La faillite guetterait Air Miles

Le scénario de la faillite d’Air Miles semblait tiré par les cheveux lorsqu’il a été évoqué l’automne dernier, tant sa carte bleue fait partie de nos vies depuis longtemps. Mais il pourrait se produire assez vite. Tellement vite, en fait, que le site spécialisé dans les programmes de fidélisation Milesopedia suggère à ses lecteurs de dépenser leurs milles Argent et Rêves dans les plus brefs délais.

L’agence Bloomberg Law a annoncé que la société américaine Loyalty Ventures qui gère le programme de récompense Air Miles au Canada se préparait à se placer sous la protection de la loi sur les faillites. Cela pourrait se produire « dans les prochains jours », a-t-elle précisé jeudi. Des personnes au fait de sa situation financière préoccupante ont dévoilé que des négociations étaient en cours avec les créanciers en vue d’une restructuration.

On ne sait pas ce que cette nouvelle veut dire pour les 10 millions d’adhérents, soit deux ménages sur trois au Canada.

Le programme disparaîtra-t-il tout simplement ? Survivra-t-il sous une forme différente ? Sera-t-il racheté par une autre entreprise ? Les échanges de milles demeureront-ils possibles un certain temps ? La valeur des milles sera-t-elle modifiée ?

Mystère. Mais ça s’annonce mal pour ceux qui accumulent des récompenses depuis des années dans l’espoir de voyager gratuitement.

L’idée de dépenser ses milles sans plus attendre me semble donc des plus judicieuses. Au Québec, vous pouvez encore échanger vos récompenses Argent dans les IGA et les Rachelle-Béry (jusqu’au 22 mars), les Jean Coutu et les stations-service Shell. En théorie, on peut aussi commander en ligne des bons d’achat électroniques pouvant être utilisés dans une vingtaine d’entreprises comme H&M, Décathlon et Spotify, mais le site d’Air Miles, jeudi soir, plantait systématiquement lorsque j’ai tenté l’expérience.

Les milles Rêves peuvent, quant à eux, être échangés contre des biens comme une cafetière, des valises ou une robe de chambre. On ne sait toutefois pas si le service d’expédition restera ouvert pour traiter toutes les commandes reçues advenant un processus de restructuration. « Pensez bien à vérifier le tarif en argent pour voir si vous faites une bonne affaire (visez une valorisation de vos milles Rêves au-delà de 11 cents par mille) », suggère Milesopedia.

Si vous prévoyez partir en vacances bientôt, la section « Réservations de voyages » est peut-être une option pour liquider vos milles. Mais les fournisseurs (hôtels, croisiéristes, entreprises de location de voiture) seront-ils payés comme il se doit ? Pourraient-ils vous laisser tomber ?

Devant tant d’incertitudes, Air Miles devra faire preuve de transparence et communiquer avec ses clients pour les rassurer dans les plus brefs délais, s’il y a matière à les rassurer.

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C’est quand même fascinant de constater la dégringolade rapide d’Air Miles. Arrivé dans le paysage canadien en 1992, le programme de récompense est devenu l’un des plus connus et des plus populaires au pays. Mais il a perdu tellement de plumes dans les dernières années qu’il ne faisait même plus partie du top 20 des plus appréciés, selon la plus récente étude LoyauT produite par R3 Marketing et Léger.

Ces dernières années, Air Miles a été largué par d’importants partenaires, dont Rona, Réno-Dépôt, la LCBO (l’équivalent de notre SAQ en Ontario), les pharmacies Rexall et Bureau en gros, entre autres. Plus récemment, IGA et Jean Coutu ont annoncé qu’ils abandonnaient eux aussi le programme, en 2023. À partir du 23 mars, IGA ne vous demandera plus si vous possédez une carte Air Miles. Jean Coutu n’a pas encore communiqué de date précise de terminaison, mais évoque le mois de mai.

La diminution constante du nombre de commerces acceptant la carte bleue a fait très mal financièrement.

En Bourse, l’action de Loyalty Ventures ne vaut plus que 0,58 $ US. En une journée, jeudi, sa valeur a reculé de 63 %, sans doute en réaction à la nouvelle de Bloomberg Law. À pareille date l’an dernier, elle se négociait autour de… 19 $ US. Aïe !

À elle seule, l’annonce de Sobeys (IGA), en juin dernier, avait fortement ébranlé la confiance des investisseurs : l’action avait perdu presque la moitié de sa valeur d’un coup. Trois mois plus tard, au moment de l’annonce de Jean Coutu, le président fondateur de Milesopedia, Jean-Maximilien Voisine, m’avait dit qu’il ne donnait « vraiment plus cher de la peau d’Air Miles », vu son manque de liquidités et les licenciements massifs annoncés. À la lumière des plus récentes informations dévoilées, il faut reconnaître qu’il n’avait pas été alarmiste.

Les consommateurs ont beau aimer les cartes de points, un programme ne vaut pas cher sans partenariats avec des détaillants majeurs. C’est ce qui manque cruellement à Air Miles, en ce moment. Cette tendance sera difficile à renverser.

Il sera d’ailleurs intéressant de voir si les supermarchés Metro de l’Ontario laisseront aussi tomber le programme à la carte bleue. Metro lancera justement, ce printemps, une version remaniée de metro&moi baptisée moi, qui permettra d’accumuler des points dans son enseigne éponyme au Québec, mais aussi chez Super C, Jean Coutu et Première Moisson. La situation financière toujours plus précaire d’Air Miles pourrait avoir un impact sur sa réflexion.

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