OPINION

Série télé District 31 L’art de se déresponsabiliser

Véhiculer des préjugés, présenter de fausses informations, couper les coins ronds, manquer de nuances… c’est presque devenu une habitude avec la série télé District 31

Dans son texte de jeudi dernier, la journaliste Véronique Lauzon rapporte que « la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le VIH/sida » juge que l’émission stigmatise « des personnes vivant avec le VIH ». 

Des spécialistes affirment qu’en transmettant de fausses informations médicales et légales tout en omettant de faire les nuances qui s’imposent, l’émission encourage les préjugés. En contrepartie, on réagit à ces affirmations en parlant de censure. Un « fidèle téléspectateur » de l’émission affirme que le débat est « absurde », parce que c’est juste de la fiction.

Je partage les préoccupations de la Coalition, tout en étant un fidèle téléspectateur de District 31.

Je ne crois pas qu’un auteur peut se déresponsabiliser de son art en prétextant qu’il s’agit d’une simple fiction.

Le récit n’est jamais neutre. Il n’est jamais « juste une histoire ».

Il reflète des valeurs de société et nous met en contact avec nos valeurs personnelles. Il façonne nos perceptions et nos jugements. Il nous fait vivre des émotions intenses tout en nous donnant des « bornes à penser ». Certes, le créateur a pour première mission de nous divertir. Mais il ne doit pas pour autant se dissocier du contexte social et moral qui l’entoure. Il ne s’agit pas de censure ici, mais plutôt d’encourager des fictions encore plus créatives.

Stéréotypes et préjugés

Ceci m’amène au sujet qui m’a le plus déstabilisé depuis le début de la série. L’histoire commence avec l’émission du 26 septembre, où une bande d’Arabes s’apprête à violer une fille. La scène est d’une rare violence, une horreur qui s’est imprégnée profondément dans mon esprit. Cet épisode véhicule tous les stéréotypes et les préjugés imaginables sur les musulmans : père et fils violents, mère soumise, fille victime.

M. Dionne se défend sur sa page Facebook en utilisant le même genre d’arguments que ceux évoqués plus haut. Il dit qu’il fait de la fiction et non du documentaire. Pourtant, il évoque son souci du réalisme quand on critique le côté fade de sa nouvelle lieutenante. Il se défend en disant que c’est comme ça que se comporte un lieutenant.

Le problème avec cette émission est qu’elle véhicule uniquement une vision bourrée de stéréotypes, sans nuance et sans contrepartie. 

La victime aurait pu, par exemple, être accueillie par une famille musulmane qui aurait été outrée par le viol. Dans le fil narratif de l’épisode, la victime d’un viol collectif est accueillie par une mère québécoise « de souche » quasi parfaite. Elle accepte l’homosexualité de sa fille sans jamais sourciller, elle accepte que sa fille fréquente une Arabe et elle est prête à accueillir la victime en proclamant haut et fort qu’elle n’a pas peur des agresseurs.

Dans sa chronique sur la controverse entourant l’émission, Hugo Dumas écrit que « tous les musulmans ne sont évidemment pas tous des bourreaux. Mais ça existe et ça ne sert à rien de s’enfouir la tête dans le sable du Sahara pour le voir ». Si les musulmans ne sont pas tous des bourreaux, est-ce que la télé québécoise pourrait nous en rendre compte ? 

Au cours de ma carrière, j’ai eu la chance de côtoyer plusieurs étudiants musulmans qui n’avaient rien de l’homme arabe violent. J’ai eu la chance d’avoir des étudiantes musulmanes, dont des doctorantes, qui avaient quitté leur pays pour venir étudier au Québec, parfois sans leur conjoint. J’ai côtoyé des pères de famille qui sont venus au Québec pour que leurs filles puissent étudier. 

J’ai connu cette étudiante musulmane qui s’est fait cracher au visage le lendemain d’un attentat en Europe, et aussi un jeune homme d’origine iranienne qui a cessé de parler de ses origines depuis que son enseignante de sixième année a un jour proclamé que tous les hommes arabes étaient violents. Elles sont où, ces personnes et leurs réalités dans nos téléromans ?

Il y a des œuvres de fiction qui réussissent à nuancer tout en divertissant. Par exemple, la série espagnole Elite apporte les nuances souhaitées sur la transmission du VIH. Des séries policières comme Marcella et Bodyguard divertissent, nuancent et présentent des personnages intéressants issus de minorités visibles.

Les auteurs de grand talent comme Luc Dionne pourraient solliciter leur imagination pour nous divertir tout en contribuant au vivre-ensemble. 

À mon avis, les controverses découlant des œuvres fictives doivent être débattues dans l’espace public. Avec la disparition des grands récits de société (politiques et religieux), nous nous tournons de plus en plus vers les récits que nous côtoyons dans les romans, les séries télévisées et au cinéma pour construire nos repères moraux. Au bout du compte, un auteur qui apportera des nuances sur des enjeux éthiques importants réussira à faire de la meilleure télé.

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