Qui a déjà payé 19,95 $ chez U-Haul ?

Tout le monde a déjà vu le prix qui est écrit en gros sur les camions U-Haul : 19,95 $. Mais tout le monde sait que ça ne coûte jamais ça.

C’est vrai qu’en dessous, il est précisé « plus km/frais ». Alors, on n’est pas vraiment surpris de se retrouver avec une facture de 75 $ après avoir transporté son sofa chez le beau-frère qui habite à 20 minutes de route.

Peu importe, une demande d’action collective discrètement déposée l’an dernier vient d’être acceptée par la Cour supérieure.

Le fait que les consommateurs sachent qu’ils devront payer plus que 19,95 $ avant de signer le contrat « n’est pas pertinent », écrit le juge Pierre-C. Gagnon dans sa décision. « La pratique interdite, ajoute-t-il, survient précédemment au moment où le consommateur voit l’annonce. » Autrement dit, le problème est dans la façon d’écrire le tarif sur les camions, peu importe la manière dont c’est compris.

C’est exactement ce que prétend Mathieu Charest-Beaudry, du cabinet Trudel Johnston & Lespérance, qui pilote le dossier. À son avis, le locateur de camions U-Haul « a utilisé un stratagème qui viole l’article 224 c) » de la Loi sur la protection du consommateur (LPC). Celui-ci stipule deux choses : une entreprise ne peut exiger un prix supérieur à celui annoncé et le prix annoncé doit comprendre le total des sommes que le consommateur devra débourser.

Depuis juin 2010, au Québec, un commerçant ne peut plus annoncer un prix fragmentaire et y ajouter ensuite des frais qui étaient jusque-là inconnus. Le but du législateur est de permettre aux consommateurs de comparer facilement le prix des biens qu’ils achètent.

Ça vous fait penser à un autre dossier dans l’actualité ?

Eh oui ! L’article 224 c) de la LPC est aussi celui qui est évoqué dans ces deux récentes demandes d’action collective qui visent au total 157 concessionnaires automobiles. Ceux-ci factureraient des frais de toutes sortes qui ne sont pas inclus dans le prix affiché, notamment sur leur site web, comme je l’ai récemment écrit.

Évidemment, la décision dans l’affaire U-Haul « est encourageante » pour l’avocat Jimmy Ernst Jr. Lambert, du cabinet Lambert, qui espère faire autoriser les demandes d’action collective contre les concessionnaires. « C’est le même principe. Dans tous les cas, il est impossible de se procurer le bien au prix affiché et dans tous les cas, on attire le client pour, par la suite, ajouter des frais. »

Il faut dire que ce n’est pas tous les jours, ni même toutes les années, que des actions collectives vont de l’avant lorsqu’il est question d’affichage de prix. En fait, c’est « très rare », précise MLambert, car presque tous les dossiers se règlent à l’amiable. Ç’a été le cas pour Airbnb et Ticketmaster, entre autres.

La dernière cause célèbre est celle d’Air Canada, que le tribunal a accepté d’entendre… en 2014 ! Elle demeure toutefois d’actualité puisque le procès doit commencer au printemps 2022.

À l’époque, rappelez-vous, le prix annoncé était ensuite gonflé par des frais de toutes sortes, alors qu’aujourd’hui, c’est l’inverse. Le site d’Air Canada nous présente le prix total, et pour en connaître la composition précise, on est invité à cliquer sur un lien.

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Dans sa défense, U-Haul a convenu qu’un consommateur québécois ne parviendrait jamais à louer un véhicule motorisé au prix de 19,95 $.

Mais l’entreprise a plaidé que « 19,95 $ » n’est pas un « prix annoncé », mais plutôt le « taux de base initial ». Elle concède que, s’il y a un prix annoncé, c’est « 19,95 $ en ville (plus km/frais) », ce qui annonce un cumul nécessairement supérieur à 19,95 $, résume la décision de la Cour supérieure.

Selon le juge Gagnon, « c’est une fausse antithèse que d’opposer “prix annoncé” et “taux de base initial” et U-Haul invoque un concept juridique que la LPC ne reconnaît pas ».

Pour le moment, on ne sait pas combien de Québécois sont concernés par cette action collective. Le cabinet Trudel Johnston & Lespérance espère que le locateur U-Haul sera condamné à rembourser la différence entre le prix annoncé et la somme réellement exigée, en plus de payer des dommages punitifs.

Si la plus célèbre des entreprises de location de camions perd, elle devra aussi envisager une colossale corvée de peinture sur ses véhicules pour y faire disparaître tous les « 19,95 $ ». Et se trouver un nouvel argument de vente.

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