Production d’aluminium sans gaz à effet de serre

Des installations trop vieilles pour la nouvelle technologie

La technologie Elysis développée au Saguenay par Rio Tinto et Alcoa pour produire de l’aluminium sans émettre de gaz à effet de serre pourrait ne pas pouvoir être implantée dans les alumineries du Québec parce qu’elles sont trop vieilles, selon les dirigeants de Rio Tinto.

« Je pense que moderniser les installations existantes avec Elysis va être un défi », a expliqué Ivan Vella, grand patron de la division Aluminium de Rio Tinto, à un parterre d’analystes de l’industrie à Londres en novembre dernier.

Rio Tinto fait face à deux problèmes, selon lui. « Premièrement, la plupart de ces installations sont vieilles. Kitimat (en Colombie-Britannique) est notre aluminerie la plus récente et elle a déjà presque 10 ans, a-t-il expliqué. Alma, qui est une de nos meilleures installations, a plus de 20 ans. »

Il sera difficile de rentabiliser des investissements massifs dans ces installations pour y implanter la nouvelle technologie, selon le dirigeant.

Rio Tinto s’inquiète aussi du sort qui sera réservé aux employés des usines existantes qui devraient fermer pendant une longue période, le temps de les réoutiller avec la technologie Elysis.

« C’est très difficile à mettre en application. Je ne dis pas que nous ne pouvons pas le faire, mais c’est quelque chose que nous allons devoir examiner. »

— Ivan Vella, patron de la division Aluminium de Rio Tinto

La technologie en développement au Saguenay depuis 2018 est considérée comme très prometteuse, mais elle en est encore à ses balbutiements. Des investissements de 218 millions ont été consentis, dont la plus grande partie vient des poches des gouvernements d’Ottawa et de Québec (120 millions) pour un projet pilote. Le reste est financé par Rio Tinto, Alcoa et Apple.

Le gouvernement du Québec croit tellement au potentiel de cette technologie qu’il a pardonné à Rio Tinto de ne pas avoir respecté ses exigences en matière d’investissement au Saguenay lors du renouvellement des droits hydrauliques qui permettent à l’entreprise de produire l’électricité dont elle a besoin avec ses propres centrales à un coût proche de zéro.

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, répète sur tous les tons que la technologie Elysis placera le Québec au premier rang des producteurs d’aluminium vert dans le monde et il se dit prêt à accorder plus d’électricité à tarif préférentiel à Rio Tinto à des fins de modernisation, ce qu’il a appelé « elysiser » les alumineries du Québec.

Pas pour demain

En plus des doutes qu’elle émet sur la viabilité économique de transformer ses alumineries avec Elysis, Rio Tinto a l’intention d’investir pour augmenter sa production avec la technologie actuelle AP-60, a fait savoir l’entreprise lors du même évènement.

« La demande d’aluminium en Amérique du Nord a beaucoup augmenté. Nous ne voulons pas manquer ça et attendre Elysis », a expliqué Ivan Vella, lorsqu’on lui a demandé pourquoi Rio Tinto investit encore dans une technologie qui sera bientôt dépassée.

La commercialisation de la technologie Elysis est prévue pour 2030. L’entreprise mise sur la volonté de ses clients de payer plus cher pour de l’aluminium produit sans émissions de gaz à effet de serre.

Le grand patron de l’entreprise est certain que l’aluminium produit avec Elysis pourra se vendre plus cher sur le marché.

« Le plus grand défi avec Elysis est le défi technique. Ça marche à petite échelle. Comment la mener à l’échelle industrielle ? Et malheureusement, ça prend du temps. »

— Ivan Vella, patron de la division Aluminium de Rio Tinto

D’anciens cadres de la multinationale viennent d’écrire au gouvernement du Québec et au ministre Fitzgibbon pour leur demander de ne pas croire tout ce que promet Rio Tinto. « L’information en provenance de l’entreprise n’augure rien de bon pour l’avenir des installations existantes du Saguenay », s’inquiète l’un d’eux, Jacques Dubuc.

Il rappelle qu’une des plus vieilles usines de Rio Tinto, celle d’Arvida, doit cesser ses activités en 2025 et que l’entreprise continue d’investir pour augmenter sa production d’aluminium avec la technologie AP-60 existante.

Elysis a tout l’air d’être un écran de fumée, selon lui, qui empêche le gouvernement du Québec de voir la réalité.

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