Écoute en continu

Le pari québécois de QUB musique

Alors que le contenu d’ici peine à se distinguer dans les plateformes internationales d’écoute en continu, QUB musique vante sa participation « 11 fois plus importante à l’économie culturelle québécoise » en 2021. Du moins, en redevances moyennes par abonné.

L’équipe NumériQ, filiale de Québecor, calcule qu’elle remet 6,38 $ à l’industrie locale par abonnement mensuel, tandis que les autres services canadiens comme Spotify et Apple Music redistribueraient seulement 0,56 $.

« Ce qu’on veut faire comprendre aux gens, c’est qu’il existe un service plus petit, mais qui est en mesure d’en donner davantage », explique au bout du fil Marc-André Laporte, directeur principal de QUB musique.

Comment expliquer cet écart, alors que toutes les entreprises versent environ 70 % de leurs revenus d’abonnements aux ayants droit (maisons de disques, éditeurs, artistes, etc.) ?

Non seulement QUB musique affiche un tarif mensuel légèrement plus élevé (11,99 $ contre 9,99 $), mais surtout elle encourage une proportion d’écoutes d’interprètes québécois largement supérieure, de l’ordre de 76 % contre 8 % pour les plateformes concurrentes, selon ses calculs.

M. Laporte explique que « la première action et la plus importante » de QUB musique a été d’offrir une grande « visibilité à ce qui se fait ici, aux interprètes québécois ».

Tout comme Spotify, la plateforme propose un catalogue d’environ 75 millions de titres internationaux. Son parti pris en faveur du contenu local se répercute dans ses choix d’affichage ou encore dans ses quelque « 3600 listes de lecture ».

« Il y a quelque chose de fort dans l’idée de mixer de façon cohérente ce qui se fait à l’international avec ce qui se fait ici, note Marc-André Laporte. Pour nous, quand on fait une playlist de soul, c’est logique d’avoir une Nina Simone qui va précéder une Dominique Fils-Aimé. »

David contre Goliath

En juillet 2021, QUB musique a annoncé avoir rallié quelque 25 000 abonnés un an après son lancement, devancé en mai 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Depuis, la plateforme reste coite sur son évolution. « Les comparaisons deviennent vite inexactes avec la compétition, explique son directeur principal. Nos missions, nos objectifs et nos marchés sont super différents. »

Selon les estimations optimistes de Romuald Jamet, professeur adjoint de sociologie à l’Université du Québec à Chicoutimi, QUB musique fédérerait aujourd’hui un maximum de 50 000 abonnés québécois. Spotify, de son côté, compterait environ 1 million de comptes actifs au Québec.

En valeur absolue, le ruissellement du service de Québecor vers les artistes québécois reste marginal. M. Jamet, spécialiste des plateformes de « streaming » musical, donne l’exemple de Charlotte Cardin, qui aurait généré quelque 300 000 $ sur Spotify grâce aux titres de son album Phoenix.

Un an après son lancement, QUB musique soulignait avoir versé 500 000 $… à l’ensemble des artistes et des ayants droit québécois.

« Là où ça pourrait être intéressant, c’est pour les petits artistes indépendants, moins connus, mais on a très peu d’information. Pour les gros artistes, c’est beaucoup moins intéressant que ce qu’on peut collecter sur Spotify, par exemple. »

En règle générale, les revenus des plateformes d’écoute sont rassemblés dans un pot commun, puis reversés aux ayants droit au prorata des écoutes. Selon M. Jamet, des artistes comme Charlotte Cardin, Les Cowboys fringants ou Cœur de pirate reçoivent donc d’énormes parts du gâteau de QUB musique, tout en générant beaucoup plus d’argent sur d’autres plateformes.

Le système de redevances est « très inégalitaire entre les différents artistes » et « favorise les très gros joueurs », observe-t-il.

Un palmarès québécois

QUB musique se démarque aussi de la compétition lorsqu’elle dresse son palmarès des albums les plus écoutés en 2021. Bien qu’un disque anglophone trône au sommet – Phœnix, de Charlotte Cardin –, 13 des 15 premières positions sont occupées par des artistes québécois. Les nuits de Repentigny, des Cowboys fringants, et Perséides, de Cœur de pirate, méritent les deuxième et troisième places.

La famille Québecor n’est pas en reste. Deux productions de Star Académie sous le giron de Musicor – la compilation 2021 et Nos retrouvailles – suivent le trio de tête, tandis que Comme au premier rendez-vous de Mario Pelchat, dont le label MP3 Disques a été acheté par le secteur musique de Québecor, apparaît au septième rang.

Une visite de la page d’accueil de la plateforme, mardi, était autrement révélatrice. « QUB musique en coulisses de Star Académie », titrait-on en haut de page. Les premières vignettes d’appel des différentes listes de lecture étaient attribuées à Corneille (Musicor), Olivier Faubert (ex-académicien), Corneille encore, Guylaine Tanguay (Musicor) et Star Académie (diffusée à TVA et partenaire de QUB musique).

« C’est la stratégie que prennent Spotify et consorts. Le problème, c’est que 70 % des redevances aux ayants droit sont versées aux maisons de disques et aux éditeurs. Or, ce pourcentage circule beaucoup en interne, à même Québecor. »

– Romuald Jamet, professeur adjoint de sociologie

Selon le spécialiste, QUB musique, qui opère « à perte », est une vitrine politique avant d’être une vitrine culturelle. « C’est de l’affichage de Québecor pour dire : ‟Regardez, on soutient les artistes, les gens d’ici”, mais en fait, ils ne font que se soutenir eux-mêmes. »

« Le but est de mettre de l’avant des interprètes d’ici et de satisfaire les gens qui sont abonnés, rétorque Marc-André Laporte, directeur principal de la plateforme. Je vous invite à vous promener dans la plateforme, et vous verrez qu’on est équitables avec tout le monde. C’est quelque chose qu’on s’est dit dès le début. »

Que les plateformes mettent en valeur les contenus québécois ou internationaux, un enjeu demeure, selon M. Jamet. « C’est de savoir comment vont se modifier le droit d’auteur et la répartition de l’argent généré entre les différents ayants droit. À cet égard, je pense que le modèle d’affaires du streaming ne met pas du tout de l’avant la création et les artistes, qui sont les derniers à manger leur part du gâteau. »

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