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Macron, Le Pen et la fin des partis traditionnels

Aujourd’hui, les Françaises et les Français choisissent leur président, ou leur présidente, à l’issue d’une campagne électorale qui aura signé la mort clinique des partis politiques traditionnels que sont les socialistes et Les Républicains.

D’un côté, Emmanuel Macron sollicite un deuxième mandat. Le fondateur de La République en marche a accéléré l’implosion du paysage politique. Ni de gauche ni de droite, il est le libéral qui a voulu moderniser la France, mais a dû gérer la crise de la COVID-19 par l’état d’urgence et la dépense publique. Il est le fédéraliste qui a voulu relancer l’Europe, mais aura échoué à domestiquer Donald Trump et Vladimir Poutine.

De l’autre, la prétendante, Marine Le Pen, première femme à se rapprocher du pas de l’Élysée. Sur les questions sociales, elle a mené une campagne aux accents « de gauche », défendant les méprisés. Elle est quand même l’héritière d’un parti qui puise ses racines dans l’extrême droite autoritaire et raciste. Et l’alliée des leaders populistes, voire des dictateurs comme Vladimir Poutine.

La tentation de la politique du pire

Au cours du débat télévisé de l’entre-deux-tours, Macron a fait des appels du pied aux électeurs écologistes avec des engagements sur le climat et l’Europe. Mais il a aussi insisté sur l’importance de l’énergie nucléaire et finalement peu parlé des couches sociales les moins favorisées.

Le Pen, pour sa part, a repris ses arguments hostiles au port du voile et à l’immigration, tout en faisant vibrer la corde des « perdants de la mondialisation ». Grâce à son programme « national-welfariste », son parti, le Rassemblement national, est l’option la plus populaire parmi les électeurs de la classe ouvrière.

Derrière ces arguments, il y avait un électorat à séduire : celui de Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, arrivé troisième lors du premier tour et qui a, lui aussi, réussi à conquérir un électorat populaire à l’extérieur des cadres partisans traditionnels. Il a appelé ses partisans à ne pas voter pour Le Pen tout en refusant d’appuyer le président sortant.

Ses électeurs s’abstiendront-ils ou se rangeront-ils, comme en 2017, derrière le « front républicain » représenté par Macron ? Ils seront, en tout cas, les faiseurs du roi de ce deuxième tour.

Et si Le Pen gagnait ?

La victoire de Le Pen serait un tournant décisif pour la France, pour l’Europe et pour l’OTAN.

Fidèle à sa stratégie de « dédiabolisation », Le Pen s’abstient depuis longtemps d’utiliser des insultes antisémites et racistes. Comparée au trublion Éric Zemmour, elle est apparue modérée pendant la campagne.

Le programme de son parti n’a pourtant pas beaucoup changé depuis l’époque de son père, Jean-Marie. Les délinquants nés à l’étranger doivent être expulsés de France. Les prestations sociales doivent être réservées aux citoyens français. L’État de droit doit être bridé pour faire place à la « souveraineté populaire ».

Une présidente Le Pen porterait un coup d’arrêt à l’Union européenne. Elle ne veut plus sortir de l’euro, mais, comme le gouvernement ultraconservateur en Pologne et Viktor Orban en Hongrie, elle soutient la souveraineté nationale contre le droit européen. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, refusera de collaborer avec elle.

La victoire de Le Pen serait également la fissure la plus importante à ce jour dans l’effort collectif mené par l’OTAN vis-à-vis de la Russie. Bien qu’elle ait pris ses distances de Vladimir Poutine pendant la campagne, Marine Le Pen laisse entendre que c’est à l’Ukraine de faire des concessions.

Un deuxième quinquennat Macron ?

Les sondages laissent penser que Macron l’emportera. Un résultat serré n’en sera pas moins considéré comme un échec. Les élections législatives qui suivent en juin ne seront pas le raz-de-marée que La République en marche avait connu en 2017, limitant la capacité d’action du président Macron dans un système semi-présidentiel où le chef de l’État, élu au suffrage direct, doit partager le pouvoir avec le chef du gouvernement issu du Parlement.

La stratégie macronienne de cannibaliser le centre gauche, puis le centre droit, lui aura garanti la position de l’homme raisonnable face au populisme des deux extrêmes. Mais elle a aussi eu pour effet de faire le vide autour de lui.

Les partis historiquement ancrés dans le tissu social sont laminés, ce qui réduit d’autant le choix des électeurs.

Derrière cette stratégie se cache une évolution des démocraties qui n’est pas unique à la France. Le politologue français Bernard Manin explique que la démocratie de partis, basée sur la mobilisation populaire et les groupes intermédiaires, comme les syndicats, a été remplacée par la démocratie du public, basée sur un leader qui gouverne seul à partir des médias et des sondages d’opinion.

Macron, Le Pen et Mélenchon sont la parfaite expression de cette évolution. Bien que leurs « partis » reflètent les idéologies de leurs dirigeants (et fondateurs, ou fille de fondateur dans le cas de Le Pen), ces formations n’existent que par et pour eux.

Certes, les partis politiques traditionnels n’ont pas la cote, ni en France ni ailleurs. Mais comme l’explique le politologue italien Piero Ignazi, ils ont été consubstantiels à la démocratie moderne. Et ils risquent fort de nous manquer.

Peut-être même à Macron, d’ailleurs.

Plus près qu’on pense

Pendant le débat de l’entre-deux-tours, Marine Le Pen s’est opposée au libre-échange en général, et au « bœuf canadien » en particulier. En principe, l’Accord économique et commercial global (AECG) qui lie le Canada et l’Union européenne a été ratifié par le Parlement français en 2019. Mais une présidente Le Pen pourrait perturber le fonctionnement des institutions européennes qui ont la responsabilité de sa mise en œuvre.

Pour aller plus loin

Les suggestions de Frédéric Mérand :

• France Culture, « Présidentielle 2022 : “Politiques, politologues et historiens sont orphelins de leurs anciens concepts” »

• Le Monde, « Nonna Mayer : “Le front républicain, ce sont des gens de camps opposés qui s’allient dans un même combat pour défendre la République menacée” »

• À qui l’Élysée ? Regards sur la présidentielle française, conférence du CERIUM, sur YouTube

• Piero Ignazi, Parti et démocratie – Histoire d’une légitimité fragile, Paris, Calmann-Lévy, 2021

• Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995

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