Montréal se vide

La pandémie a fait bondir de 19 % le nombre de Québécois ayant choisi de changer de région. La métropole a perdu des plumes, tandis que ses couronnes, ainsi que plusieurs régions éloignées, dont la Gaspésie, ont fait le plein de nouveaux citoyens. Qu’à cela ne tienne, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, refuse de se laisser abattre.

La pandémie donne la bougeotte !

La pandémie a donné la bougeotte aux Québécois : 232 000 d’entre eux ont changé de code postal entre le 1er juillet 2020 et le 1er juillet 2021, du jamais-vu depuis au moins 20 ans, montrent les données publiées jeudi par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Ce sont principalement des Montréalais qui ont quitté la métropole, permettant à plusieurs régions de bénéficier de gains notables.

« Je suis un cliché ambulant de retour à la terre », plaisante Vickie Ouimet. En septembre dernier, son amoureux, Alain Parent-Vézina, et elle ont pris possession de leur nouvelle maison à Saint-Barthélemy, petit village de 2145 habitants dans Lanaudière, l’une des régions qui a connu la plus forte croissance l’an dernier. Le couple a troqué son loft de 615 pieds carrés dans Parc-Extension contre une petite maison adossée à un terrain de 107 000 pieds carrés, sur lequel il prévoit cultiver ses légumes pour devenir autosuffisant.

« Je suis une fille de 5 à 7, de restos, d’amis, de bars, et là, on a passé la journée dehors en raquettes. Je prends mon sac à dos et mes jumelles, et je vais sur mon terrain regarder la faune : je n’ai jamais fait ça de ma vie ! », se réjouit Mme Ouimet.

« Depuis que je suis ici, il y a 200 âmes de plus dans mon village », témoigne Julie Maurice, directrice générale de la municipalité depuis 2018. Cela inclut plusieurs familles avec enfants, une bonne nouvelle pour l’école primaire de cette petite municipalité dévitalisée dont les deux tiers du territoire sont en zone agricole.

« Le prix des maisons n’est vraiment pas cher comparé à la couronne de Montréal ou aux Laurentides. »

— Julie Maurice, directrice générale de la municipalité de Saint-Barthélemy

Avec la pandémie, les ventes de propriétés isolées en forêt « ont explosé », se vendant le double de l’évaluation municipale, parfois davantage. Résultat, la municipalité a encaissé environ 120 000 $ de droits de mutation en 2021, le double des années précédentes, estime-t-elle.

« Les Québécois ont la bougeotte »

Mme Ouimet et son conjoint sont loin d’être les seuls à avoir changé de code postal l’an dernier. Quelque 232 000 Québécois en ont fait autant, soit 19 % de plus que l’année précédente.

« On avait très hâte de voir les chiffres parce que tant dans les médias que dans nos environnements personnels, ça fait quand même une bonne année qu’on accumule les anecdotes », témoigne la démographe Martine St-Amour, de l’ISQ.

Et à 19 %, la hausse est tout sauf anecdotique. « Depuis quelques années, on observait plutôt une diminution du nombre de migrants interrégionaux d’année en année. Il y a donc une rupture de tendance », relève Mme St-Amour. « Les Québécois ont eu un petit peu plus la bougeotte. »

La région administrative de Montréal, qui regroupe toutes les municipalités de l’île, a perdu 48 300 personnes au profit du reste du Québec, soit 2,6 % de sa population. C’est du jamais-vu depuis que l’ISQ a commencé à compiler cette donnée, en 2001-2002. Les Laurentides, l’Estrie et Lanaudière ont bénéficié du mouvement contraire, attirant plus de Québécois que toutes les autres régions de la province.

Les régions gagnantes et perdantes demeurent cependant les mêmes qu’avant la pandémie, souligne Mme St-Amour.

« Sur une vingtaine d’années, le solde migratoire interne de Montréal a toujours été déficitaire, rappelle-t-elle. À l’inverse, ça fait déjà quelques années que les régions de l’est du Québec, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, par exemple, enregistrent un solde positif dans leurs échanges migratoires internes. »

Tendances amplifiées

La pandémie a donc amplifié les tendances déjà présentes. C’est particulièrement frappant à Montréal. Contrairement aux années précédentes, l’arrivée d’immigrants et de résidents non permanents, restreinte aux frontières, n’a pas été suffisante pour compenser le départ des Montréalais vers les régions, ce qui a entraîné une diminution nette de la population de l’île.

Ces données s’arrêtent toutefois au 1er juillet 2021, note Mme St-Amour. Avec la reprise de l’immigration internationale observée l’été dernier, le phénomène devrait s’estomper dans les données qui seront publiées l’an prochain. « Dans quelle mesure, il faudra voir, mais à mon avis, c’est le changement auquel il faut s’attendre pour l’année prochaine », estime la démographe.

Les régions des Laurentides, de l’Estrie, de Lanaudière, de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, de la Mauricie, du Centre-du-Québec, de Chaudière-Appalaches et du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont toutes profité de gains de population beaucoup plus importants au cours de cette dernière année pandémique que par le passé.

Laval, à l’inverse, a vu sa fuite migratoire s’accentuer. Bien que sa population totale continue à croître, la hausse de 0,09 % enregistrée en 2020-2021 est la plus faible depuis que l’ISQ a commencé à compiler ces données, en 1986-1987. Laval est aussi, avec Montréal, l’une des deux régions ayant subi le plus de morts associées à la pandémie de COVID-19, signale l’Institut.

Baisse de population dans la métropole

« D’aucune manière ça ne me décourage », dit Plante

Valérie Plante refuse de se laisser abattre par l’importante baisse de population vécue par la métropole en 2020-2021, alors que les maires des municipalités en croissance se réjouissent de leur popularité.

La mairesse de Montréal a déploré la situation, jeudi matin, avant de souligner le caractère exceptionnel de la période concernée.

« Je ne suis jamais contente [de nouvelles comme celle-ci]. On ne veut pas ça. On veut que les gens restent à Montréal, choisissent Montréal », a-t-elle dit en marge d’une annonce.

« Je pense qu’il y a une situation qui contribue à ça, la COVID-19, qui a affecté beaucoup de monde. Des gens qui se disent que, maintenant, ils peuvent travailler à distance, [qu’un déménagement] à la campagne, c’est maintenant que ça se passe. »

Elle a toutefois ajouté : « D’aucune manière ça ne me décourage. » « Il y a des avantages forts à habiter en ville », a-t-elle dit.

« C’est une période un peu plus difficile avec la COVID-19, soit. Mais il n’y a rien qui égale cette qualité de vie, d’avoir tout à proximité, d’avoir autant d’espaces verts et une telle vie culturelle. »

— La mairesse Valérie Plante, à propos de Montréal

Par écrit, son équipe a ajouté que « Montréal a été particulièrement touchée par la fermeture des frontières et son impact sur les travailleurs et étudiants étrangers ». L’administration Plante espère que sa stratégie pour la construction de 60 000 logements sociaux, abordables ou familiaux pourra contribuer à faire baisser le prix de l’habitation et ramener des résidants à Montréal.

« Il y a urgence d’agir »

Dans les rangs de l’opposition officielle, le porte-parole en habitation et conseiller de Snowdon, Sonny Moroz, n’est pas de cet avis. Il exige plutôt que la Ville se penche sur les causes de l’exode urbain et ses politiques publiques.

« Il ne faut pas interpréter la hausse de l’exode en lien direct avec le contexte pandémique. Oui, la COVID-19 a joué, mais il y a d’autres enjeux, puisque l’exode avait commencé avant la pandémie », affirme le conseiller, qui cite notamment le règlement d’inclusion « 20-20-20 », la hausse des taxes et les restrictions liées au stationnement comme de « possibles liens » avec l’accélération de cet exode.

Selon M. Moroz, les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) « montrent surtout qu’il y a urgence d’agir ». Il présentera d’ailleurs une motion en ce sens à la prochaine réunion du conseil municipal, prévu le 24 janvier, afin de demander à la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation de sonder l’avis d’experts sur le sujet, pour ensuite remettre un rapport à la Ville « d’ici la fin de l’année ».

Multiplication des chantiers

A contrario, d’autres municipalités ont vu leur population croître rapidement. C’est notamment le cas de Saint-Hippolyte, dans les Laurentides, qui compte 6 % plus d’habitants depuis 12 mois.

Le maire de la municipalité, Yves Dagenais, s’attendait à ce que la multiplication spectaculaire des chantiers sur son territoire, depuis 2020, se transpose dans les chiffres de l’ISQ.

« On s’attendait à ça. Avec la pandémie, il y a eu beaucoup de migration de la ville vers la campagne », a-t-il dit en entrevue téléphonique.

« Il y a beaucoup de constructions neuves. Il s’est construit au-dessus de 200 résidences cette année, par rapport à 150 l’an passé. »

— Yves Dagenais, maire de Saint-Hippolyte

L’essentiel de ces nouvelles constructions sont des maisons « unifamiliales bâties dans de nouveaux quartiers résidentiels », un type d’habitation recherché par beaucoup de jeunes familles de la classe moyenne et dont la construction se fait rare dans les limites de la Communauté métropolitaine de Montréal. « Il y a une qualité de vie qui est offerte à nos résidants, vu le milieu naturel, les boisés, les lacs », a ajouté M. Dagenais.

Périmétropolisation et politiques publiques

Ce phénomène intéresse l’experte en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal Danielle Pilette, qui le qualifie de « périmétropolisation ». « La région métropolitaine est un peu déclassée par rapport à certaines activités, notamment les terrains industriels, qui sont plus chers ou moins grands qu’en région, ou encore le manque de construction de maisons unifamiliales traditionnelles », dit-elle.

« Tout ça fait en sorte que beaucoup de gens sortent de l’île pour aller vers les régions adjacentes, en bonne partie les Laurentides, Lanaudière, la Montérégie et l’Estrie. Ce sont des secteurs qui, jusqu’ici, attiraient beaucoup les Montréalais pour une résidence secondaire, mais qui maintenant deviennent une destination principale », poursuit la spécialiste.

Selon elle, il n’est pas impossible que ce phénomène se poursuive encore plusieurs années, surtout si les arrivées internationales mettent du temps à regagner leur rythme d’avant la pandémie à Montréal.

« Le gros problème en ce moment, c’est que les sorties sont nettement moins compensées par les touristes et les étudiants étrangers. Et on ignore quand ça redémarrera réellement », fait observer Mme Pilette. « Montréal est aujourd’hui une ville de jeunes, et non plus de personnes âgées. Et quand ces jeunes accèdent à la propriété, ce sont eux que l’île perd en quelque sorte », conclut-elle.

La Gaspésie connaît une année record

Québec — De plus en plus de Québécois choisissent de quitter leur région pour s’installer en Gaspésie ou aux Îles-de-la-Madeleine, révèlent de nouvelles données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Ces chiffres dévoilés jeudi confirment que cette région, qui subissait il n’y a pas longtemps encore une décroissance démographique, a connu en 2021 une année faste. Il s’agit même de la région éloignée qui a le plus profité dans la dernière année du phénomène de retour en région, bien documenté depuis le début de la pandémie.

La région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine a affiché un solde migratoire positif de 1378 résidants en 2021, soit le double de l’année précédente. En d’autres mots, elle a attiré près de 1400 personnes de plus qu’elle n’en a perdu au profit des autres régions.

« La Gaspésie a le vent dans les voiles. Ça paraît dans les statistiques démographiques. Plus 1378 habitants, ce sont des chiffres drôlement intéressants. Et c’est partout dans la région », se réjouit le maire de Gaspé et président de l’Union des municipalités du Québec, Daniel Côté.

Audrey Desjardins et Gabriel Vézina font partie des statistiques. Les deux pharmaciens dans la fin de la vingtaine ont quitté Montréal pour Chandler en janvier dernier. Les deux ont trouvé un emploi à l’hôpital et ils ont pu acheter une maison.

« Je ne sais pas si on aurait pu le faire en ville », note Mme Desjardins, originaire des Laurentides et qui a rencontré son copain alors qu’ils vivaient à Montréal.

« Pour vivre ici, il faut aimer le calme, l’absence de trafic, la mer et les beaux paysages. Le monde est gentil, les gens se connaissent. Le rythme de vie est très différent. Les gens sont moins pressés. »

— Audrey Desjardins, résidante de Chandler en Gaspésie

Gabriel Vézina, qui a vécu sept ans à Montréal, avoue s’ennuyer parfois des restaurants de la métropole et de ses activités. « Mais l’internet a changé les choses. La Gaspésie est pas mal moins isolée qu’avant. On a l’internet à haute vitesse presque partout. On a pas mal tout à portée de main », dit celui qui a grandi dans la région.

Des problèmes de croissance

La Gaspésie n’est pas la seule région éloignée à connaître un solde migratoire positif en 2021. Le Bas-Saint-Laurent a aussi réussi l’exploit (+ 1597), tout comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean (+ 1405). Mais c’est en Gaspésie que les gains nets – par rapport à la population – sont les plus importants parmi ces régions.

Le phénomène est d’autant plus fascinant que la Gaspésie a longtemps connu des années de vaches maigres. Elle perdait environ 1200 habitants par année au profit des autres régions il y a 20 ans encore.

Son solde migratoire est positif depuis 2017 (+ 122). Mais le phénomène s’est accéléré avec la pandémie (+ 681 en 2020) et a explosé en 2021 (+ 1378).

L’engouement des Québécois pour la Gaspésie est essentiel pour la région. La population gaspésienne est nettement plus âgée que la moyenne québécoise. Sans l’apport démographique des autres régions, la population serait en décroissance.

« C’est une région où l’accroissement naturel est négatif depuis longtemps, où les décès surpassent les naissances. La population de la région diminuait », rappelle la démographe de l’ISQ Martine St-Amour.

« L’accroissement naturel demeure négatif dans cette région, mais il y a eu un basculement. Ça fait cinq ans que la Gaspésie affiche un solde migratoire interne positif, et les gains augmentent d’année en année », note-t-elle.

« Les gains ont augmenté à tel point que malgré l’accroissement naturel négatif, la population de la région a augmenté. »

— Martine St-Amour, démographe de l’ISQ

La population de la Gaspésie a en effet gagné 1351 personnes en 2021, pour s’établir à 92 072.

« L’industrie éolienne propulse le développement à des niveaux jamais vus. On est en pénurie de logements, de places en garderie, de main-d’œuvre… », explique le maire de Gaspé, Daniel Côté.

Il rappelle que l’usine de pales d’éoliennes de LM Windpower sera agrandie cette année. Le nombre d’employés doit passer de 400 à 600.

« C’est lourd à gérer comme croissance. Mais on est contents. On a assez eu de décroissance en Gaspésie que là, gérer de la croissance, ça nous fait plaisir. »

— Avec la collaboration d’Ariane Krol, La Presse

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