Opinion : Université d'Ottawa

Le sein et le tabou

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées », dit Tartuffe, dans la pièce de Molière, en tendant un mouchoir à Dorine, dont le décolleté lui paraît une provocation.

L’élément important, intemporel dans cette réplique n’est pas son objet, mais la méthode utilisée par Tartuffe pour imposer à Dorine sa propre interprétation des intentions de celle-ci. De plus, non seulement se déclare-t-il blessé par ce qu’il juge être une incitation au vice, mais il prétend parler au nom de toutes les âmes.

Ce jeu de pouvoir, vieux comme le monde, vient d’être réutilisé par l’administration de l’Université d’Ottawa, en accusant de racisme la professeure Verushka Lieutenant-Duval. Or, les faits sont maintenant connus. En expliquant en classe certaines réinterprétations de mots, elle y a inclus le mot qui, aux yeux des dirigeants de l’Université, est le tabou des tabous.

Et, bien qu’il n’y eût pas l’ombre d’une intention raciste dans les événements évoqués, l’administration a immédiatement, et sans même la consulter, suspendu la professeure. Elle est devenue coupable de racisme, condamnation sans appel ainsi justifiée par le recteur Jacques Frémont : « Les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression. » (19 octobre 2020)

Tout comme Tartuffe impose à Dorine une interprétation de son habillement que celle-ci récuse avec force, l’administration de l’Université d’Ottawa a qualifié d’acte raciste une démonstration pédagogique absolument innocente d’une telle infamie.

Se saisissant de ce casus belli et se drapant de la vertu de la lutte contre le racisme, le recteur s’est lancé tous azimuts contre cet ennemi qui, à le croire, est partout sur le campus. S’exprimant dans les pages du Droit (30 octobre 2020), il intitule son article « Le racisme n’a pas sa place à l’université ».

Une flétrissure imméritée

Ce second procédé est également fort connu. Après avoir imposé une interprétation subjective à un événement limité, l’amplifier suffisamment pour en faire une situation d’apparence si dangereuse qu’elle rende légitime une mobilisation générale. Or, l’acte pour justifier un tel appel aux armes est l’incident dans le cours de Mme Lieutenant-Duval, donc le racisme imposé à notre collègue comme une flétrissure qu’elle n’a jamais méritée.

Néanmoins, aux collègues qui, dans des termes d’une remarquable modération ont évoqué la liberté académique ainsi que l’élémentaire respect des procédures disciplinaires, il est répondu que ces droits doivent être mesurés à l’aune de la lutte contre le racisme.

D’un côté, des actions racistes évoquées sans preuve et une professeure jugée sans être entendue, et de l’autre, la liberté académique laissée pour compte.

Cette dernière fait pourtant l’objet d’un règlement de l’Université (n° 121) dont voici un extrait : « Elle [la liberté académique] prise et protège la liberté d’enquête et la liberté d’expression sous toutes ses formes ; elle refuse donc de s’interposer entre la communauté et les vues jugées controversées ou répréhensibles, et ne permet aucune répression de la libre expression de la gamme complète de la pensée humaine, à l’intérieur des limites imposées à l’Université par la loi du Canada et de l’Ontario. »

En revanche, aucune loi du pays n’interdit l’utilisation de quelque mot que ce soit, a fortiori dans un cadre d’explication universitaire.

Évidemment, le recteur, le sénat ou le Bureau des gouverneurs peuvent dresser une liste exhaustive de mots que l’Université juge imprononçables.

D’ici là, force doit rester à la loi, c’est-à-dire au règlement 121. Ce qui veut dire aussi l’imposition de sanctions à celles et à ceux qui, par des campagnes orchestrées sur les réseaux sociaux, pratiquent l’intimidation physique et professionnelle contre les membres du corps enseignant qui exercent leur droit et font leur devoir.

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