De nouveaux quartiers durables, dans ma cour et tout autour

Le siècle de l’automobile nous a permis de goûter à la liberté d’aller de la ville à la campagne et nous a offert la banlieue pour résider entre les deux. Il nous a donné accès à un bassin d’emplois plus important et à des commerces où nous allons en grand nombre bénéficier de prix plus bas. Nous avons « progressé ».

Ce nouveau mode de vie a engendré un cadre urbain compartimenté par le zonage à usage unique nécessitant la voiture pour aller de la résidence au travail, puis à l’épicerie, au parc, enfin partout et n’importe où. Ce progrès est aujourd’hui synonyme de congestion : on peut encore aller à la campagne, mais il faut faire la queue, idem pour la banlieue. Avec la quantité de GES émis par nos déplacements, ce progrès rime de plus en plus avec regrets.

Aujourd’hui, les scientifiques proposent de transformer le cadre urbain pour affronter les périls du réchauffement climatique. Les maires de nombreuses municipalités ont ajouté leurs voix respectives à cette proposition et appellent à la densification.

La recette est connue : créer un milieu de vie avec un nombre suffisant de résidants pour soutenir un pôle de services et d’emplois et justifier un transport collectif. Une récente étude de Local Logic, menée pour le compte de l’Institut de développement urbain (IDU), a déterminé que les endroits au Canada utilisant moins la voiture ont en commun une densité de plus de 8000 personnes au kilomètre carré.

Plan d’action à venir

Dans la foulée de sa Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire, le gouvernement du Québec adoptera bientôt un plan d’action visant à réduire nos déplacements en voiture, à diminuer l’étalement urbain ainsi qu’à protéger nos terres agricoles et la biodiversité. Les décideurs municipaux multiplieront les consultations générales pour adopter des plans de développement et d’urbanisme en conséquence. C’est ce que fait actuellement Montréal avec son prochain Plan d’urbanisme et de mobilité.

Si le passé est garant de l’avenir, malgré ces consultations, il ne faudrait pas s’étonner qu’au moment de l’autorisation des projets, les voisins immédiats de ceux-ci les critiqueront au motif qu’ils affecteront l’aspect du quartier. Commodément, on oubliera que des consultations antérieures cherchaient justement à transformer le cadre urbain. Au nom du « pas dans ma cour », citoyens et élus reporteront le changement indéfiniment. Les positions actuelles concernant le Fairview de Pointe-Claire et le secteur Bridge-Bonaventure en entrée du centre-ville n’en sont que les plus récentes illustrations.

Même si les grandes consultations ont conclu à la nécessité d’augmenter l’offre de tous les types d’unités d’habitation, incluant évidemment les logements sociaux et abordables, et de densifier les corridors de transports structurants, les consultations locales viendront aisément contredire les grandes orientations.

Même s’il faut dorénavant planifier des milieux de vie permettant de réduire les besoins en déplacements et que cela doit forcément changer l’aspect de nos quartiers, il y aura une résistance.

Il ne s’agit pas de nier le droit des citoyens de s’opposer. Il ne s’agit pas de ne plus consulter. Il faut bien reconnaître que de nombreux projets ont bénéficié des consultations. Au contraire, au nom de la cohérence, nous croyons qu’il faut valoriser toutes les consultations, la dernière, plus locale, autant que la première, plus régionale.

La transformation du cadre urbain que commande la crise climatique va changer le milieu de vie existant, c’est normal, c’est le but. Les décideurs publics devront être clairs sur leurs objectifs et tout mettre en œuvre pour les atteindre. Pour reprendre l’expression populaire : leurs bottines devront suivre leurs babines.

Des pistes à considérer

Une première piste serait d’abord de rédiger les objectifs nationaux et régionaux avec assez de précision pour en favoriser le respect au niveau local. Ensuite, il y aurait lieu de renforcer le mandat de la Commission municipale du Québec pour que la vérification de conformité inclue une analyse de cohérence obligeant les instances locales à agir dans le sens souhaité par les ordres supérieurs.

Une autre option serait de légiférer pour rendre applicable sur tout le territoire la procédure de consultation publique qu’ont obtenue les villes en 2017. Après l’avoir demandée, elles ont négligé de l’adopter localement. Cette solution de rechange au référendum visait à répondre à ce que Régis Labeaume qualifiait de « processus antidémocratique » qui « sert uniquement les intérêts d’une minorité d’opposants »1.

Les autorités municipales et Québec peuvent dès maintenant définir ensemble le cadre de consultation publique susceptible de donner une voix à un plus grand nombre.

À défaut de choisir cette voie, la consultation référendaire serait maintenue, mais il y aurait lieu d’en améliorer la représentativité. Plutôt que de ne consulter que les voisins immédiats des projets, il serait plus démocratique de prévoir une consultation à la grandeur de l’arrondissement ou du quartier. Qui plus est, puisque le référendum vise à annuler une volonté des instances démocratiques, il apparaît plus légitime d’exiger un nombre plus substantiel de signatures pour les registres et un vote de 50 % des électeurs inscrits lors du référendum.

Plus simplement, on pourrait mieux soutenir les consultations. Pour les villes dotées d’organisations, comme l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), et pour les autres, qui se limitent à organiser des soirées d’information, on devrait imposer la publication d’avis experts et indépendants pour analyser les prises de position locales à la lumière des politiques adoptées à plus grande échelle.

La crise climatique nous oblige à modifier nos milieux de vie. On doit demander à nos élus de rechercher les voies de passage pour assurer cette transformation. Peut-être le recours à des experts leur permettrait-il de trouver la bonne solution pour nous convaincre que, pour que cela change tout autour, il faudrait bien commencer dans nos propres cours.

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