Lingettes « jetables dans les toilettes »

Un « fléau » coûteux pour les municipalités

Égouts bouchés, déversements d’eaux usées dans les cours d’eau, bris d’équipements : les lingettes causent des maux de tête aux gestionnaires de réseaux d’égouts du Québec, qui déplorent la mention « jetables dans les toilettes » sur certains produits dont l’usage a augmenté avec la pandémie.

Un égout sanitaire bouché par des lingettes jetables a causé une forte contamination aux coliformes fécaux dans la rivière du Nord, en août, à Saint-Jérôme, dans les Laurentides.

« C’était tellement bouché que ça sortait par le couvercle », a raconté à La Presse l’ingénieur civil Alain Saladzius, président de la Fondation Rivières, que la Ville avait mandatée pour trouver la cause du problème.

Les eaux usées s’écoulaient dans un petit ruisseau, qui se jetait dans la rivière quelques centaines de mètres plus loin, près d’où la Ville aimerait aménager une plage.

« C’était épouvantable », se souvient François Tremblay, chef de la division de la production et de l’épuration de l’eau de Saint-Jérôme, qui a dépêché une équipe sur place le jour même.

« Ça avait bouché la tuyauterie au complet », dit-il.

C’est la pollution de la rivière même par temps sec qui a alerté les autorités – il peut arriver, lors de fortes pluies, que les égouts soient surchargés et que le trop-plein soit rejeté dans les cours d’eau –, qui ont constaté une amélioration « majeure » de la qualité de l’eau après avoir débouché l’égout.

Phénomène en croissance

L’évènement de Saint-Jérôme est loin d’être isolé : de nombreux gestionnaires de réseaux d’égouts au Québec disent être aux prises avec des problèmes liés aux lingettes, a indiqué à La Presse le Réseau Environnement, un regroupement de spécialistes des questions environnementales, qui déplore que certains fabricants indiquent que leurs produits peuvent être jetés dans les toilettes.

L’organisme a sondé tout récemment les villes faisant partie de son Programme d’excellence des stations de récupération des ressources de l’eau, dont Laval, Longueuil et Québec, et 92 % d’entre elles ont affirmé faire face à de tels problèmes, qui ont augmenté avec la pandémie.

« Il y a même eu des refoulements d’égout à certains endroits », se souvient Christian Sauvageau, directeur du service de l’hygiène du milieu à L’Assomption.

« Il y a un quartier où on a dû intervenir deux ou trois fois en quelques mois », ajoute-t-il.

Mais les lingettes créent surtout des problèmes dans les stations de pompage, qui servent de relais pour acheminer les eaux usées d’un secteur vers l’usine d’épuration centrale, explique-t-il.

« Ça bloque les pompes, le niveau monte, monte, et là, il faut aller nettoyer ça manuellement. »

— Christian Sauvageau, directeur du service de l’hygiène du milieu à la Ville de L’Assomption

Les bris de pompe représentent « au moins la moitié » du budget annuel d’entretien de 150 000 $ du réseau d’égouts, estime Christian Sauvageau, qui se désole que ce soient les contribuables qui doivent éponger la facture.

À Saint-Jérôme, les pompes d’une station ont été remplacées par des appareils plus puissants, et plus coûteux, qui ne se bloquent plus.

« Mais on a pelleté le problème en avant, constate François Tremblay. Tout passe à travers la pompe, mais c’est la tuyauterie de six pouces, au bout, qui a bouché. »

Les problèmes causés par les lingettes sont un « fléau » qui découle « uniquement d’une mauvaise information donnée aux citoyens », déplore Alain Saladzius, indiquant que ces produits devraient plutôt aller à la poubelle.

Approuvées par les plombiers ?

« Les débarbouillettes jetables Cottonelle sont conçues pour être jetées dans les toilettes et sont approuvées par les plombiers », affirme sur son site internet la marque appartenant à la multinationale états-unienne Kimberly-Clark.

« Vous pouvez donc être certain qu’elles sont sans danger pour les égouts et les fosses septiques et qu’elles se désintègrent dès qu’on tire la chasse », ajoute la multinationale. Rien n’est plus faux, s’indignent les intervenants consultés par La Presse.

« C’est zéro biodégradable », lance François Tremblay.

« Ce n’est pas comme du papier de toilette, [c’est] rigide », ajoute Christian Sauvageau.

La Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ), qui attribue les licences aux entreprises de plomberie, se dissocie des prétentions de Cottonelle et d’autres fabricants.

« Ce n’est pas nous qui faisons des approbations là-dessus », a déclaré à La Presse son directeur du service technique, Charles Côté.

Le service à la clientèle de Kimberly-Clark est même allé plus loin dans un courriel au Conseil de l’eau Gaspésie Sud, un organisme de bassin versant qui avait manifesté sa préoccupation à l’égard des lingettes Cottonelle dans les égouts, en affirmant que « les lingettes nettoient les toilettes, les conduites d’évacuation, les égouts, les pompes ».

Charles Côté rit en entendant cette affirmation et s’exclame, ironique : « Seigneur ! On devrait tous en jeter une par jour ! »

« Je serais curieux de voir le rapport et le protocole d’essai, qui me semblent particuliers », poursuit-il.

Kimberly-Clark a refusé la demande d’entrevue de La Presse par l’entremise d’une firme de communications qui a déclaré que « personne » au sein de la multinationale n’était disponible.

Dans une déclaration écrite dont l’auteur est inconnu, l’entreprise soutient que ce sont les lingettes d’autres marques qui bloquent les égouts, tandis que les siennes s’y désintègrent.

Impact écologique

Les lingettes « jetables dans les toilettes » ont un lourd impact écologique, souligne le Réseau Environnement. « Envoyer une lingette dans la toilette, en partant, ça prend 15 L d’eau pour en disposer », explique le chargé de projet Alain Lalumière. « Si on est chanceux, ça se rend à l’usine d’épuration sans bloquer, mais ensuite, il faut la sortir de l’eau », ajoute-t-il. Comme toutes les matières solides composant les eaux usées, les lingettes seront enfouies, incinérées ou « valorisées » pour en faire de l’énergie, explique M. Lalumière, soulignant toute l’énergie nécessaire pour traiter une matière qui n’aurait pas dû se retrouver là au départ.

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