Grande entrevue James Davies, PDG de Chantier Davie

Un brise-glace au potentiel immense

Fondé en 1825, le chantier maritime Davie de Lévis est le plus gros chantier naval au Canada, mais le site a connu des temps difficiles de la fin des années 1980 jusqu’en 2012 lorsque, au bord de la faillite, il a été acquis par le groupe européen Inocea. Chantier Davie a entrepris depuis un solide redressement qui lui a permis d’être présélectionné pour devenir partenaire de la Stratégie nationale de construction navale du Canada et responsable du renouvellement de la flotte de brise-glaces dont, espère son président James Davies, le super brise-glace polaire Diefenbaker.

Avant d’arriver au dossier de la construction du brise-glace polaire et des retombées économiques qu’il générera, pouvez-vous me raconter le parcours de Chantier Davie depuis qu’Inocea en a fait l’acquisition ?

Je suis arrivé à Québec en 2012 pour faire la vérification diligente des livres de Chantier Davie puis son acquisition. Il n’y avait plus que 25 employés qui travaillaient sur le chantier. On a refait les infrastructures, puis complété la livraison de deux navires pour le groupe norvégien Cecon.

On a par la suite obtenu, en 2015, le contrat de transformation du MV Astérix de porte-conteneurs à navire de ravitaillement pour la marine royale canadienne. On l’a transformé, équipé, et c’est nous qui l’opérons pour la marine.

Puis, en 2017, on a eu le contrat de construction de deux traversiers pour la Société des traversiers du Québec et la conversion de trois brise-glaces pour la Garde côtière canadienne. Et l’an dernier, on a eu le contrat pour la construction de deux traversiers fédéraux. Cette année, on entame la modernisation des frégates de la patrouille canadienne.

On est passé de 25 employés à plus de 800 en moyenne au cours des cinq dernières années.

Chantier Davie avait été exclu en 2011 de la Stratégie nationale de construction navale du Canada (SNCN), ce qui vous a empêché d’avoir droit à une partie des contrats de près de 16 milliards accordés l’an dernier par le gouvernement fédéral. Cela vous fait toujours mal ?

La situation financière et opérationnelle de Chantier Davie en 2011 était désastreuse et c’est pourquoi le gouvernement fédéral a retenu à l’époque seulement deux partenaires : Seaspan, à Vancouver, et le chantier Irving, en Nouvelle-Écosse.

Mais le redressement que nous avons effectué a amené l’actuel gouvernement à rouvrir le processus et à nous présélectionner comme partenaires de la SNCN. S’il n’y avait pas eu la COVID-19, on serait déjà reconnus comme partenaire officiel. Cela va se faire bientôt.

Le gouvernement fédéral a bien vu que les deux chantiers de Vancouver et de Halifax n’arriveraient pas à livrer toutes les commandes à temps. Ils n’ont pas les capacités opérationnelles que nous avons.

Chantier Davie est le plus gros chantier naval au Canada, et on a fait la démonstration qu’on avait les capacités techniques et technologiques pour livrer les navires du futur.

Pourtant, la semaine dernière, la rumeur faisait état du retour du chantier Seaspan de Vancouver dans la course pour l’obtention du contrat de construction du prochain brise-glace de classe polaire Diefenbaker qui lui avait été enlevé l’an dernier. Qu’en est-il ?

Le gouvernement fédéral avait donné le contrat du Diefenbaker à Seaspan qui n’a jamais été capable de débuter les travaux. C’est pourquoi Ottawa a décidé l’an dernier de lui retirer le contrat du brise-glace polaire et de lui donner en retour un contrat pour la construction de 16 plus petits navires.

Chantier Davie a les capacités de production pour livrer le Diefenbaker dans les temps et selon les coûts. On attend la décision du gouvernement fédéral très bientôt.

Qu’est-ce que ce contrat signifierait en termes de retombées économiques et financières pour Chantier Davie ?

C’est un contrat majeur qu’on est capables de livrer. On a les capacités pour le faire. On a créé cette année à Lévis le Centre national des brise-glaces. On a déjà le contrat de rénovation de trois brise-glaces et on a obtenu celui de la construction de six nouveaux brise-glaces pour la marine canadienne.

Le Diefenbaker est un brise-glace de classe polaire qui doit remplacer le Louis S. Saint-Laurent et il est essentiel pour assurer la souveraineté canadienne dans ses eaux territoriales du Nord. On parle d’un contrat de 1,4 milliard.

Une étude réalisée par Deloitte estime que la construction du Diefenbaker se traduirait par la création de 2500 nouveaux emplois en moyenne durant sa construction. On parle de la création de 1340 emplois directement sur le chantier et de 1200 emplois auprès de nos entreprises sous-traitantes.

Est-ce que la majorité de vos sous-traitants sont établis au Québec ?

On a 900 sous-traitants avec qui on fait affaire et 90 % d’entre eux sont basés au Québec. C’est donc dire que les retombées du contrat profiteront aux entreprises d’ici. Au cours des huit dernières années, on a injecté plus de 1 milliard en salaires et investissements au Québec.

Si on obtient le contrat du Diefenbaker, on estime que les retombées de Chantier Davie atteindront entre 5 et 9 milliards au Québec au cours des 20 prochaines années. Ce contrat nous permettrait de faire le pont avant le début de la construction des six nouveaux brise-glaces qui doit débuter en 2026.

La cabale que semble vouloir mener Seaspan pour rapatrier le contrat du brise-glace polaire risque-t-elle de nuire à vos chances ?

On a fait la démonstration au cours des dernières années qu’on était capables de livrer des projets complexes dans les délais, ce qui n’est pas le cas avec Seaspan, qui a déjà plein de projets à livrer sans avoir les capacités pour le faire.

Chantier Davie collabore avec tous les acteurs de la construction navale, que ce soit le Groupe Océan ou Chantier maritime Verreault.

On a une chance de développer une expertise unique au Québec dans l’industrie de la construction navale et de mettre en place une grappe d’innovation maritime sur le bord du Saint-Laurent, comme l’ont fait les pays scandinaves avec la Norvège en tête.

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