Montréal

Logements cherchent occupants

Le drame vécu par des familles plus vulnérables en ce 1er juillet masque le fait que le marché immobilier montréalais ne connaît pas de pénurie. Le déplacement de nombreuses familles vers les banlieues depuis la pandémie fait en sorte qu’il ne manque pas de logements dans l’île. Le problème n’est pas la disponibilité, mais plutôt l’abordabilité.

Un dossier de Suzanne Colpron

Logements à Montréal

Disponibles, mais à quel prix ?

Franck Gervais Marin a répondu à une vingtaine d’annonces de logements à louer depuis deux mois. Des quatre et demie et des cinq et demie. Parfois trop petits. Souvent trop chers. Il vient enfin de trouver ce qu’il cherchait pour sa famille de deux enfants et lui : un quatre et demie construit en 2021 à 1260 $ par mois.

Où ? À Saint-Hubert, sur la Rive-Sud.

Depuis 2018 et encore plus depuis la pandémie, des milliers de Montréalais ont opté, comme lui, pour la banlieue, où le taux d’inoccupation est affreusement bas (1 %) et les loyers, plus chers que jamais. C’est ce qui explique en grande partie qu’on se retrouve à Montréal avec un taux d’inoccupation de 4,7 % sur l’ensemble du territoire, selon une étude menée en avril 2022 par la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ). Un taux supérieur à celui de 3,7 % mesuré en octobre 2021 par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

En 2019, avant la pandémie, ce taux était de 1,6 %.

Mais qu’il soit de 3,7 % ou de 4,7 %, une chose est sûre : l’offre de logements est relativement grande dans l’île de Montréal. En effet, le taux d’inoccupation est supérieur au seuil de 3 % qui est considéré comme le point d’équilibre. On parle de pénurie quand le taux est inférieur à 3 %.

En ce 1er juillet, de nombreux logements sont disponibles pour une occupation immédiate à Montréal, contrairement aux années passées.

Il suffit de consulter des plateformes de location pour s’en convaincre. Sur Kangalou ou LesPac, par exemple, 162 appartements à louer de deux chambres sont annoncés à un prix inférieur ou légèrement supérieur à 1135 $ par mois, qui est le loyer moyen pour un quatre et demie vacant dans l’île, selon la SCHL. Ce sont ces logements de deux chambres qui servent habituellement de référence. Kijiji en recense, de son côté, 210. Et sur Centris, on compte 307 offres.

Plusieurs appartements ont besoin de rénovations, comme La Presse a pu le constater, particulièrement dans les quartiers centraux. Mais d’autres sont en assez bon état. À Montréal-Est, un quatre et demie rénové est offert à 950 $ par mois. Dans Parc-Extension, près de la station de métro Parc, un appartement de 700 pieds carrés cherche preneur à un loyer de 1150 $. Près de l’Université de Montréal, un logement de deux chambres est à louer à 1099 $ par mois.

Mais attention, l’offre de quatre et demie à plus de 2000 $ par mois est encore plus importante sur le marché montréalais. On trouve un condo de deux chambres, rue William, à 7000 $. D’autres à 3000 $ ou 4000 $ par mois.

Une crise d’abordabilité

« La situation sur le terrain à Montréal va en s’améliorant, autant en disponibilité des logements qu’en diversité des logements », assure toutefois Benoit Ste-Marie, directeur général de la CORPIQ, qui s’attend à une stabilisation des prix des loyers, à Montréal, après deux années marquées par des hausses marquées.

Selon lui, plusieurs facteurs expliquent le haut taux d’inoccupation dans l’île. Le premier est l’exode vers les villes de première et de deuxième couronne. Entre juillet 2020 et juillet 2021, 232 000 personnes ont changé de région administrative de résidence au Québec, soit 19 % de plus que les 12 mois précédents, selon l’Institut de la statistique du Québec. Montréal a ainsi enregistré des pertes nettes de 48 300 habitants dans ses échanges avec les autres régions.

Le deuxième est la construction de nouveaux logements dans l’île. Depuis trois ans, il s’est construit 44 000 logements locatifs dans la région métropolitaine.

À Montréal, la crise du logement n’est donc pas une crise de disponibilité, comme celle à laquelle on assiste dans plusieurs banlieues et régions du Québec, mais plutôt une crise d’abordabilité. Il y a des logements, mais ils coûtent plus cher, grugent une part croissante du revenu et, surtout, sont au-delà des capacités de payer des ménages moins fortunés.

Malgré l’augmentation de l’offre de logements locatifs, le nombre d’habitations abordables pour les familles à faible ou moyen revenu n’a pas beaucoup bougé dans la métropole, alors qu’il était déjà très bas. Par exemple, on ne comptait que 78 109 logements sociaux au Québec, en 2021, selon la SCHL, contre 326 852 en Ontario. En tenant compte de la population, il y a 2,4 fois plus de tels logements dans la province voisine qu’au Québec.

Explosion des prix

« Il y a une absence presque totale de logements abordables à Montréal, constate Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). C’est probablement une des raisons pour lesquelles ça a aussi explosé en région. »

« Parce qu’il n’y a plus de logements abordables disponibles en ville, il y a une partie des locataires qui s’est déplacée en dehors des grands centres pour trouver des logements plus abordables. Ça a créé une baisse du taux d’inoccupation et ça a fait monter les prix. »

— Cédric Dussault, porte-parole du RCLALQ

Les loyers ont en effet augmenté de façon plus importante à l’extérieur de Montréal que dans l’île cette année. Et la demande de grands logements est en hausse partout, observe Cédric Dussault, du RCLALQ. Avec la crise sanitaire et l’expérience des confinements et du travail à domicile, les studios et les miniappartements ont moins la cote.

« À Sherbrooke, par exemple, on a 26,5 % d’augmentation par rapport à l’an passé, calcule M. Dussault. À Granby, on a une augmentation de 54,5 % par rapport à l’an passé. On a un loyer moyen à Granby, en ce moment, au-dessus de 1200 $ par mois. »

Dans plusieurs secteurs, les taux d’inoccupation vont rester faibles cette année, prévoit la SCHL. « Une des raisons, c’est que l’accession à la propriété devient de plus en plus difficile avec la hausse des prix, explique l’économiste Francis Cortellino. Les locataires vont demeurer locataires plus longtemps. »

Québec bonifie son aide pour les ménages dans le besoin

Québec a bonifié jeudi l’allocation-logement et des suppléments au loyer pour les Québécois dans le besoin. L’allocation-logement pourra désormais atteindre 170 $ par mois, ce qui correspond à une hausse de 70 %, selon la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest. Quelque 134 000 ménages seront admissibles à cette aide financière pour payer leur loyer en 2022-2023. Le gouvernement rehausse aussi le loyer admissible dans le cadre du Programme de supplément au loyer qui permet à un ménage admissible de vivre dans un logement en ayant seulement 25 % de ses revenus à débourser. Le coût d’admissibilité des logements de ce programme est donc porté à 150 % du loyer médian.

— La Presse Canadienne

Exemples de 4 1/2 que l’on peut louer à Montréal près de 1135 $/mois*

Rue Chapleau, dans Le Plateau Mont-Royal (1200 $/mois)

Rue Abelard, à Verdun (1149 $/mois)

Rue Bannon, à Lasalle (1100 $/mois)

Boulevard Langelier, à Montréal-Nord (1125 $/mois)

Rue Goyer, dans Côte-des-Neiges (1099 $/mois)

Grand Boulevard, dans Notre-Dame-de-Grâce (1195 $/mois)

— Source : Kangalou

* Loyer moyen pour un quatre et demie vacant dans l’île de Montréal, selon la SCHL

Neuf chiffres pour mieux comprendre

On a construit des milliers de logements locatifs cette année à Montréal, mais cela n’aide pas les ménages moins fortunés parce que ces logements ne sont pas pour eux. Portrait de la situation en neuf chiffres.

930 $

Prix moyen d’un quatre et demie dans la région métropolitaine de recensement de Montréal, soit le Grand Montréal, en 2021, selon les plus récentes données publiées par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Ce prix tient compte de l’ensemble des logements de cette catégorie qui sont loués, y compris ceux qui sont loués pendant des années par la même personne et qui n’ont ainsi pas été touchés directement par les turbulences du marché immobilier.

1134 $ 

Loyer moyen pour un quatre et demie vacant, en 2021, à Montréal, selon les compilations très détaillées de la SCHL. Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) propose un chiffre plus élevé. Le loyer moyen pour un quatre et demie serait plutôt de 1421 $, affirme l’organisme, qui a compilé plus de 51 000 annonces de logements à louer sur le site Kijiji, entre le 4 février et le 31 mai 2022. La différence entre les deux données tient largement au fait que la SCHL pondère ses données, c’est-à-dire qu’elle tient compte de la proportion des différentes catégories de logements dans sa compilation.

1750 $

Loyer moyen d’un quatre et demie construit depuis moins de trois ans dans l’île. Cela permet de rappeler que le marché n’est pas homogène. Les logements récents sont plus coûteux, parce qu’ils sont plus attrayants et en meilleur état. Mais en plus, la construction de ces nouveaux logements a été en bonne partie destinée à une clientèle plus aisée avec des coûts de construction et des coûts de location nettement supérieurs à la moyenne.

4 %

Augmentation du loyer moyen d’un appartement de deux chambres, à Montréal, en 2021, par rapport à l’année précédente. La SCHL s’attend à une hausse semblable cette année. Le RCLALQ, de son côté, parle d’une hausse de 5,3 %, en 2022. Selon Francis Cortellino, économiste à la SCHL, les deux organismes ne mesurent pas la même chose. « Nous, on compare les loyers des mêmes immeubles, parce que lorsqu’il y a de nouveaux immeubles locatifs, les loyers sont souvent chers et ça tire la moyenne vers le haut, explique-t-il. La variation de 4 %, c’est parce qu’on suit les mêmes propriétaires deux années de suite et on compare les mêmes appartements, pour comparer des pommes avec des pommes, et on regarde comment les loyers ont augmenté. »

106

Nombre d’heures que les Montréalais doivent travailler en moyenne chaque mois pour maintenir le loyer d’un quatre et demie à 30 % de leurs revenus. Ce nombre d’heures est passé de 103 à 106 en un an. Les ménages locataires montréalais qui consacrent plus de 30 % de leurs revenus à leur loyer sont au nombre de 261 000, selon les données de la Communauté métropolitaine de Montréal, ce qui correspond à 35,9 % des ménages locataires du territoire.

13 500

De 2018 à 2021, on a construit 13 500 appartements locatifs, en moyenne, par année, dans la région de Montréal, contre 7600 condos. En 2021, 60 % des nouveaux logements ont été construits en banlieue. Et sur les 40 % construits dans l’île, 25 % l’ont été au centre-ville.

9,1 %

Les logements sociaux et communautaires représentent 9,1 % des logements locatifs de la région de Montréal, selon le plus récent portrait de l’habitation dans le Grand Montréal, publié en mai 2022. Cela représente un total de 76 700 logements. Le hic, c’est que, comme seulement 7,6 % des logements locatifs construits dans les cinq dernières années sont des logements sociaux et communautaires, leur proportion va en se réduisant au fil des ans. Ce pourcentage est nettement insuffisant, surtout quand on sait que 55 % des logements en HLM sont situés dans des immeubles en mauvais état.

620 000

La SCHL prévoit qu’avec les tendances actuelles, on comptera 4,57 millions de logements en 2030. Cependant, il faudrait en construire 620 000 logements de plus pour que la disponibilité et les mécanismes de l’offre et de la demande fassent baisser les prix et permettent de retrouver un niveau d’abordabilité souhaitable. Cela représente une augmentation de 14 %.

150 000

Nombre de ménages qui devraient s’ajouter dans la Communauté urbaine de Montréal d’ici 2031, selon l’Institut de la statistique du Québec.

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