Robotique

La fièvre des robots

La robotique occupe une place de plus en plus importante dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Au cours de la dernière année, ce sont plus de 6000 élèves qui ont participé à des compétitions nationales. Comment expliquer cet engouement ? Quel est son impact sur l’enseignement et qui profite de cette immersion dans le monde du génie ? Tour d’horizon.

UN DOSSIER DE JEAN SIAG

Au commencement était la brique Lego

Un petit engin motorisé construit avec des briques Lego transporte à son bord des scientifiques et des visiteurs. Il doit ramener des jaguars et des tortues dans leurs habitats naturels, déposer des scientifiques à certains endroits, des touristes dans d’autres et se rendre à l’autre bout du terrain de jeu le plus rapidement possible.

C’est ce qu’ont réussit à faire Félix Parent et Thierry Douville, de l’école primaire Jacques-Prévert, dans une compétition nationale organisée à Montréal le printemps dernier par Robotique Zone 01. Grâce à leur médaille d’argent, les deux garçons de 11 ans participeront avec 22 autres jeunes Canadiens à la World Robot Olympiad (WRO), du 10 au 12 novembre, au Costa Rica.

« Quand on a réalisé qu’on avait gagné, on a crié et on a couru chercher notre médaille », nous racontent Thierry Douville et son coéquipier Félix Parent, qui ont commencé à suivre des ateliers de robotique en 4e année (dans le cadre d’une activité parascolaire).

Les deux garçons n’hésitent pas à parler de « passion ». « C’est sûr qu’à la base, on est des amateurs de Lego, plaident-ils. On construit le robot, mais après, on le programme pour lui faire faire ce qu’on veut ! » Le 10 novembre, le tandem Douville-Parent, qui s’est donné le surnom Los Valientes (Les Vaillants), aura deux heures pour construire son robot en Lego et une heure pour le programmer en fonction des règles mystères dévoilées le jour de la compétition.

Guidés par des capteurs de lumière, capteurs tactiles, angulaires ou ultrasons, les robots qui circulent en suivant les lignes du tapis de compétition doivent être entièrement autonomes.

Durant les trois jours du tournoi, ils seront plus de 500 équipes (de deux à trois joueurs) à s’affronter. Des matchs de hockey robotisés et des combats sumo-robots – où les robots programmés doivent esquiver les attaques d’un adversaire et le pousser à l’extérieur d’une zone délimitée par un cercle blanc – sont également organisés.

COMME UNE TRAÎNÉE DE POUDRE

Cette passion pour la robotique gagne à peu près toutes les écoles primaires et secondaires du Québec, publiques et privées. Bien qu’elle attire beaucoup les garçons, de plus en plus de filles s’y intéressent, surtout au primaire.

Mis en œuvre par la base – souvent par des professeurs d’informatique ou dans le cadre des cours de mathématiques ou de sciences –, l’engouement pour la robotique ne se dément plus. Face au succès de cet outil pédagogique, le ministère de l’Éducation a décidé de soutenir ces « initiatives locales » grâce à des programmes de formation des enseignants comme le « Virage numérique dans le réseau scolaire ». Pour l’année 2016-2017, ce sont 44 projets de formation en robotique qui ont été financés.

Brault & Bouthillier, qui fournit l’équipement de robotique aux écoles primaires et secondaires du Québec, note une croissance constante de ses ventes de matériel, en particulier depuis trois ans. Depuis 2015, 1599 écoles primaires ont commandé de l’équipement de robotique. Au secondaire, on compte 432 écoles durant cette même période.

L’ATTRAIT DES COMPÉTITIONS

Les deux organismes qui présentent au Québec des compétitions nationales – Robotique Zone 01 et Robotique First – comptent à eux deux plus de 6000 participants à leurs compétitions nationales depuis l’an dernier.

Robotique First, qui déléguera ses meilleurs joueurs – parmi les 5000 participants québécois – aux championnats mondiaux le printemps prochain (à Houston et à Detroit), parle d’une croissance de plus de 40 % depuis 2015. Les élèves qui participent à ces compétitions proviennent d’environ 150 écoles privées et publiques, selon son cofondateur Gabriel Bran Lopez.

« Ce qui est bien, c’est qu’on récompense aussi le travail d’équipe. Les jeunes doivent apprendre à travailler ensemble, à trouver des solutions. Ils sont même notés pour leur présentation orale. »

LA FORMATION

Margarida Romero est professeure en technologie éducative à l’Université Laval à Québec. Elle forme chaque année des étudiants en enseignement sur l’utilisation de la robotique à des fins pédagogiques.

« L’intérêt de la robotique, c’est que l’engagement des élèves n’est pas uniquement cognitif. Les jeunes élèves apprennent avec tout leur corps. »

— Margarida Romero, professeure en technologie éducative à l’Université Laval

« Les activités sont souvent faites au sol et l’élève va chercher à comprendre des concepts par la manipulation et plus tard par la programmation. C’est un outil intuitif qui permet de rendre concrets des apprentissages abstraits », indique-t-elle.

Le succès de cette approche, la professeure Romero le mesure grâce à l’intérêt des enfants qui accueillent les stagiaires qu’elle forme.

« La réaction des élèves est incroyable. Surtout au primaire où les filles sont de plus en plus nombreuses à participer. Les enfants répondent aussi à une logique d’apprentissage par projet qui est très efficace. Ce que je trouve bien aussi, c’est que c’est de l’informatique sans écran, parce qu’il faut le dire, il y a beaucoup trop d’enfants intoxiqués par les écrans. Là, ils profitent de l’avantage du numérique sans les inconvénients de l’écran. »

PLANIFIER LA SUITE

Ces expériences de programmation dès le primaire participent indirectement à la formation d’une relève en génie. Luc Baron, qui dirige le département de génie mécanique de Polytechnique, en voit déjà les résultats.

« Ce sont des programmes qui sont accessibles à un faible coût et qui permettent à des jeunes de construire et s’initier à la programmation de manière assez intuitive. Nous, on se réjouit de cet engouement », nous dit Luc Baron, qui souligne que l’entrepôt du site Robotshop.com pour l’Amérique du Nord se trouve ici même au Québec (à Mirabel).

M. Baron note depuis quelques années une augmentation d’étudiants en génie, malgré la baisse démographique de la population. « Techniquement, ça devrait diminuer, mais en proportion, on voit cet engouement pour le génie, la robotique et les secteurs qui combinent les disciplines comme la mécatronique [contraction des mots mécanique et électronique], le logiciel, l’intelligence artificielle, etc. »

Dans le nouveau CHUM, illustre-t-il, la livraison des documents se fait dans des véhicules autoguidés autonomes, avec des ascenseurs qui leur sont réservés. Il y a plein d’autres applications possibles, nous dit Luc Baron, qui a lui-même créé des systèmes automatiques pour faciliter les investigations en balistique. « On parle aussi de robots capables de travailler dans des zones de désastres naturels [Disaster Response Robots]. Les possibilités sont infinies. »

Jeunes génies des robots

Portrait de trois adolescents déjà bien connus dans le milieu de la robotique.

William Bruneau, 17 ans

Il a participé aux trois dernières compétitions internationales de la WRO en Russie, au Qatar et en Inde. William Bruneau fréquentait alors l’Académie Sainte-Thérèse. À New Delhi, l’an dernier, il s’est rendu en demi-finale. Il a fait équipe avec sa sœur Marianne. Son défi : faire le tri des ordures en fonction de certaines zones, essentiellement grâce à des capteurs de couleur. Exemple : cueillir les poubelles bleues dans la zone rouge et les ramener dans la zone bleue. Ce qu’il retient de ces années de compétitions ? Le travail d’équipe et le défi de résoudre des problèmes. Aujourd’hui, il étudie au collège Lionel-Groulx en sciences informatiques et mathématiques.

Brama Muniandy et Ryma Merrouchi, 15 ans

Elles font de la robotique depuis trois et quatre ans. Donc, depuis le début de leur secondaire à l’école Saint-Henri. Avec Robotique First, elles ont participé aux championnats mondiaux de St. Louis, où elles se sont classées quatrièmes avant d’avoir des problèmes mécaniques et de glisser dans le classement. Le thème de la compétition était l’ère industrielle. Les filles devaient transporter des engrenages dans le but d’activer des hélices. Leur robot devait aussi s’accrocher à une corde qui le hissait sur un étage. Cette équipe de filles, qui a remporté un prix pour son esprit d’équipe, espère obtenir son laissez-passer pour la compétition de Houston, qui aura lieu en avril.

Sasha Dolgopoly, 14 ans

Sasha fréquente l’Académie Lafontaine, à Saint-Jérôme. Il a commencé à faire de la robotique en cinquième année et n’a jamais arrêté depuis. Ce qui l’intéresse le plus, c’est la programmation. L’an dernier, alors qu’il était en deuxième secondaire, il a gagné la compétition nationale et pris l’avion pour New Delhi avec son coéquipier Léo Raymond. Les deux garçons se sont classés au 25e rang. Dans quelques semaines, il prendra part, avec Léo et un nouveau venu, Gabriel Demers, à la WRO qui aura lieu au Costa Rica. Aujourd’hui, il rêve de programmer une caméra qui pourrait repérer des humains et des objets. Sait-il déjà ce qu’il a envie de faire ? « C’est clair que j’ai envie de faire du génie. Mon père est ingénieur en robotique, donc c’est un peu mon mentor. »

L’entreprise privée dans les écoles

Bombardier, CAE et Pratt & Whitney délèguent depuis 2007 150 employés dans des écoles primaires et secondaires publiques du Québec pour épauler des enseignants souvent peu expérimentés dans la mise en place d’ateliers de robotique.

« En plus de l’aide financière qu’ils nous fournissent pour organiser nos compétitions et faire l’acquisition du matériel, ils agissent comme bénévoles ou mentors auprès des enseignants, nous dit le cofondateur de Robotique First, Gabriel Bran Lopez. Ils sont présents dans nos écoles environ deux heures par semaine. »

Faut-il s’inquiéter de voir l’entreprise privée [Lego en tête] investir les écoles pour « former » sa propre main-d’œuvre ?

Margarida Romero, professeure d’éducation en robotique à l’Université Laval, croit qu’il faut être vigilant. « Pour le moment, ce sont des initiatives qui sont bénéfiques. Je trouve même qu’il y a, chez les organismes Robotique Zone 01 et Robotique First, une démarche très positive, mais oui, il faut faire attention. »

Selon elle, plus les enseignants seront bien formés, plus ils pourront faire leur choix de plateforme technologique en fonction de leurs besoins [Lego n’étant pas la seule plateforme]. « Ils doivent développer leur pensée critique pour naviguer dans ces milieux technologiques de manière indépendante et faire des choix éclairés. »

Le cofondateur de Robotique Zone 01, Yannick Dupont, ne s’inquiète pas outre mesure de la présence de l’entreprise privée.

« Au Québec, le déploiement de la robotique ne s’est pas fait dans cette séquence. Lego Éducation est né d’une collaboration avec le centre de recherche pédagogique du MIT, qui a développé ce concept-là pour savoir si ça pouvait avoir un impact positif dans l’apprentissage des jeunes. Lorsque c’est devenu un produit commercial, nous avons proposé aux enseignants d’en faire l’essai. L’entreprise privée est arrivée après. »

Gabriel Bran Lopez rappelle que le premier objectif de son organisme Fusion jeunesse (derrière Robotique First Québec) est de contrer le décrochage scolaire. L’exposition des jeunes au monde du génie est selon lui un avantage. Environ 150 étudiants en génie sont jumelés aux enseignants pour organiser les activités de robotique. Une expertise mise au service des jeunes.

Questionné par LaPresse+ sur le sujet, le ministère de l’Éducation n’avait pas réagi au moment d’écrire ces lignes.

Un Québécois à la tête de Lego Éducation

Yannick Dupont, qui a cofondé Robotique Zone 01 en 2007, était enseignant de science et technologie à l’école secondaire Saint-Maxime de Laval lorsqu’il a pour la première fois initié ses élèves à la robotique avec la première génération de Lego Mindstorms. « Leur réaction a été extraordinaire, se rappelle-t-il. C’est comme s’ils se réveillaient ! C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de fonder un organisme qui ferait la promotion de la pratique de la robotique. » Yannick Dupont travaille pour Lego Éducation au Danemark depuis quatre ans. Il dirige une petite équipe de six personnes qui définit les concepts éducatifs de la plateforme Lego utilisés dans les écoles du monde entier. Son but : permettre à des enseignants de faire des activités bien délimitées dans le temps (45 minutes, par exemple). L’an prochain, Robotique Zone 01 pourrait accueillir la prochaine World Robot Olympiad (WRO). Une candidature que se disputent Montréal et la Hongrie.

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