parlait vaguement de stress ou de chute de pression et après des années à se croire atteinte de sclérose en plaques ou d’épilepsie, un médecin lui posait enfin une question qui avait un sens pour elle.

Oui, la jeune femme alors âgée de 26 ans aimait dormir. Beaucoup. Difficile – voire impossible – pour cette fille sportive et apparemment pétante de santé d’aller au théâtre ou au cinéma sans piquer un roupillon. C’était la pièce manquante du puzzle pour enfin mettre un mot sur ce qui lui faisait la vie dure depuis des années. « Je pense que tu es narcoleptique », lui a répondu le médecin.

Trois ans plus tard, elle est encore atteinte de ce mal étrange qui, au cinéma (My Own Private Idaho de Gus Van Sant, par exemple), peut avoir quelque chose de drôle, de dramatique ou de poétique. Gabrielle Roy, elle, ne trouve rien de très poétique à cette maladie du sommeil qu’elle veut mieux faire connaître. 

« Ce que je trouve difficile, c’est la fatigue, dit-elle. La pire affaire, c’est de me faire dire : voyons, Gabrielle, tout le monde est fatigué ! » Sa fatigue à elle est extrême. Mieux vaut ne pas lui donner rendez-vous dans un café trop tranquille, elle pourrait bien ronfler si on arrive en retard.

UN MAL PAS SI RARE

La narcolepsie n’est pas une maladie si rare qu’on le prétend, selon le neurologue Alex Desautels. Le médecin, rattaché à l’hôpital du Sacré-Cœur, un important centre mondial des maladies neurologiques du sommeil, avance qu’elle touche environ 1 personne sur 2000 et qu’elle est sans doute sous-diagnostiquée au Québec. « Tous les cas de la province sont vus à Sacré-Cœur, sauf deux », précise le médecin.

Bien que les symptômes apparaissent généralement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, il n’est pas rare qu’un narcoleptique ne soit officiellement diagnostiqué que 10 ou 15 ans après le début de la maladie. « Dans l’intervalle, les gens se font dire qu’ils sont dépressifs, stressés, épileptiques », détaille le médecin. Et ils souffrent, tant sur le plan physique que social.

« La narcolepsie a eu un impact sur mon ancienne relation amoureuse. Ce n’est pas ça qui l’a ruinée, mais ça n’a pas aidé », précise Gabrielle Roy. La jeune femme, qui frise les 30 ans, a déjà eu une grossesse non désirée parce que l’un de ses médicaments a eu un impact sur sa pilule contraceptive. Elle ne sait pas si elle osera avoir des enfants et conserve une gêne sociale certaine. Elle redoute « de passer pour la fille poche » dans les partys ou lors d’escapades entre amies.

UNE VIE « CORRECTE »

« Ça ne se guérit pas, mais ça peut se contrôler », se console-t-elle. Gabrielle Roy prend des amphétamines pour favoriser l’éveil. Son médecin lui a parlé de prendre une faible dose de GHB à longue action pour consolider son sommeil. Elle n’est pas encore sûre. Avec les médicaments, les narcoleptiques peuvent espérer avoir une vie « correcte », estime le neurologue Alex Desautels. Des approches complémentaires doivent cependant être envisagées.

« Les courtes siestes – 10 ou 20 minutes – durant le jour sont très rafraîchissantes pour les narcoleptiques », dit le médecin. Une thérapie cognitivo-comportementale pour diminuer la charge émotive ressentie par les patients dans certaines situations peut aider à gérer la cataplexie. L’hypnose est une autre piste à explorer.

Gabrielle Roy veut plus. « Qu’est-ce que je peux faire, moi ? Je ne peux pas croire qu’il n’y a rien à faire au niveau alimentaire. Moi, si je mange des pâtes, je fais la patate pendant deux heures, souligne-t-elle. Je suis une sportive dans l’âme, mais je ne peux plus : mon cœur bat à 140 au repos à cause des amphétamines. »

La jeune femme aimerait mettre sur pied une association de narcoleptiques. « J’aurais aimé avoir un groupe de soutien quand j’ai eu mon diagnostic. Pour me faire rassurer, pour me faire expliquer que j’allais vivre des changements psychologiques et physiques, explique-t-elle. Il y a des moments où j’ai été down… J’étais fatiguée, et les gens se fâchaient contre moi… »

L’automne dernier, elle a pris les devants et s’est inscrite à un colloque sur les troubles du sommeil tenu à Toronto. « C’était la première fois de ma vie que je rencontrais d’autres narcoleptiques. Ce que je raconte, je l’entendais pour la première fois dans la bouche de quelqu’un d’autre. C’était très émouvant parce que je pouvais me dire :  je ne suis pas folle ! »

QUELQUES DÉFINITIONS

Narcolepsie

« On a tous un niveau de somnolence qui peut varier au cours de la journée, explique le Dr Alex Desautels. Les narcoleptiques, eux, ont un niveau de somnolence de base encore plus important, auquel vont se greffer des attaques de sommeil toutes les deux ou trois heures. » Lors d’une poussée de sommeil, si la personne atteinte est peu stimulée, elle peut s’endormir en quelques secondes, qu’elle soit en train de parler, de manger ou même de faire l’amour.

Cataplexie

Il s’agit d’une perte de tonus musculaire subite, induite par une émotion forte, le plus souvent positive. Un fou rire, par exemple. « La majorité des crises de cataplexie sont partielles, nuance le neurologue. Les gens vont avoir de la difficulté à parler, ils vont échapper des choses, leur tête va avoir tendance à tomber. Ça peut durer quelques secondes ou quelques minutes. »

États dissociés

Ce qui est au cœur des problèmes des narcoleptiques, c’est qu’ils souffrent d’états dissociés. Il y a des éléments d’éveil qui s’introduisent dans leur sommeil (un sommeil nocturne très fragmenté) et des éléments de sommeil qui s’introduisent dans l’éveil. Ainsi, il arrive qu’une personne narcoleptique continue à parler ou à conduire pour ensuite constater qu’elle a eu une absence. Ces « automatismes » seraient du « micro-sommeil », selon le neurologue Alex Desautels.

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