Ados : leurs émotions revues et corrigées
Dit autrement : oui, vos adolescents vivront des crises, auront des désespoirs, probablement des peines d’amour. Ils vont pleurer, se chicaner avec leurs amis, traverser toutes sortes d’émotions fortes. Existentielles. Au cube. Et souvent dans le tapis.
Si vous lisez ces lignes, c’est sans doute parce que vous le savez (et le vivez) déjà. Les yeux au ciel, c’était de la petite bière. Bonjour, les portes qui claquent et les répliques qui fusent. Ça n’est pas nécessairement agréable, on vous l’accorde, mais c’est comme ça.
« Chez les adolescents, les émotions fortes ne sont pas en option. Ce ne sont pas des bogues », écrit la psychologue clinique et autrice Lisa Damour, accessoirement mère de deux adolescentes (de 12 et 19 ans), dans son livre The Emotional Lives of Teenagers – Raising Connected, Capable, and Compassionate Adolescents, en librairie depuis peu.
Objectif : expliquer le fonctionnement du cerveau des adolescents (en ébullition), démystifier les réactions émotives (souvent genrées, elle s’y attarde, avec autant de nuances pour le public non genré) et distinguer le normal (aussi épique soit-il) du plus inquiétant. En un mot : outiller les parents. Exemples concrets à profusion.
Celle qui signe régulièrement des textes dans le New York Times, à qui l’on doit une populaire balado (Ask Lisa), des ouvrages de référence sur le sujet (dont Untangled – Guiding Teenage Girls) et qui a plus de 25 ans de pratique derrière la cravate, en remet ici, parce que visiblement, le message ne passe pas.
Tout particulièrement depuis 10 ans, note-t-elle.
« Quelque part au passage, on s’est mis à avoir peur d’être malheureux. »
— Lisa Damour, citation tirée de The Emotional Lives of Teenagers – Raising Connected, Capable, and Compassionate Adolescents
Dit autrement : on s’est mis à voir d’un mauvais œil les émotions négatives, à craindre les larmes, bannir la colère. Bref, à chercher à prévenir à tout prix la tristesse. Et vénérer un peu trop le bonheur. Chez nous tous en général, et avec les adolescents en particulier.
Une réflexion qui tombe à pic, tout particulièrement après cette pandémie, qui a été « incroyablement douloureuse pour les adolescents », rappelle-t-elle en entrevue avec La Presse.
Or attention, danger, nous dit-elle. Pourquoi, au fait ? Avec une infinie délicatesse, et toutes les nuances qui s’imposent, la psychologue exprime sa pensée. « Parce qu’en agissant ainsi, on les prive d’occasions d’apprendre à se gérer. » Faut-il le préciser : la tristesse fait partie de la vie. Shit happens, comme disait Shakespeare, et malgré toutes nos bonnes intentions, nos jeunes n’y échapperont pas. Aussi bien les équiper, non ?
Avant d’y venir, pourquoi ? Pourquoi la mélancolie, les hauts et les bas de nos émotions ont-ils aujourd’hui si mauvaise réputation ? Toujours aussi nuancée, la psychologue constate que la santé mentale est de plus en plus méprise, confondue ou associée, dans le langage populaire du moins, à une question de bien-être. Comme si, pour avoir une saine santé psychologique, il fallait être dans un état de béatitude constant. « Et la commercialisation du bien-être, et de tous les produits dérivés du bien-être, dit-elle, vend l’idée qu’il est possible […] de prévenir la détresse. Or c’est faux. Ce n’est pas vrai. Et cela laisse miroiter des attentes irréalistes. »
Et autant de déceptions.
Outre l’industrie du bien-être, la psychologue se demande si l’augmentation notable des prescriptions de médicaments dans les dernières années n’y serait pas aussi pour quelque chose. Certes, précise-t-elle, le Prozac sauve assurément des vies, là n’est pas la question. « Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander si tout cela n’a pas contribué à perpétuer cette idée qu’on devrait tous, nous et nos enfants, s’épargner cette réalité : qu’être humain, c’est aussi vivre des douleurs émotionnelles », écrit-elle, en guise d’introduction.
Alors si la santé mentale, ce n’est pas le bien-être, c’est quoi ?
« D’un point de vue psychologique, la santé mentale, c’est avoir des émotions qui concordent, tout en sachant les gérer sans se blesser. »
— Lisa Damour, psychologue et autrice
Mais encore ? Son livre commence précisément sur un exemple concret, tiré d’une conversation avec une amie, pour illustrer ce concept, fondamental s’il en est. Inquiète à cause d’un fils déprimé à la veille d’un déménagement dans une autre ville, cette amie a fait appel à ses lanternes. Sa réponse (par une question) ? « Votre fils est-il déprimé tout le temps ou a-t-il des hauts et des bas ? Si c’est le cas, je pense au contraire que sa déprime est un signe de saine santé mentale ! »
Morale : « Inutile de vous alarmer si votre adolescent est triste à propos de quelque chose un peu de temps, mais vous devriez vous alarmer s’il est triste à propos de tout pendant beaucoup de temps. »
The Emotional Lives of Teenagers – Raising Connected, Capable, and Compassionate Adolescents
Lisa Damour
Ballantine Books
186 pages